programmes de recherche

Initiée en 2011, la recherche en art à l’ÉSACM s’est inventée — et continue de s’inventer — collectivement, en multipliant les situations de recherche, en élaborant ses propres objets; en expérimentant et en renouvelant ses méthodes; en produisant des espaces-temps et des formes multiples: journées d’études, entretiens et discussions, livres, films, spectacles, performances, expositions, revues, feuilleton… Les enjeux qu’elle porte aujourd’hui se sont constamment précisés et redéfinis, et animent l’ensemble des programmes et projets en cours.

À son origine, la recherche s’est fondée sur les centres d’intérêts communs des enseignants, ainsi que sur les spécificités du territoire où s’inscrit l’école: un fort rapport au paysage. S’y combinaient une approche contemplative et l’expérience des forces naturelles qui s’y exercent, une conscience de l’omniprésence de l’activité humaine qui le transforme, l’exploite et l’altère, et l’idée que le paysage est le lieu où « s’espacent » les individus, où se construisent et s’expriment les rapports sociaux. Rassemblées alors sous une première thématique intitulée « Les espaces des paysages », ces questions ont été abordées au travers d’une série de journées d’études (publiées dans un ouvrage éponyme) et de programmes de recherche (un programme de recherche est un groupe constitué d’enseignant.e.s, de chercheur.e.s et d’étudiant.e.s réuni.e.s autour d’une question de recherche commune). Ceux-ci ont été le prétexte et l’occasion de nous confronter à des paysages différents et des situations d’altérité, à travers l’expérience partagée de voyages et de séjours : Vercors, Marseille, Role (Collages en France), Marfa,Texas (L’expérience du paysage), Cotonou, Bénin (Import-Export, les paysages déplacés), mais aussi de déplacements imaginaires (Robinson/Vendredi), qui ont initié l’élaboration de méthodes et de formes communes de recherche.

Dès 2012-2013, inspiré par le contexte et l’histoire locale autant que par une actualité marquée par la crise économique et financière mondiale, une second champ de recherches intitulé « Les mondes du travail » croisait les enjeux propres au travail artistique — c’est-à-dire une activité potentiellement émancipatrice — et les questions relatives au travail économique, souvent vécu comme une contrainte mais aussi comme une composante essentielle des rapports sociaux. Ces questions ont fait l’objet d’un colloque inaugural et d’une édition, Le travail à l’œuvre.
À une époque où « créativité », initiative et invention sont placées au cœur de la production et de la consommation marchande par un capitalisme dit «artiste », dont le nouvel esprit fait subir de profondes mutations aux formes d’organisation du travail et du monde; à l’heure où tentent de se formaliser des désirs de lendemains autres, encore incertains, engager une recherche en art non pas « sur » mais « avec » le travail impliquait certes d’observer le travail, mais aussi de nous regarder travailler.
Plusieurs programmes ont abordé et exploré ces différents aspects en s’appuyant notamment sur la fiction (cinéma, littérature) : Un film infini (le travail), Machine Pollet (en collaboration avec les écoles d’art du Rhin, d’Annecy et de Nîmes); sur la mise en œuvre d’entretiens : Artistes en travail ; sur une tentative de cartographie de recherches croisées, à travers la conception de l’ephemera La pelote et la trame.

Les recherches entreprises jusqu’à aujourd’hui ont fréquemment convoqué les formes liées au cinéma et au spectacle (fédérateurs par leur dimension collective), au livre et à l’édition (autant comme source que forme de la recherche), faisant écho à la forte présence de la littérature dans nos travaux et à l’élaboration de formes de restitution et de mise en partage qui construisent un/des récit.s de la recherche elle-même.
Au sein des différents programmes ainsi que des projets menés par les chercheurs, la recherche s’est inventée « en se faisant ». Si ces deux grandes entrées des Espaces des paysages et des Mondes du travail ont, au départ, servi de point d’appui pour penser des programmes et des projets de recherche, elles ont progressivement été débordées, déplacées par l’évolution des recherches elles-mêmes, qui ont introduit des interrogations et des perspectives nouvelles, notamment dans les programmes en cours: Des exils, Léviathan, Figures de transition.
C’est pourquoi elles ne nous apparaissent plus opérantes aujourd’hui, et que nous leur préférons une question partagée plus large, aux contours incertains mais stimulants, que nous pourrions sans doute maladroitement énoncer de la sorte: « Comment (se) figurer le monde? ».
Nourris par les approches critiques des sciences et des sciences humaines, du cinéma, de la littérature et de l’ensemble des champs artistiques, nous nous employons à procéder à une révision de nos sources et connaissances. Nos champs de recherche abordent aujourd’hui, à travers l’approche de différents « milieux », (Méditerranée et Europe Centrale, Afrique subsaharienne, Midwest américain) des questions liées aux migrations et à l’exil, aux assignations identitaires, aux interactions culturelles, aux formes de résistance économique et politique. Nous y mettons en pratique des outils et des méthodologies spécifiques : recours à des trames fictionnelles (film, roman), micro-histoires versus Histoire instituée, paroles recueillies, écritures collectives, etc… Ces outils et méthodes permettent de construire les rapports du groupe et de chacun.e avec la réalité des milieux rencontrés, notamment lors des voyages qu’ils contribuent à structurer. Ces derniers nous incitent à repenser notre lieu d’énonciation : doivent constamment être déjoués le risque de l’exotisme, l’écueil de la vision touristique, la reproduction d’un regard dominant. Ils ne s’agit pas simplement de visiter ni de traverser les lieux, mais bien de les mettre en pratique ; de travailler « avec » plutôt qu’ « à propos de ». Ces manières de faire nous conduisent à des frottements féconds entre nos hypothèses, nos scénarii, et les expériences vécues, partagées, racontées, qui les perturbent et les déplacent ; à penser, plutôt qu’à des objets, en termes de situations de recherche.
Qu’elles soient « légères », provisoires, ou plus conséquentes, les multiples formes produites sont aussi des outils de la recherche en cours, et qui ne déterminent pas par avance la forme de « restitution » de la recherche. Il s’agit d’y rendre visibles et partageables les méthodologies et les processus de recherche; les étapes, les erreurs, les corrections, les commentaires, les doutes…

Nous avançons par l’agir, même lorsque nous n’avons ni préconçu ni anticipé le sort de nos actions. Nous tentons d’inventer de nouvelles façons d’agir. De nous exposer, de nous mettre en jeu. D’accepter aussi, tout en embrassant ce qui nous arrive, ce qui nous échappe.

LES PROGRAMMES EN COURS

LES PROGRAMMES PASSÉS