L’ÉSACM accueille Afia Rezk, artiste plasticienne, dans le cadre du Programme d’accueil d’urgence des scientifiques et artistes en exil (PAUSE), en coopération avec l’association L’Atelier des artistes en exil.
Afia Rezk est née en Arabie Saoudite, et a grandi en Syrie. Elle a étudié la peinture, puis la céramique, dans des ateliers d’artistes en Syrie, ainsi que la littérature arabe à l’université de Damas. Elle est arrivée en France et a rejoint L’Atelier des artistes en exil en 2018. En 2022, l’Ecole nationale supérieure des Arts décoratifs (EnsAD) et l’École supérieure d’art de Clermont Métropole se sont associées pour l’accueillir en tant que résidente et intervenante, d’octobre à janvier, pour la première, et de février à juillet 2022, pour la seconde.
L’association clermontoise Les Ateliers, à la Diode, met à sa disposition un atelier pendant le temps de sa résidence à l’ÉSACM.
D’où viennent les références régulières à l’artisanat dans votre travail ?
En Syrie, les métiers de l’artisanat font toute la richesse de notre culture. Ces gestes étaient très présents dans ma famille. Ma mère et ma grand-mère tissaient des paniers et des tapis avec des motifs très riches, et en particulier des motifs végétaux, caractéristiques de l’artisanat syrien. Je les ai observées attentivement. J’ai commencé ma vie d’artiste avec la peinture, ainsi qu’en produisant des installations composées de matériaux que je trouvais autour de moi. Petit à petit je me suis tournée vers la céramique. Ce rapport entre art et artisanat m’a toujours beaucoup intéressée. Le point de départ de ma recherche artistique est l’envie de comprendre la structure des éléments qui m’entourent, et une passion pour l’analyse des formes. J’ai choisi de travailler avec de la matière organique, une matière en vie. Des feuilles, des pétales de fleurs, des herbes sauvages, des graines, des écorces de fruits et de légumes ainsi que de la terre, du sable ou des cendres.
J’ai vécu en région montagneuse et en pleine nature, en Syrie, une grande partie de ma vie, et j’avais cette matière-là à portée de main. Beaucoup d’herbes, de plantes, avec des couleurs et des formes très différentes. Ces éléments m’émeuvent car ils évoquent le passage irréversible du temps. Ma pratique est très proche du mouvement artistique italien de l’Arte Povera.
Au-delà de votre pratique artistique, vous avez également une expérience de l’enseignement.
J’ai commencé très jeune à découvrir seule, à faire mes propres expériences artistiques. Puis en grandissant j’ai décidé d’enrichir mon expérience à travers l’étude de la peinture. J’ai donc étudié auprès d’un artiste qui m’a transmis sa technique, et qui ensuite m’a proposé d’enseigner à mon tour. J’ai suivi le même parcours pour la céramique.
J’ai commencé à animer des ateliers d’arts plastiques en 2005, au sud de Damas. Il s’agissait de cours de peinture et de céramique, dispensés auprès de jeunes de 2 à 18 ans, en cours individuels et collectifs, parfois auprès de jeunes en difficultés ou en situation de handicap. Je leur faisais travailler la peinture, mais aussi explorer des techniques de collage ou différentes expériences plastiques variées.
Puis quand la guerre a commencé, j’ai suivi plusieurs formations au Liban, notamment en art thérapie mais aussi des formations au soutien psychologique par l’art, pour œuvrer à la protection de l’enfance et aider les familles en situation d’urgence. À partir de 2012, j’ai convoqué ces connaissances-là pour travailler auprès d’enfants et de femmes victimes de la guerre en Syrie. On utilisait alors la peinture, et on explorait également ensemble des formes liées au théâtre, à la performance. Je les accompagnais pour donner forme à leur récit, ouvrir la parole, et leur permettre d’exprimer leurs émotions dans le cadre de leur environnement familial, de leur maison.
Quand avez-vous rejoint la France et L’Atelier des artistes en exil ?
J’ai quitté la Syrie en 2017, pour rejoindre d’abord le Liban. J’y menais une exposition intitulée « La Lumière » inspirée par les ateliers d’art thérapie que j’avais menés auprès des femmes syriennes victimes de la guerre. J’avais donc travaillé autour des rayons lumineux que je voyais passer à travers leurs fenêtres et leur porte, et qui me paraissaient être des symboles d’espoir.
Je suis ensuite arrivée en France avec mon père, mon frère et mes sœurs en mai 2018. Mon père est également artiste. Il a reçu le premier prix d’État en 2012 du meilleur écrivain syrien. Et puis c’est tout simplement une connaissance, un américain qui avait acheté un de mes tableaux, qui m’a fait connaitre L’atelier des artistes en exil. J’ai rencontré les responsables de l’atelier, j’ai parlé de mon expérience, des expositions auxquelles j’avais participé jusqu’ici, et je les ai rejoints.
J’ai intégré l’école des Beaux-arts de Paris en 2019-2020, par le biais du programme « Hérodote ». Des artistes sont invité.e.e à rencontrer des enseignant.e.s, des étudiant.e.s, et peuvent apprendre le français.
Votre projet de résidence évoque la question des ruines. Quel est le rapport de votre travail au passé ?
Les nombreuses destructions en Syrie m’ont conduite à réfléchir au potentiel de la mémoire des ruines. J’imagine les ambitions et les rêves qui s’y cachent, les histoires enterrées après les bombardements, les déplacements, l’exil. Les ruines sont le reflet de celles et ceux qui les regardent, entre le souvenir de ce qui fut et l’espoir de ce qui sera. Je travaille sur des explorations de la mémoire, ou de façon plus conceptuelle, une simulation de la mémoire qui peut changer et se déformer avec le temps. Tout cela m’a permis d’aborder la notion de résilience, notamment pendant la guerre, et m’a aussi permis une réflexion autour de la résistance.
Pendant ma résidence à l’École nationale supérieure des Arts décoratifs de Paris, j’ai mené un projet plastique intitulé Echos de mémoire avec l’artiste et enseignant Hiroshi Maeda et les étudiant.es de 4e année du département Image imprimée. Chaque étudiant.e a proposé une lecture différente de la mémoire. Certain.e.s ont travaillé sur une mémoire d’enfance, d’autres une mémoire fantasmée, d’autres encore se sont approprié.es les souvenirs de leurs proches. Avec cette matière nous avons pu monter une exposition qui comprenait à la fois de la peinture, de la gravure, de la sérigraphie, de l’édition, du collage, ou des installations.
Ces expériences de résidences sont très intéressantes. Elles viennent enrichir ma pratique. Par exemple, j’ai abordé l’édition pour la première fois avec les étudiant.es de l’ENSAD. Il s’est passé la même chose que dans les ateliers avec les enfants en Syrie. À chaque fois qu’on donne quelque chose on reçoit un enseignement en même temps. Je rejoins l’artiste Anselm Kiefer selon lequel le travail de l’artiste n’est jamais sa propre production, mais plutôt une œuvre collective.
J’ai aussi eu l’occasion de découvrir la gravure à l’école des Beaux-Arts de Paris, de travailler au sein de l’atelier de sérigraphie de l’École nationale supérieure d’art et de design de Nancy, ou encore à l’atelier de tissage à l’EnsAD.
Pendant ma résidence à Clermont-Ferrand, j’ai le projet de réaliser de grands formats ainsi que des installations. Pour la première fois depuis mon arrivée en France, je dispose d’un atelier et d’un espace de travail dédié. Et le paysage me fait penser à ma propre région, Suwayda, au sud de Damas, qui est aussi renommée pour ses pierres noires. L’atmosphère est très inspirante.
Je présenterai les pièces que je vais produire ici dans une exposition à laquelle les Arts en balade m’ont proposé de participer au printemps prochain à la Chapelle de l’Ancien hôpital général avec les artistes Annie Bascoul et Eve Laroche Joubert.