Anthony Duranthon a été diplômé du DNSEP en 2009. Entre photographie et peinture, il travaille à des objets hybrides qui questionnent les notions d’identité, de généalogie, travaille le corps comme motif. Après son DNSEP il ajoute à son bagage un Diplôme Universitaire en Art Thérapie qui le conduit à travailler avec des adolescent·es hospitalisé·es en centres médico psychologiques, ou des adultes touchés par des lésions cérébrales. Un parcours qui entremêle pratique artistique, transmission, et métiers du soin.
Quelles étaient tes attentes quand tu as intégré l’école d’art ?
Je suis passé par les Beaux-Arts de Lyon avant d’intégrer l’école de Clermont. La première année de Beaux-Arts à Lyon ça a été comme une classe prépa pour moi. J’ai découvert les techniques, touché un peu à tout. Je savais que j’étais intéressé par le fait de travailler dans ce corpus de métiers, de travailler avec l’image. L’art est communicatif. J’avais l’idée de travailler au contact de tout ça.
Je ne suis pas issu d’une famille très axée sur la culture, mais au lycée je suivais une option arts plastiques. Et à ce moment-là je travaillais déjà des portraits, j’explorais la peinture, la gravure, la photo, la sérigraphie. Une fois dans l’école j’ai beaucoup travaillé au contact d’enseignant·es comme Christelle Familiari, qui avait une pratique de la vidéo, la performance, le corps/action ; mais aussi Jean Nanni, peintre ; et Christophe Cuzin qui pratiquait la peinture espace. Jean Nanni par exemple m’a amené à considérer les encres, et les travailler en transparence. Il me manque des savoirs faire techniques, mais j’ai pu développer et formuler ma démarche en tant qu’artiste.
Tu ne t’es pas arrêté au DNSEP ?
J’ai enchaîné avec une formation en Art thérapie, un Diplôme Universitaire qui était délivré par l’Université de Médecine de Grenoble. Dans ce cadre-là je me suis retrouvé à faire un stage au centre médico psychologique de Clermont-Ferrand auprès d’adolescent·es hospitalisé·es. Ces patient·es vivaient des situations marquées par des questions d’identité, qui sont des questions qui traversaient aussi mon travail plastique. J’ai aussi travaillé à l’Hôpital Sainte-Marie à Clermont-Ferrand, et auprès de personnes cérébro-lésées. Après ces expériences-là je suis reparti à Lyon, et j’ai essayé de combiner l’art et le soin. J’ai suivi une formation pour être AESH (accompagnants d’élèves en situation de handicap) dans une école lyonnaise, et intégré le Centre social pour proposer de l’aide aux devoirs à de nouvelles·aux arrivant·es. Ces expériences-là faisaient encore partie de mon apprentissage. Jusqu’ici j’ai beaucoup travaillé avec le jeune public. Dans l’avenir j’aimerais me rapprocher des EHPAD et travailler autour de la mémoire. Je pense à créer une sorte de dispositif mobile qui permettent à ces personnes d’expérimenter le cyanotype, car ce processus ne demande aucune compétence préalable.
Depuis 2022 tu as intégré les ateliers Bains d’Huile, un dispositif d’ateliers-logements proposé par la Ville de Clermont dans le cadre d’un partenariat avec l’OPHIS. La ville prend en charge une partie du loyer, avec l’idée de garder sur le territoire des artistes qui contribuent à la création contemporaine. Peux-tu nous en parler ?
J’ai candidaté trois fois avant d’être sélectionné. Les ateliers Bains d’Huile mettent à disposition ces ateliers logements pour 3 artistes et pour 3 ans. On a chacun un espace dédié à notre pratique. Pour moi, intégrer les ateliers ça représente un engagement. J’ai quitté Lyon, mis de côté mes activités professionnelles autres, un certain confort financier, et je vois ça comme une période d’expérimentation. C’est un gros coup de boost pour ma pratique. Je n’ai pas encore fait tout ce que j’aurais aimé faire pendant cette expérience. Sur la dernière année qui me reste, je lève le pied sur les appels à candidature et je vais vraiment me consacrer à la création.
Pour financer mon matériel j’ai accepté plusieurs contrats et vacations, et je m’étais dit que je ne voulais travailler que dans le milieu de la culture. Donc j’ai proposé des ateliers, contribué à des mises en espace d’expositions, fait du gardiennage d’expo, et là aussi d’une certaine façon je suis encore en formation. J’apprends du travail des autres. J’ai pu travailler avec l’ITSRA (l’Institut du Travail Social de la Région Auvergne), et proposé des ateliers à Mille formes par exemple. Ces expériences nourrissent aussi mes sujets de peinture, et leur accessibilité.
Tu travailles la peinture, en lien avec la photographie. Peux-tu nous parler de ta pratique ?
La photo pour moi c’est un outil, jamais une fin en soi. J’ai besoin qu’il y ait un geste, un ajout qui soit manuel. Retravailler, redigérer ces images, à ma façon. Je travaille sur toile, sur papier, en couleur ou en noir et blanc, j’essaie de faire des choses hybrides.
Mon processus de création commence en général par le fait de travailler numériquement sur une base photographique afin d’obtenir des zones de couleur, similaires aux figurés utilisés en cartographie. Ensuite, ces zones sont redéfinies à travers le dessin.
Lorsque le dessin est transféré sur la toile ou le papier, je travaille à plat en utilisant des lavis d’encre successifs pour couvrir et recouvrir les zones délimitées. Les bordures respectives font réapparaître le dessin, tandis que le séchage à plat permet une sédimentation des pigments.
Tu travailles beaucoup le portrait, des personnages seuls, mais aussi en groupe ?
Oui j’ai développé plusieurs peintures autour de la notion de groupe en me demandant comment le corps peut faire motif. J’ai même encore la photo d’un grand format que j’avais peint pour fêter l’installation des Beaux-Arts dans cette nouvelle école de la rue Kessler (voir ESACC, 2009, encre et acrylique sur toile)
J’ai aussi besoin de questionner l’individu au sein d’un groupe. La peinture « Grey Pride », qui était exposée au Centre Camille-Claudel dans le cadre de l’exposition « Impulsions collectives » le mois dernier s’inscrit dans cette logique. C’est une peinture à l’encre de Chine sur toile, qui émerge d’une photo prise à la Gay Pride de Lyon. Un individu, coiffé d’un chapeau, tente de téléphoner tout en se bouchant les oreilles au cœur de la parade. Ce qui m’intéressait dans cette image était d’explorer l’individualité au sein de la célébration collective.
Tu as réalisé je crois une série de peintures inspirées des portraits présidentiels ?
En fait cette série des présidents s’est formée au fil des expositions. En 2010, j’ai réalisé le portrait de Nicolas Sarkozy comme une mise en abîme de la photographie officielle qui devait rester dans l’espace d’exposition à la mairie de Chanonat.
En 2015, j’ai été invité à participer au dispositif « Plasticiens en territoire » et à exposer dans une autre mairie à Mons. J’ai décidé de réaliser le portrait de François Hollande, qui a été présenté aux côtés de la photographie officielle.
J’ai réalisé le portrait de Emmanuel Macron suite à son élection pour présenter cette série dans l’espace d’exposition « La Passerelle » à Avermes.
La comparaison de la construction des images avec leurs différents symboles et postures témoigne d’un certain climat historique.
Ton travail aborde la question de l’identité et je crois que tu t’es intéressé aussi à ta généalogie dans le cadre de ton travail plastique ?
Oui j’ai participé à 3 workshops à Stary Sacz, en Pologne, dont ma famille est originaire.
La première fois c’était en 2014. J’ai travaillé autour de l’omniprésence du Pape Jean Paul II sur les murs de la ville, et de la présence de nombreuses clarisses sur la place du village. Durant ce workshop, j’ai appris à poser de la feuille d’or (autour du portrait de Jean Paul II) avec une technique japonaise enseignée par l’artiste Komoko Hisamitsu.
En 2018, deuxième workshop, j’ai peint les portraits de Marian Nowinski qui est un affichiste polonais qui était à l’origine du workshop, décédé l’année précédente, et de sa femme Teresa Plat.
En 2022, j’ai profité d’un nouveau workshop pour rencontrer ma famille polonaise. J’ai décidé d’y développer des portraits de mes grands-parents en cyanotype pour symboliquement laisser leur image dans leur pays d’origine.
Quelles sont tes projets en cours ?
Dans le cadre des ateliers Bains d’Huile j’ai été accueilli en résidence plusieurs mois à Regensburg en Allemagne, l’été dernier. Chaque année un artiste des ateliers est en échange avec un artiste allemand, qui sera ensuite accueilli à son tour au chalet Lecoq. Là-bas j’ai rencontré Barbara Muhr avec qui je proposerais une exposition intitulée « I’ll be your mirror ». C’est une proposition qui s’intègre dans l’évènement « Le mois de la créativité » du réseau CréArt. Elle sera visible du 17 au 20 mai 2024, pendant le weekend des Arts en balade.