The Mist

L’ÉSACM a présenté «The Mist », l’exposition des diplômé·es 2021 dont le commissariat a été confié à Thomas Conchou, du 6 au 16 octobre 2021, dans l’ancien espace des Ateliers,  228 avenue Jean-Mermoz à Clermont-Ferrand.

AVEC les diplômé·es, Audrey Bapt, Alexandre Boiron, Vincent Caroff et Juliette Jaffeux, Hermine Chanselme, Charlotte Durand, Chloé Grard, Pauline Lespielle, Johanna Medyk, Margot Monier, Maëlys Plagnes , Capucine Portal, Ophélie Raffier, Gaël Salefranque, Nino Spanu, Florent Terzaghi.

L’évènement a donné lieu à la production d’une plateforme consultable en ligne, dont le design a été réalisé par Carlos Carbonnel.

→ Découvrir la plateforme ici.

 » La nouvelle The Mist de Stephen King paraît aux États-Unis en 1980 et deviendra un classique de littérature fantastique et d’horreur. Elle met en scène la petite communauté de Bridgton, dans le Maine, après le passage d’une tempête sur la ville. Le personnage principal, David Drayton, est peintre pour les studios de cinéma américains. Tandis que les habitant·es de Bridgton sont occupé·es à déblayer les ravages de la veille, un nouveau fléau, silencieux et à peine visible, s’abat sur elleux. La brume, puisque c’est son nom, s’avance à pas de velours et ne déclenche de prime abord aucune panique : elle est, après tout, un phénomène météorologique commun. Pourtant ses caractéristiques sont troublantes : elle semble mue par sa propre volonté et ignore le sens du vent. Elle brouille les transmissions radio. Lorsque les habitant·es s’affolent de cette étrange masse qui semble vouloir les engloutir, il est trop tard : la brume s’est immiscée partout, les entoure déjà, et de l’intérieur, elle est d’une épaisseur affolante. Elle impose sa réalité avec la cruauté implacable des manifestations naturelles. Le récit suit ensuite un groupe de personnes recluses à l’intérieur du supermarché de Brigdton, et décrit avec acuité leur glissement de l’anxiété à l’angoisse, puis de l’angoisse à la terreur tandis que la brume se révèle être peuplée de monstres. L’isolement et la séparation avec leur proches gagnent petit à petit sur la sanité des protagonistes. Pourtant, iels ne cessent de tenter, tant bien que mal, de s’organiser. Tandis que certain·es mettent sur pied une résistance aux créatures du dehors et aux menaces inconnues que la brume leur réserve, d’autres sombrent dans des spirales psychologiques et religieuses délétères qui les mèneront au pire.

En cent-cinquante pages, The Mist aborde froidement la variété des réponses humaines aux situations de crise : courage, peur, désespoir, résilience, fanatisme, entraide et instinct grégaire, et peint avec détail une fresque psychologique à la hauteur des bouleversements que nous traversons collectivement depuis le printemps 2020. Comme les habitant·es de Bridgton, nous faisons face au constat imparable que tout ce que nous tenons pour certain peut voler en éclats et révéler la fragilité du quotidien. Tout comme elleux, nous avons dû négocier avec la brume : en avançant à l’aveugle tandis qu’une menace silencieuse assiégeait nos sociabilités, nos lieux de vie et de travail, notre intimité même. Et cette négociation s’est parfois faite au détriment de notre santé mentale et physique. À l’image de nombreux corps sociaux mis à mal par la pandémie, la communauté estudiantine a pu éprouver la précarité d’un statut pourtant porté aux nues socialement. Comme souvent, les manquements de nos systèmes de solidarité et de redistribution ont été comblés par la mobilisation collective et l’activisme de quelques-un·es. Tandis que la brume s’éclaircit, elle laisse derrière elle des défis innombrables allant de la crise écologique aux combats contre les violences systémiques dont nos institutions sont les théâtres, et qui ne pouvaient souffrir du temps désormais perdu.

Pour cette promotion 2021 de l’ÉSACM, la tenue de cette exposition est en soi une opportunité qui ne semblait pas acquise il y a à peine quelques mois. Lorsque j’ai entamé mon compagnonnage avec elleux en janvier via des visioconférences instables et mornes, la question n’était pourtant pas celle de son éventualité. Elle se posait plutôt en ces termes : comment créer alors que le monde, et nous-même, sommes bouleversé·es ? Comment saisir le temps légitime et nécessaire de la désorientation, de la perte de repère, du deuil même, tout en continuant à répondre aux impératifs de productivité qui sont ceux des créateur·ices et des auteur·ices? Quel est le degré de priorité des objets qui nous occupent et auxquels nous dédions notre énergie et notre temps, tandis que le quotidien est une montagne russe pathogène? En prenant le temps qui leur a été nécessaire pour peser l’engagement de leurs pratiques, en séparant ce qui devait perdurer de ce qui n’était plus important, ces étudiant·es ont affiné, comme nous tous·tes, les lieux où iels investissent du sens.

Nous présentons leurs travaux dans les anciens locaux des Ateliers, vidés de leurs précédents occupant·es, qui ont eu la générosité de nous offrir l’opportunité d’investir à notre tour cet ancien magasin aux immenses vitrines dans la zone d’activités du Brézet. Fondée en 2012 par d’ancien·es étudiant·es de l’ÉSACM, cette association fait l’exemple des ressources qui portent le début des carrières artistiques : la collectivisation et la mutualisation des espaces, des moyens et des pratiques, le soutien des collectivités territoriales et des acteur·ices locaux·ales, la nécessité d’engager de nouvelles initiatives. Grâce aux Ateliers, nous avons l’occasion de concevoir une exposition où chacun·e peut montrer une pluralité de travaux, et par la même occasion, la diversité de sa pratique. »

Thomas Conchou, commissaire de l’exposition