Portrait diplômée / Salomé Aurat

Salomé Aurat obtient un DNSEP en 2017. Lors de son parcours à l’école, elle développe une pratique de la peinture et du dessin déployée sur des grands formats, et s’investit au sein de la Coopérative de recherche en participant au programme Léviathan. En 2018, elle rejoint le programme de recherche Création et Mondialisation de l’Ecole Offshore à Shanghai, Chine, avec l’ENSA de Nancy. Nourrissant sa pratique artistique de différents modes de rencontres avec le public, Salomé Aurat vient d’intégrer les maisons de quartier d’Evry Courcouronnes en tant que coordinatrice culturelle.

Comment t’est venu le projet d’entrer dans une école d’art ?
Le projet de faire une école d’art est venu un peu par hasard. Originaire d’un milieu très rural dans l’Allier, j’ai très peu eu accès à des institutions artistiques ou des centres d’art contemporain. Naturellement je n’avais en sortant du lycée qu’une idée assez floue de ce qu’était une école d’art, et pourtant j’y suis rentrée dès l’obtention du baccalauréat. En revanche, j’ai toujours beaucoup dessiné et peint. J’ai eu accès à la culture de la BD, du manga, du film d’animation. J’ai eu la chance d’avoir une peintre dans mon village, qui menait des ateliers de dessin, de peinture, de modelage auprès de différents publics et auquel j’ai pu assister, ce qui a jeté les bases de ma technique actuelle. J’ai aussi suivi les options théâtre et arts plastiques de mon lycée. Mais globalement, la situation géographique des territoires où j’ai vécu et la méconnaissance du milieu de l’art ne m’ont pas aidée à faire un choix réellement éclairé. Je savais seulement que je voulais faire de l’art. C’est une fois rentrée à l’ÉSACM que j’ai perçu les raisons pour lesquelles je voulais rester dans cette voie. J’avais le sentiment -et j’ai eu raison !- que l’ÉSACM me fournirait un enseignement artistique solide dans les disciplines que je connaissais, mais aussi des ouvertures à d’autres formes, d’autres approches et sujets, ce qui était très intéressant pour ma pratique.

Quels ont été les sujets, les médiums, ou les territoires que tu as exploré pendant ton cursus à l’école ?
J’ai été très intéressée dès le début de mon parcours par la question du paysage, qui était particulièrement travaillée à ce moment-là à l’ÉSACM. Il y a eu de nombreuses conférences sur ces questions, et j’ai participé à plusieurs ARC (Ateliers de recherche et de création, format qui a disparu des maquettes pédagogiques depuis 2021, ndlr) dédiés au paysage, qui ont chacun marqué un tournant dans ma pratique. De façon générale, mon travail est poreux aux territoires dans lesquels je me situe. L’ÉSACM était une école d’art qui organisait de nombreux déplacements. Je me souviens, dès la première année, d’un ARC Paysage en Auvergne, où j’avais testé mes premières peintures sur bâches installées dans le paysage, d’un autre ARC  à Brest, ou encore en Ardèche. À chaque fois, je faisais des installations. En deuxième cycle, j’ai également participé à une résidence à Cotonou au Bénin. Ce qui devait être une exploration du paysage s’est avéré un grand chamboulement intime. J’avais toujours été touchée par des problématiques afrodiasporiques, sans avoir osé travailler sur ce sujet jusque-là. Cotonou a été le véritable élément -violement- déclencheur de ma réflexion sur les histoires et l’identité noire, métisse et/ou racisée dans différents territoires (français, rural, béninois, étasunien, chinois…), et le début d’une réflexion sur ma propre expérience, en tant que jeune femme, artiste, racisée, rurale, et mes propres savoirs situés.

Récemment tu as contribué à l’ouvrage Wild Rumors, restitution de plusieurs années de travail mené par la Coopérative de recherche de l’école dans laquelle tu t’étais investie, autour de l’histoire de la ville de Détroit, entre autres. Tu avais pris part au voyage de recherche à Détroit, avec une partie des chercheureuses, en 2018. Peux-tu me parler de cette expérience-là ?
J’ai là aussi vécu une expérience forte à Détroit, peut être plus intime que pour les autres chercheureuses. Dans mon texte pour Wild Rumors, je parle de mon expérience du monde en tant que métisse, de mon savoir situé de personne rurale et racisée. Aller à Détroit, après Cotonou, c’était pour moi partir sur les traces des déportés d’Afrique de l’Ouest et du commerce triangulaire. Lesdits esclaves déportés étaient transporté·es jusqu’au Sud des États-Unis, puis leurs descendant·es ont fuit et voyagé par des voies souterraines (the underground railroad) jusqu’à Détroit. Je me suis intéressée au marronnage, aux forêts, cela faisait échos à l’histoire des Antilles, mais également de la Creuse et de l’Allier dont je suis originaire. C’était un labyrinthe de liens dans lequel je me suis allégrement perdue. Après Détroit, j’ai eu la conviction profonde que je devais partir à la recherche de cela, du savoir situé dont je disposais sans m’en rendre compte, ou peut être en m’en rendant compte mais en ne le croyant pas légitime. Les dessins de la série Bouchures // Boundaries parus dans Wild Rumors sont le résultat de ce cheminement, des recherches et de mes réflexions sur les histoires et révoltes afrodiasporiques cachées dans le paysage rurale français de l’hexagone.

Sans titre I, 2021, 36x50cm, gouache sur papier

À ta sortie de l’école tu as été sélectionnée pour l’école OFFSHORE de Shanghai, programme « Création
et mondialisation » pour un an. Peux-tu me parler de ton expérience là-bas ?
En effet, j’ai été sélectionnée pour le programme de recherche Offshore à Shanghai, promotion 2018-2019, piloté par l’École Nationale Supérieure d’Art de Nancy et l’artiste et enseignant Paul Devautour. Le but de ce programme est de réunir chaque année une petite dizaine de jeunes artistes diplômé·e d’écoles d’art. Nous confrontons nos pratiques à cette mégalopole internationale qu’est Shanghai et participons à des séminaires, des rencontres, des workshops en réflexion autour de ce qu’est et devient le monde de l’art dans une société qui est traversée par la mondialisation. À Shanghai, nous côtoyons et nous nous intégrons à une société ultra connectée, ultra surveillée, ultra dématérialisée. C’est extrêmement futuriste et déroutant pour de jeunes artistes occidentales·aux.

Ma pratique s’est retrouvée dématérialisée· Mes dessins sont devenus des gifs (Désapparitions, 2019), que je distribuais par cartes postales et QR codes. Le QR code est ultra présent dans la vie chinoise, chaque citoyen passe son temps à payer, se connecter en scannant. Mes peintures sont devenues des vidéos en stop motion (La série des Aquariums, 2018-2019). C’était une expérience riche et très intéressante. J’ai pu travaillé avec énormément d’artistes, ou encore organiser une exposition dans un appartement Shanghaien (Huāng Yín Guān Lín à la H27 Gallery, Shanghai, mai 2019).

Peux-tu revenir également sur ton parcours d’enseignante ainsi que tes projets d’éducation artistique ?
J’ai toujours travaillé au contacts de différents publics. D’abord par le biais de l’animation, avec des enfants, adolescent·es, adultes, des publics atteints de handicaps, etc. J’ai également été surveillante. Puis j’ai eu mes affectations deux années de suite dans deux collèges et un lycée du Livradois-Forez, autour de Thiers. Il faut savoir que quand on a un diplôme en école d’art, et d’autant plus un DNSEP, on peut prétendre à devenir enseignant.e contractuel.le. Il n’est pas obligatoire de passer le CAPES ou l’agrégation, à moins que l’on veuille se stabiliser et avoir des affectations à coup sûr chaque année. J’ai pour ma part choisi de ne pas passer le CAPES, car je voulais me garantir une liberté de mouvement pour mon métier premier : artiste.
Je considère que je suis 35h par semaine au travail, mais 24h/24 artiste. Quand j’étais enseignante, je me sentais presque comme une infiltrée. Ma pratique personnelle et ma recherche me permettaient de ne pas être timide dans mes propositions à mes élèves, de leur proposer un maximum de pratiques, d’être ambitieuse pour elles·eux, et de sortir de la ronde des artistes «incontournables à voir absolument» au collège pour leur proposer d’autres noms, plus inclusifs, plus proches d’eux, notamment des femmes, des personnes racisées, etc. J’aimais également leur proposer la venue d’autres artistes, de médiateur·rices de centre d’arts tels que le Creux de l’Enfer, pour les mettre au contact de ce qu’est le monde de l’art et de l’art contemporain.

Bouchures // Boundaries,
collage, dessin au fusain et peinture acrylique sur papier, 230×380 cm.

Comment articules-tu cette activité avec ta pratique artistique ?
Le contact avec différentes populations, autre que le milieu de l’art, m’est indispensable pour travailler. J’ai besoin de rester connectée à la culture populaire, de me laisser imprégner par ses savoirs situés, ruraux ou urbain. C’est un aller et retour permanent qui me permet aussi de garder un recul sur mon travail. Ces moments hors de l’atelier, sur le chemin du travail par exemple, me permettent d’absorber beaucoup d’informations. Je prends des notes sur lequel je reviendrai, je peux prendre des photos qui deviendront peut être un support de travail plus tard. Il est souvent arrivé que je peigne des portraits d’enfants (d’après des images issues de ces archives, ou de vieilles photos de familles ou d’amis). Il me semble que l’enfance est une période très clairevoyante de la vie, même si ce n’est pas le moment où l’on sait le mieux s’exprimer.

 

Tu évoquais une transition vers une nouvelle expérience professionnelles. Concerne-t-elle aussi le champ de l’enseignement ?
Je n’en suis pas si éloignée. J’ai rejoint, depuis moins d’un mois, deux maisons de quartiers de la ville d’Evry Courcouronnes en tant que coordinatrice culture. J’ai encore très peu de recul sur mon rôle, qui va être large, mais avec des missions plus sociales que d’enseignement. Je vais faire le lien entre diverses institutions culturelles et les habitant·es et usage·res de mes quartiers, en organisant des évènements, des ateliers, des expositions. Ce nouveau rôle m’intéresse déja, car il s’inscrit dans un autre rapport avec le public. Contrairement à l’enseignement, les usage·res ont toujours le choix, ne sont pas noté·es, ne rendent pas de comptes. Le dialogue avec elles·eux sera alors, je pense, simple et naturel.

Quels sont tes projets en cours ?
J’ai quitté Clermont-Ferrand après quasiment 10 ans (dont une interruption d’un an à Shanghai) pour déménager en Essonne, à Bretigny-sur-Orge très précisément, pour des raisons personnelles mais aussi professionnelles. J’ai fais le choix de me rapprocher des institutions parisiennes, et je me laisse un peu de temps pour absorber la culture qu’elles apportent. Travailler à l’atelier et saisir les opportunités qui se présentent avant de me mettre à la recherche active d’expositions et de résidences. En ce moment, je travaille beaucoup à la peinture à l’huile et au dessin au fusain, sur différents formats. J’ai toujours travaillé grâce à des banques d’images, précieusement stockées sur mon disque dur externe.
J’entame une série de portraits en réfléchissant autour du terme «woke» («éveillé») et les abus de langage autours de celui-ci. Je peins des portraits d’individus au réveil, dans cet état flottant, le visage groggy par le sommeil plus ou moins bon qui a précédé. Cet état est pour moi assez représentatif de l’ambiance générale de la population, politique et sociale. Je me lance également dans différentes séries d’objets représentatifs de l’actualité, à première vue inoffensifs si on les regarde sans clé.

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