Portrait de diplômé·es / Claudia Urrutia

Diplômée d’un DNSEP à l’ÉSACM en 2011, Claudia Urrutia est comédienne, chanteuse, plasticienne, et fondatrice de la compagnie Zumaya Verde, basée à Clermont-Ferrand. 

Constellation de l’océan, Exposition Fantaisies Végétales. Photographie Marielsa Niels, Mise en scène et installation Marjolaine Werckmann et Claudia Urrutia.

Quel a été votre parcours avant d’entrer à l’ÉSACM ?

Avant d’entrer à l’ÉSACM, j’avais obtenu un diplôme de comédienne, une maîtrise en art dramatique, dans une école de théâtre au Chili. J’avais de l’expérience dans le monde de la scène, et je me suis formée « sur le tas » au chant et à la musique, notamment avec le groupe Barbatuques à Sao Paulo au Brésil. Quand je suis entrée à l’école d’art, je venais tout juste d’arriver en France, et j’avais été enseignante dans des écoles de théâtre peu de temps avant, en Colombie et au Chili. 

Pourquoi avoir voulu poursuivre vos études en France ? 

Lorsque l’on suit des études de théâtre, même en Amérique latine, nos références viennent d’Europe et en particulier de France. Les jeunes de ma génération rêvaient de participer au festival d’Avignon, ou de faire partie du Théâtre du soleil dirigé par Ariane Mnouchkine. En plus, dans le cadre de mes études, j’ai eu la chance de travailler avec le metteur en scène et dramaturge franco-égyptien Adel Hakim, décédé en 2017 et qui a été co-directeur du Théâtre des Quartiers d’Ivry.

En 2005, à Paris, j’ai rejoint l’école internationale de théâtre Jacques Lecoq, liée au geste et à l’image, et en particulier le Laboratoire d’Étude du Mouvement (LEM). J’y ai développé un travail plastique à travers des ateliers de scénographie, costumes et masques dynamiques. Guidée par les enseignant.e.s et architectes Krikor Belekian et Pascale Lecoq, j’ai appris à analyser le mouvement et la mise en espace du corps humain. En parallèle, j’avais obtenu une bourse pour être assistante d’espagnole en France.

Après cette expérience, je me suis installée à Clermont-Ferrand, et je souhaitais rester en France. Mais j’avais déjà 30 ans, et besoin d’un statut pour en avoir le droit. Initier un parcours au conservatoire n’est plus possible à cet âge, et suivre une formation à l’université ne m’intéressait pas. L’école d’art avait l’air d’un environnement plus libre, ouvert aux candidat.e.s de mon âge, et moins scolaire. Sans compter que lorsqu’on arrive en tant qu’étrangère, l’enjeu c’est de s’installer dans un territoire. Cela avait aussi du poids dans ma décision. J’avais toujours développé un travail plastique lié au costume, au masque, aux accessoires, mais je ne me rendais pas compte que j’avais de réelles capacités. 

Qu’est ce que votre parcours à l’école a apporté à votre pratique de la scène ?

D’abord, un travail sur l’observation, à travers les cours de dessin. Par exemple, sur la façon dont on apprend à regarder et ramener la forme que l’on observe devant nous sur un support papier. Quand je pratique le théâtre, je travaille avec mon corps, mais avec la pratique du dessin, c’est mon regard sur l’espace et sur l’objet qui a changé. J’ai été confrontée à cette nouvelle expérience sensorielle, qui part de mes mains et de mes yeux, comme un autre point de départ pour créer. 

Parmi les expériences importantes que j’ai vécues à l’école, je parlerais aussi de ma rencontre avec Jean Nani, enseignant en peinture, qui par son discours sur la couleur a ouvert pour moi un tout nouveau territoire d’expérimentation, de jeu et d’émotions, que j’ai réemployé ensuite dans ma pratique du spectacle vivant. 

Je citerais aussi la rencontre avec Roland Cognet, enseignant en volume, dont le travail autour de l’espace, de l’installation, est venu répondre et compléter des questionnements que je portais sur le rapport du corps à l’espace, le rapport de la forme à l’espace, la construction de nouvelles architectures. 

À l’école, j’ai été mise face à tous mes acquis. J’ai dû les questionner, les contrarier, bousculer mon environnement artistique ancré dans un théâtre latino-américain, et dépasser mes frontières artistiques et culturelles. Ça a été une vraie ouverture, vers des formes plus hybrides, plus perméables, et vers une transversalité harmonieuse de pratiques. 

Vous évoquiez un besoin d’ancrage dans un territoire. Comment l’avez-vous concrétisé ?

Pendant mes études à l’école d’art, j’ai continué à mener des projets liés au théâtre et à la musique, toujours dans le Puy-de-Dôme. L’école m’a soutenu en aménageant mes horaires afin que je puisse mener ces projets personnels à bien, mais malgré tout je ne pouvais pas m’absenter trop longtemps. J’ai donc beaucoup travaillé localement. Lorsqu’on est étudiant.e, on pense que les grandes villes proposent davantage d’opportunités. Mais j’avais déjà vécu dans beaucoup de grandes villes, et je me suis vite rendu compte que pour moi il était plus facile de trouver du travail dans une petite ville. Mon objectif était de créer des liens sur ce territoire, y mener des projets, et aller jusqu’au bout de mes études.

J’ai obtenu mon diplôme et je me suis trouvée confrontée à des difficultés administratives liées à mon droit de résidence en France. J’avais envie de continuer à travailler ici, sur ce territoire dans lequel j’avais construit une vie personnelle et professionnelle, et qui propose des espaces encore en création, en transformation. Je souhaitais déjà devenir intermittente du spectacle. 

J’ai alors fondé la compagnie Zumaya Verde, avec mon collègue et compagnon Julien Martin, qui a été une façon de m’ancrer dans cette ville, et me faire une place dans ce territoire-là. Je vis grâce à cette compagnie dans un espace de création permanente, de recherche, mais aussi de fragilité. Donner naissance à nos propres créations, c’est l’occasion d’ouvrir notre imaginaire aux autres, de créer un dialogue et des moments de convivialité.

Rosa, un portrait d’Amérique Latine, crédit photo Violette Graveline

Pouvez-vous nous parler de votre travail au sein de la compagnie ?

Cette compagnie travaille autour du théâtre, de la musique, des arts plastiques. Nous avons, au fur et à mesure des années, invité des artistes pour construire collectivement nos différents projets. Nous essayons de travailler de façon plus transversale et pluridisciplinaire, en intégrant des pratiques visuelles et plastiques, en abordant le travail du texte, de la musique, de la vidéo, ou encore avec l’idée d’investir des espaces qui ne sont pas dédiés au spectacle vivant. 

Grâce au soutien de la Ville de Clermont-Ferrand et du Département du Puy-de-Dôme, la compagnie commence à bénéficier d’une structure solide. Cette gestion plus administrative fait aussi partie du projet, et nous permet d’expérimenter, de travailler dans de bonnes conditions et de grandir artistiquement. La compagnie devient peu à peu véritablement actrice de la ville et du territoire, soutenue principalement par la Cour des Trois Coquins- Scène Vivante, qui est pour nous un vrai lieu de fabrique et de résidence.

Avez-vous réussi à maintenir une actualité vivante malgré la situation sanitaire ?

Pendant le COVID-19, nous avons pu continuer à créer. La compagnie a bénéficié du fond de solidarité, et nous avons reçu des aides. 

En mars dernier par exemple, nous avons participé à une résidence à la Cour des Trois Coquins pour créer « Bloody Laws », un cycle de performances, d’installations ou de formes théâtrales courtes, qui aborde la charge symbolique et politique autour du corps des femmes. Ce projet est conçu par la scénographe et plasticienne Violette Graveline et moi-même.

Cet été nous allons aussi participer au festival des Contres-Plongées à Clermont-Ferrand, avec une performance intitulée Traverser, les 9 et 10 juillet à 17 heures et 19 heures au Jardin Lecoq*. 

Traverser, cycle de performances Bloody Laws, crédit photo Violette Graveline

Parmi les projets en construction, nous travaillons aussi à une performance pour le Musée d’art Roger Quilliot qui aurait lieu l’année prochaine. 

En parallèle, je mène un travail de médiation de plus en plus conséquent, et qui me tient à cœur. Avec la plasticienne et scénographe Marjolaine Werckmann et la photographe Marielsa Niels, nous avons co-crée l’exposition « Fantaisies Végétales », un travail de médiation culturelle financé par Billom Communauté et le Département du Puy-de-Dôme. Avec des participant.e.s provenant d’horizons différents :  Maison départementale des Solidarités, régie de territoire, classes de 5e du collège du Beffroi de Billom nous avons créé 12 photographies grand format en couleurs, mêlant visages humains et matières végétales. Ce travail de transmission, au-delà du travail artistique, est très important pour moi. C’est aussi le moment où les champs professionnels s’ouvrent, une façon de se ressourcer au contact du public et de nouvelles générations.

* Les 9 et 10 juillet à 17 h et 19 h.

https://zumayaverde.com/