Portrait de diplômé·es / Bruno Silva

Mykiss, panneaux de polycarbonate, colle vinylique et poudre de talc, transfert d’impression jet d’encre, tubes en métal, pinces, 250×300 cm, 2021 – photo Vincent Blesbois

 

As-tu passé l’intégralité de ton cursus à l’école ? Quels étaient tes sujets d’intérêt, les expériences qui ont compté, pendant ta formation à l’école ?

Le début de mon parcours à l’ÉSACM a commencé dans le cadre d’un échange via Erasmus en 2010. A ce moment-là, j’étais en 4e année à la Faculdade de Belas Artes da Universidade do Porto. Au Portugal, les licences se font en 4 ans et non pas en 3 ans comme en France. J’étais donc dans ma dernière année de licence à Porto quand je suis venu via Erasmus à l’ÉSACM. À la fin des 5 mois d’échange, la question s’est posée : est-ce que je rentre ou est-ce que je reste à Clermont ?

J’ai donc décidé de passer une commission d’équivalence pour intégrer la phase projet et passer le DNSEP à l’école d’art de Clermont.

L’ÉSACM m’a plu par son approche pédagogique qui proposait un enseignement moins théorique qu’à Porto. Les deux systèmes pédagogiques, complémentaires, ont été importants pour moi car cela m’a permis de fabriquer des croisements et rencontres que je n’aurais jamais pu faire en étant seulement à Porto. Aucun des deux systèmes n’est mieux que l’autre, je le souligne, le croisement des deux a enrichi les choses au travers d’un empilement d’expériences.

Pendant les deux années à l’école d’art de Clermont je me suis intéressé à la transformation de l’existant à travers des documents, des images, à leur archivage et à leur détournement. J’ai pris mes études comme un temps de recherche et non pas de production. Comme une sorte de moment d’errance, un temps de dérive. Cela était visible dans mon travail au travers de formes non nommées, fragiles et souvent éphémères. Comme une expérience qui amène à une autre et comme une autre encore poursuit la précédente.

 

Bruno Silva, Vitrail #1, feuille de caoutchouc, colle blanche, talc, transfert impression jet d’encre, dimensions variables / Tom Castinel, Branches, béton, 2021

 

Peux-tu dire quelques mots de ta pratique aujourd’hui, de ta façon de travailler et de ton champ d’activités ?

Ma pratique a bien sûr évolué. Je me suis plus investi dans la matérialité des formes. Cependant, la façon dont je réfléchis le travail est restée la même. Je me base sur des ressources existantes, des objets résiduels, trouvés, usagés, consommés, jetés, modifiés, les images et les résidus d’une rencontre. Je m’entoure de formes marquées par le temps qui parlent d’expériences personnelles, de traces et d’usages humains.

Une forme d’errance persiste dans le dialogue entre les corps, dérivant entre les médiums, suivant leurs flux et jouant avec la nature des choses. Comme une chorégraphie entre une idée et son image, réelle ou fictionnelle, mon travail circule entre la présence et l’absence, l’apparence et la substance, entre le mouvement et l’attente.

Depuis peu, je m’intéresse à l’alliage entre le synthétique et le naturel : une collaboration entre artefacts et phénomènes naturels. La peau, la pellicule, l’habillage, la surface, sont ainsi des éléments que je m’attache plus particulièrement à relever. Étant la première strate travaillée par le temps, la surface conserve les marques de son exposition à l’érosion provoquée par la lumière, la température ou l’usage humain.

Mon travail est double. Il parle de fonctionnement et de dysfonctionnement, il essaie de relier le vivant et l’inerte. Les formes que je produis sont des formes momifiées, voire « zombifiées », elles parlent de vie et de mort à la fois. Elles s’incrustent parfois dans l’architecture d’un lieu, influençant la façon dont on le perçoit et lui attribuant une atmosphère entropique.

 

Quelles ont été tes expériences à la sortie de l’école ? Est-ce à ce moment-là que tu as intégré les Ateliers ?

À la sortie de l’école j’ai eu une année creuse et pleine de questionnements, comme la plupart des diplômé·es. J’ai décidé de m’inscrire dans un master de médiation culturelle à l’Université Clermont Auvergne que j’ai fini par abandonner au bout d’un an. Cependant, ce master m’a été utile car j’avais un stage obligatoire à réaliser et je l’ai fait auprès de l’association Artistes en résidence. Ce stage m’a permis de me rapprocher de la scène artistique clermontoise et d’entrer au cœur des activités associatives. À ce moment-là, fin 2013, j’ai intégré le collectif Les Ateliers qui était en train de se former et de rejoindre des locaux au Brézet. Ce groupe d’artistes posait la question des ateliers d’artistes et défendait la création d’un lieu à Clermont, soutenus par les collectivités territoriales. Appuyés par le Conseil départemental du Puy-de-Dôme et l’ÉSACM, et plus tard par Clermont Auvergne Métropole, nous avons autogéré les locaux pendant 7 ans et organisé des expositions, des concerts, des performances et des rencontres. Nous y avons accueilli une cinquantaine d’artistes en rotation, chacun disposant de son atelier. L’association Les Ateliers a récemment déménagé à la Diode, pôle d’arts visuels municipal, dans des locaux entièrement neufs et équipés dont la réalisation et le financement sont portés par Clermont Auvergne Métropole.

Cette expérience a été très importante pour ma pratique artistique, ainsi que dans la fabrication des outils et expériences qui m’ont amené à une pensée collective et à travailler avec les autres. Sans forcément intégrer constamment le collectif dans ma pratique artistique, je trouve ma place avec les autres en proposant des formes de rencontre, en invitant d’autres artistes à exposer, à collaborer.

En tant qu’artiste, je pense que nous ne sommes pas obligés de tout mélanger, nous pouvons avoir plusieurs activités artistiques, personnelles et/ou collectives.

 

Ossos, support de bidet en métal, fil métallique, feuille artificielle, 50x60x33cm, 2020

 

Peux-tu parler de ton implication dans Artistes en résidence ?

Artistes en résidence a peut-être été le moment le plus important jusqu’à présent dans mon parcours.

Comme je l’évoquais précédemment, j’ai commencé par être en stage, puis bénévole pendant quelques années jusqu’à devenir salarié de l’association il y a 3 ans. Martial Déflacieux, le fondateur d’Artistes en résidence, a été un excellent « formateur » car nous avons beaucoup échangé autour de ce qu’est « être dans l’art ». Il m’a permis de connaître la réalité du fonctionnement associatif dans les arts visuels. Et j’ai pu rencontrer une centaine d’artistes, avec des pratiques très différentes, avec des points de vue très différents sur la place d’un artiste dans l’art et dans la société. Cela m’a forcément enrichi et forgé. Je suis actuellement chargé de la co-coordination de l’association Artistes en résidence avec Isabelle Henrion qui en est la directrice.

Employé à mi-temps, je bénéficie d’un revenu minimum stable, j’ai du temps pour ma pratique artistique et en même temps, je reste dans le milieu et je continue à m’enrichir avec de belles rencontres.

Dixie, terre cuite, colle vinylique et poudre de talc, 50x36x27cm, 2021 – photo Vincent Blesbois

 

Peux-tu parler de la création de « home alonE » ?

home alonE est né dans le but de créer un lieu d’exposition dans un espace domestique — chez moi et Romane Domas, à l’époque —, au départ principalement pour y inviter des artistes clermontois. En 2014, année de création de home alonE, il existait très peu d’espaces de diffusion pour les artistes à Clermont-Ferrand. Disons que la scène clermontoise de l’époque se faisait voir ailleurs, donnant rarement l’occasion de voir ce que chacun de nous faisait. Les artistes partaient plus souvent qu’aujourd’hui car ils avaient peu d’opportunités pour partager leur travail à Clermont.

Le projet est donc né dans ce sens-là : donner un petit coup de visibilité aux artistes du territoire et leur donner la possibilité de s’implanter localement.

Nous recevons le soutien de la DRAC Auvergne-Rhône-Alpes depuis quelques années ce qui nous permet de soutenir économiquement les artistes, à notre échelle, dans leurs productions.

Parallèlement, j’étais intéressé par le fait de cohabiter avec des œuvres, de les traverser dans mon quotidien ou de boire un café devant un dessin, de faire vivre les œuvres.

Comme quand on invite quelqu’un chez nous, j’ai toujours essayé de faire en sorte que les artistes invités se sentent comme chez eux en leur proposant des cartes blanches. Ils font ce qu’ils souhaitent, que ce soit une production spécifique pour l’espace ou l’exposition d’œuvres déjà existantes.

Je vous invite à lire l’article sur home alonE dans la Belle Revue pour en savoir plus : https://www.labellerevue.org/fr/focus/2020/home-alone

Quand le projet a commencé, je n’imaginais pas qu’il durerait aussi longtemps. C’est arrivé naturellement, tant que les énergies restaient éveillées. Mais les énergies se renouvellent. Depuis sa création, je projet a évolué et de nouvelles personnes ont ouvert des espaces d’exposition dans leur maison en gardant le nom du projet home alonE.

Le premier home alonE existe toujours au 6 place Saint-Pierre avec Romane Domas, locataire de l’appartement. Il y a aussi les home alonE chez moi au 53 rue Drelon, chez Hervé Brehier à Saint-Pierre-Le-Chastel et chez Clara Puleio, qui est en train de déménager.

Une franche réussite (rires) !

 

SITES / LIENS :

www.bruno-silva.eu

www.artistesenresidence.fr

www.lesateliers.eu

www.homealone.tk