Je suis rentré chez moi, c’est en ces termes que Marcel Duchamp annonce par voie postale, en mai 1940, au couple Arensberg qu’il a été forcé de quitter Paris. Pris dans un des plus grands exodes de l’histoire française, l’artiste définit ainsi l’exil comme son pays. Cet esprit d’expatriation traverse, de manière plus ou moins explicite, l’ensemble de son travail depuis les Sculptures de voyage en passant bien sûr par La-boîte-en-valise. Cette vie mobile et son caractère arbitraire sont déjà au cœur des réflexions littéraires et artistiques des artistes qui fondent le Cabaret Voltaire en février 1916. Ils pratiquent ainsi la décontextualisation, la fragmentation, détruisent le sens (dans son acception géographique également) et produisent un écho à la dislocation géographique et politique en cours. Cet art de l’exil tend à confirmer la conclusion anxieuse des Illuminations de Walter Benjamin : « Notre âge […] est, en effet, celui des réfugiés, des personnes déplacées, de l’immigration de masse. »

Les attentats du 11 septembre et la récente crise financière mondiale bouleversent cette vision idéalisée de la mobilité et génèrent ce que l’historien de l’art T.J. Demos appelle un état de « globalisation de la crise » (crisis globalisation) faite d’un accroissement des inégalités financières et des flux de migrants et de réfugiés. Un renouveau des pratiques documentaires surgit alors et fait émerger des représentations de ces vies mobiles (Walid Raad, le groupe Multiplicity etc.)
La première année de travail du groupe a été consacrée à la figure de l’artiste en exil. Elle a donné lieu à une journée d’étude où se sont croisées paroles d’artistes et d’universitaires, performances et lectures. Des notions et questionnements ont émergé lors de ces discussions et réflexions ; elles feront l’objet d’un inventaire afin de préciser les enjeux et déterminer les méthodes de travail du groupe pour l’année à venir.