Portrait de diplômé·es / Solène Simon

Solène Simon a obtenu un DNSEP à l’ÉSACM en 2015. Après son diplôme, un master en Médiation et art contemporain à l’Université Paris 8, une année en master Métiers de l’Enseignement de l’Éducation et de la Formation, et plusieurs expériences en médiation culturelle, elle obtient le CAPES d’Arts plastiques avant de s’engager dans l’enseignement en collèges et lycées. En 2021, elle passe avec succès le concours de l’agrégation.

Intervalle (bleue), mine graphite sur papier, 75 x 106 cm, 2020, Collection privée.

• Qu’attendiez-vous d’une école d’art ?

Depuis l’enfance, je passais beaucoup de temps à me raconter des histoires et fabriquer des images (souvent des collages, des photographies ou des photomontages). J’écrivais beaucoup. J’attendais un espace de recherche, avec tout ce que cela englobe. Durant ces cinq années, j’ai énormément vagabondé, testé énormément de choses, découvert des outils, des médiums, des métiers, etc. En réalité, je voulais tout faire. Il a fallu choisir et se recentrer sur le sens de mes recherches, et sur mes questionnements. Les enseignant·es m’ont beaucoup aidé à cela. C’est ce que m’a apporté cette école : du temps, des rencontres, de l’espace pour expérimenter, des échanges, et une culture artistique. Oser aller voir des choses que l’on ne pensait pas aimer, puis y trouver de nouvelles sources pour questionner, enrichir, critiquer. Même si je n’attendais pas cela avant d’entrer à l’école, je peux tout de même dire que ces cinq années m’ont permis d’accepter que produire, penser, échouer, recommencer, font partie du processus créatif et qu’il n’y a pas de bonnes ou mauvaises façons de faire pour faire aboutir un projet.

• Quels étaient les médiums, sujets de recherche, expériences ou voyages d’étude, qui ont marqué votre parcours dans l’école ?

À travers la peinture, l’installation, le dessin ou la photographie, mon travail parlait des rapports entre espace et corps. Les rapports de promiscuité, de proximité, le vide, le trop plein, la frontière, les rapports entre intérieur et extérieur. Au regard de l’architecture de l’école, avec ses verrières imposantes, des questionnements sur la frontière entre espace public et espace intime sont apparus. Tout cela se traduisait différemment dans chaque médium et prenait des variations de formes. Je me questionnais sur l’espace donné à voir, et celui mis sous silence, sur les rapports entre le bavard et l’absent, notamment dans ma pratique du dessin pour laquelle je partais toujours d’une banque d’images que je constituais en amont. Les cours de Lina Jabbour, enseignante en dessin, ont bouleversé mon approche de ce médium. Elle m’a aidé à prendre confiance en moi, m’a appris à « prendre le temps » et oser aller plus loin aussi bien dans mon écriture graphique, dans mes questionnements, que dans le format. J’ai appris à travailler et penser la réserve dans ma composition. Un espace qui est encore aujourd’hui extrêmement important dans ma pratique, en ce qu’il se situe entre une continuité et une rupture qui vient trancher, stopper la forme. Je dirais aussi que l’expérience du travail que je vivais en parallèle pour financer mes études a été fondamentale. En travaillant dans un supermarché, j’ai appris à gérer mon temps et à faire de nouveaux gestes. J’ai beaucoup observé les client·es, mes collègues, mes pyramides de fruits et légumes. J’ai commencé à questionner la dialectique entre gestes artistiques et gestes au travail. Ce terrain devenait un nouvel espace de réflexion et a été le point de départ de mon mémoire de fin d’études. La moitié a été rédigé sur des morceaux de papier durant ces heures de travail, que je reprenais le soir (« Mémoire de poche », 2015) Aussi, mon expérience à la galerie Claire Gastaud m’a permis de travailler pour et avec des artistes variés. J’ai énormément appris tant dans l’organisation d’expositions que dans le marché de l’art, la régie, etc.

Mon voyage à Istanbul, dans le cadre d’un ARC (Atelier de Recherche et de Création) autour du paysage a aussi été un moment particulier. Nous avons commencé par parcourir la ville, l’explorer, la traverser ensemble. Le voyage était mené par Stéphane Thidet et Roland Cognet, enseignants en volume à l’ÉSACM. Nous nous sommes ainsi familiarisés avec une ville surprenante par la diversité de ses espaces, par son environnement sonore, ses lumières artificielles, son architecture, le Bosphore, etc. Plusieurs projets personnels ont émergé pendant ce voyage, et ces espaces devenaient des lieux de travail. Des nouvelles formes sont apparues, de nouveaux processus de création, inspirés par la puissance de la nostalgie et de l’oubli. Les ARC « Paysages » en général ont été l’opportunité d’oser voir et faire autrement. De confronter nos questionnements à de nouveaux espaces et d’ainsi les nourrir, les alimenter par des voies singulières.

• À la sortie de l’école, quels étaient vos projets ?

Je suis partie à l’Université Paris 8 en Master Médiation et art contemporain. Après avoir travaillé en galerie, au FRAC et auprès d’artistes, je me sentais à l’aise dans ce domaine. Pendant mes cours de Master, j’ai davantage travaillé l’écriture, dans le cadre d’un projet de recherche universitaire. J’ai aussi expérimenté la performance. J’ai ainsi retrouvé Carole Douillard, artiste rencontrée à l’ÉSACM, et ai commencé à questionner des sujets comme la présence de mon propre corps dans l’espace, le déplacement, la forme collective et individuelle, les divergences entre le montré et le ressenti.

J’ai également travaillé au sein du Fonds Municipal d’Art Contemporain de Paris en tant que médiatrice culturelle dans le cadre du programme « FMAC à l’école ». J’accompagnais des élèves dans la découverte des œuvres exposées. Pour la première fois, je me tenais face à des classes pour parler mais surtout écouter leurs commentaires, leurs expériences, leurs échanges, leur sensibilité. Ces expériences m’ont naturellement conduite à considérer l’enseignement des arts plastiques.

• Quels ont été les apports de l’école d’art pour appréhender le concours du CAPES ?

Les épreuves des concours du CAPES et de l’agrégation demandent une appétence évidente pour l’art et ses questionnements. Il faut savoir problématiser le sujet qui nous est donné. Pour cela, il faut des connaissances en histoire de l’art, mais aussi en littérature, musique, théâtre, cinéma, philosophie, etc. Il n’y a pas de mauvaises références, au contraire. Je ne dirais pas qu’il est nécessaire d’avoir une pratique plastique, même si ça aide assurément. Je dirais plutôt que la maîtrise d’un outil, d’un médium, est indispensable pour appréhender l’épreuve : le sujet doit nous questionner et cette maîtrise favorisera la réponse produite. On ne peut pas tout faire, l’épreuve ne dure que 8 heures.

À l’agrégation, que j’ai obtenu cette année, les épreuves diffèrent légèrement du CAPES. La philosophie et science de l’art s’ajoutent au programme par exemple. Après cinq ans en école d’art, on a balayé beaucoup de contenus. Il faut apprendre à se saisir de tout cela pour construire, parfois remettre en question ce qui a été vu, y revenir, et poser un regard neuf sur les œuvres que l’on pense bien connaître. L’école nous a souvent permis d’être en situation de nous exprimer à l’oral, de favoriser l’échange, le respect, le dialogue, et de construire sa pensée avec l’autre. Les épreuves orales de l’agrégation peuvent effrayer, mais en réalité nous avons été entraîné·es à le faire. Préparer le concours demande du temps et de l’investissement mais il faut aussi faire confiance à ce que l’on a déjà acquis.

• Poursuivez-vous une pratique artistique personnelle ?

Après l’école, je me suis entièrement consacrée à la performance et l’écriture. À cette période, je ne dessinais plus du tout. J’ai, par exemple, écrit un texte tiré d’une expérience de travail saisonnier (« Une entreprise » 2017), entièrement rédigé durant mes heures de travail. Durant deux mois, j’ai également travaillé en tant que préparatrice de commande pour Airbus et ai rencontré des travailleur·ses qui ont enrichi les recherches que je menais autour des gestes artistiques et des gestes au travail. J’ai également mené avec deux ancien·nes étudiant·es de l’école des Beaux-Arts de Paris, Jeanne Borensztajn et Pierre Delmas, un projet de commissariat d’exposition (« J’ai rencontré Jeanne alors que j’avais rendez-vous avec Pierre » 2019).  C’est un projet éditorial, qui reprend les codes d’un vernissage d’exposition dans son contenu. L’ouvrage n’est pas encore édité.

La photographie ne m’a jamais quitté mais elle se définit différemment aujourd’hui. Avec la série « Zoom », je redécouvre mes archives personnelles et donne à voir un inventaire du quotidien, une sorte de répertoire de formes, de gestes, de situations ou encore d’incidents. Je suis également revenue au dessin en 2019 et ne me suis jamais arrêtée depuis. J’ai étendu mes questionnements à une technique déjà appréhendée à l’école : des 8 répétés inlassablement pour donner forme à une matière graphique. J’ai façonné mon geste, je me le suis davantage approprié. Ainsi, je fais dialoguer différents effets de textures, rugueuses, organiques, minérales, pour créer des espaces de représentation autour de trois axes : la description, le silence et la suggestion. Ma banque d’images s’est ouverte à d’autres œuvres dans lesquelles je viens puiser des formes, des dynamiques, des mouvements. La couleur s’invite parfois pour troubler la représentation. Actuellement, je travaille sur les rapports de poids, de lourdeur et d’apesanteur qui apparaissaient déjà dans ma pratique mais que je n’avais pas maîtrisés jusqu’à présent. C’est d’ailleurs un dessin réalisé pour les épreuves orales de l’agrégation qui a éveillé mon regard sur ce sujet. Enfin, je travaille actuellement à la réalisation d’une gravure sur cuivre à l’atelier René-Tazé à Paris, sur une invitation de Bérengère Lipreau, imprimeuse en taille-douce.

• Quelles sont les particularités de votre métier ?

Au collège les élèves n’ont pas choisi d’être là, alors que nous enseignant·es, oui. À partir de ce moment-là, une pluralité de questions s’impose. Que vont apprendre mes élèves à travers les arts ? Pourquoi cette discipline est-elle obligatoire en collège puis optionnelle ensuite ? Comment, mais surtout pourquoi faire des arts plastiques ? On ne peut pas se positionner en plasticien·ne. Nous ne sommes pas là pour les faire travailler sur nos propres questionnements, mais bien les leurs. Alors il faut les aider à observer, à prendre confiance, pour qu’ils.elles érigent ainsi leurs propres règles. Nous travaillons avec elles.eux pour définir leurs espaces, leurs sujets de recherches, leurs outils et médiums. C’est un réel terrain d’expérimentation tant pour l’élève que pour l’enseignant·e. C’est un métier où l’on est très attentif·ve à son auditoire. Ce n’est pas toujours simple pour les élèves, qui se sentent parfois perdu·es. Mais l’errance fait partie du processus d’apprentissage. Construire et penser des séquences requiert de cesser de penser à ce que les élèves vont faire, mais bien à ce qu’ils vont apprendre en faisant : questionner le sens des gestes, accepter le rôle du hasard ou la place de l’autre dans un travail personnel, par exemple. En étant capable de maîtriser ces apprentissages et les adapter à leur vie quotidienne, ils.elles se font (« ce que je fais me fais »), et nous nous faisons avec elles.eux.

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