Portrait ancien étudiant / Clément Murin

Clément Murin a été diplômé du DNSEP à l’ÉSACM en 2012.
Pendant sa formation il développe une pratique du volume, tout en poursuivant en parallèle une pratique de l’illustration. Aujourd’hui il vit et travaille depuis Clermont-Ferrand sur divers projets liés à la calligraphie, la typographie, l’illustration, la scénographie et les arts imprimés, avec des partenaires comme Vuitton, Saint Laurent, Hermès, RadioFrance, Institut Français de la mode, Netflix, Le slip Français ou encore Saint Laurent et Dior.

– Sur votre site vous êtes identifié comme un « créatif », pouvez-vous nous donner une idée du faisceau de vos activités ?

Mes pratiques sont en effet assez variées, c’est une volonté que j’ai toujours eu pour ne pas m’ennuyer et ne jamais faire les même choses.
Mes projets actuels sont principalement en direction artistique / graphisme / calligraphie & illustration, mais j’ai navigué dans différents autres domaines comme : le design textile (dessins de motifs), le décor de cinéma (fresques ou graphisme), la peinture en lettres, l’édition, le web design ou la sérigraphie.

Et en effet aujourd’hui encore c’est assez problématique pour moi de me définir avec toutes ces pratiques, le terme « créatif » est un peu un adjectif par défaut, par dépit de ne pas trouver de terme adéquat qui me convienne , le terme de « designer » ne m’a jamais emballé car fourre-tout et peu clair, « graphiste » un peu trop limitatif de mes pratiques, et « artiste » je l’associe à un peintre, sculpteur, photographe etc. qui vend ses œuvres et ne fait pas de commandes ou de prestations.

– Pour revenir un peu en arrière, pouvez-vous me parler de la raison pour laquelle vous avez souhaité entrer en école d’art ?

Honnêtement, je suis rentré à l’ÉSACM à la sortie du lycée à 17 ans, et je pense que j’étais très jeune pour avoir une vision définie et mature d’un parcours quel qu’il eût été. Je pense que j’ai voulu rentrer en école d’art pour me perfectionner techniquement dans le spectre des pratiques artistiques. Il s’avère que cela n’a pas du tout été le cas à mes yeux, et j’ai souffert d’un manque d’apprentissage technique duquel moi et d’autres élèves étaient très demandeur·euses. C’était peut-être une fausse idée de l’enseignement d’une école d’art ou bien une spécificité qui dépend de l’école vers laquelle on se tourne en France. J’avais en tête l’imaginaire collectif ancien du Maître dans sa pratique qui enseigne ses techniques d’érudit pour que l’on puisse nous perfectionner et les réinvestir dans nos projets.

Mais je définirais plutôt l’ÉSACM (de mon époque) comme une école de la pensée artistique, qui développe la manière de réfléchir autour d’une œuvre, faire ses recherches et défendre son point de vue ; la technique quant a elle doit être apprise majoritairement en autodidacte sur le tas. Il est alors plus compliqué de créer et de se projeter dans des projets quand on n’a pas les connaissances pratiques pour faire (souder, tendre une toile, peindre à l’huile etc.).
En revanche cela m’a appris à me débrouiller pour trouver des solutions aux problèmes que je rencontre, peut-être parfois plus bancales mais qui fonctionnent. C’est ce qui m’a aussi amené à diversifier mes pratiques sans la peur de ne pas savoir faire, car je pouvais toujours apprendre à faire.

– Quelle était la nature de votre travail dans l’école ? Qu’est ce qui a marqué votre pratique actuelle ?

À partir de la fin de 3e année je me suis spécialisé dans une pratique de la sculpture à base d’assemblage de bois, métal et verre, évoquant des reliques de structures architecturales. Cette pratique est née de recherches de petites maquettes de papier et de balsa que je réalisais ensuite à plus grande échelle si la construction paraissait viable. L’idée d’en faire des formats monumentaux n’est venue que dans un second temps de ce qui n’était que des expérimentations à l’image d’un jeu de construction, avant d’y trouver un fil rouge de sujet de créations multiples qui faisait sens.

Ma pratique actuelle est constamment impactée par mon apprentissage à l’école, majoritairement intellectuellement où je pense que l’école d’art amène à traiter tout projet avec un regard transversal, qui peut amener à des propositions originales hors des sentiers battus. Cela peut plaire sur des projets créatifs mais m’a aussi desservi lorsque je montrais mon portfolio aux agences de graphisme/communication où la majorité de leurs projets sont plus corporate et où le profil trop créatif effraie, j’imagine par peur d’un manque de réalisme dans les réalisations.

– Aujourd’hui vous travaillez dans des domaines très différents notamment liés au graphisme, au design, etc. Comment avez-vous développé cette pratique dans une école d’art option art ?

Ces pratiques graphiques diverses étaient en effet déjà un peu présentes lorsque j’étais à l’école. L’illustration notamment, a été assez vite été refoulée par le corps enseignant car elle n’avait pas sa place pour eux dans une école option art (c’est en tout cas mon ressenti). Je peux le comprendre mais c’est dommage car cette appétence pour l’illustration aurait pu être encouragée et reconnue pour sa valeur artistique. Il s’avère que j’ai continué de mon côté pour mon plaisir en dehors du cadre de l’école, telle une activité parallèle de débouchés potentiels, ce qui m’a permis de me faire la main pour ensuite participer à des concours (Hermès) ou des appels à candidature (Robinson-les-Bains, Chromatic Festival) qui m’ont fait rentrer dans le monde de la mode.

– Pouvez vous nous parler de vos projets de calligraphie ?

À l’école je m’étais beaucoup penché sur les mots, leurs sens et perception, pour mon diplôme de 3e année j’avais présenté mes premières sculptures tautologiques à base de mots. L’idée étant de représenter le mot physiquement et que sa représentation emphase sur tout ce qu’évoque ce mot – par exemple avec « ICE » rappelant formellement un iceberg abstrait fait à base d’une plaque de métal pliée peinte en blanc et bleu ciel ou « KLANG » l’onomatopée évoquant le bruit du métal frappé, comme extrudée du sol, en métal peint en vert de gris tel les toits parisiens fait de cuivre. Mon mémoire traitait des enseignes et l’affiche publicitaire dans l’art contemporain, et mon DNSEP imaginait des structures architecturales évoquant les panneaux publicitaires évidés de leurs affiches et donc messages, laissant à voir ce qui se trouve derrière les images. En soi le travail autour de la lettre me trotte depuis longtemps dans la tête.

La calligraphie est un développement de ma pratique du dessin. J’ai découvert une complexité de construction et de justesse très exigeante dans le dessin de lettres : un nouveau challenge. Cela venait compléter un travail d’illustration où dessin et typographie/ calligraphie étaient complémentaires. Je ne me suis professionnalisé que bien plus tard, autour de 2016 lorsque j’ai déménagé à Montreuil pour me rapprocher de l’effervescence artistique. Sur place j’ai rapidement été confronté au coûts de la vie parisienne et que les opportunités artistiques ne tombaient pas forcément du ciel si facilement, surtout en ayant une personnalité plutôt réservée comme la mienne. Je suis tombé sur une annonce d’agence à la recherche de calligraphes freelance, à laquelle j’ai postulé alors que je ne maîtrisais pas tellement le sujet. Mais en m’entrainant quelques semaines/mois j’ai pu être opérationnel pour partir en mission chez les premiers clients ou à l’agence pour écrire des dizaines ou centaines de cartons, enveloppes, sitting cards, etc. Depuis je ne travaille plus qu’occasionnellement avec les agences où les conditions de travail ne sont pas très équitables pour le calligraphe. Je me suis fait mon portefeuille de clients en direct qui font confiance à mon travail pour leur défilé ou évènements.

C’est dans les faits un travail peu créatif qui demande de ré-écrire des pages de tableaux Excel de listings de noms mais dans un milieu privilégié qui estime la belle écriture, je me sens plus artisan qu’artiste sur cette pratique.

– Vous avez aussi été amené à concevoir des motifs pour de nombreuses marques de textile, notamment Rue Begand, Le Slip français ou encore Hermès, quel est votre processus de travail sur ce type de projet ?

La conception de motifs textiles est pour moi un travail d’illustration au même titre qu’une affiche ou une couverture de livre mais devant s’adapter aux contraintes propres au support textile (raccords du motif, gammes colorées textile, trame du tissu etc.)
Le processus est un travail de commande où soit on me donne un thème général dans lequel j’ai carte blanche, je fais mes recherches d’idées de motifs que je propose au directeur artistique qui choisit sa sélection que je peux retravailler ensuite, soit le DA a une idée précise de visuels et on travaille ensemble pour que j’illustre avec ma patte les idées qu’il a en tête.
Je peux autant travailler en illustration digitale qu’en illustration traditionnelle ou en collage numérique intégrant des gravures de la Renaissance ou d’atlas animaliers.
Le déroulement est généralement assez long et les motifs sont souvent créés un an avant la sortie réelle dans les collections, et c’est toujours plaisant de voir un produit fini physique avec ses créations sortir d’un atelier de confection.

– Comment ces marques (LVMH, Netflix, etc), qui sont des entreprises d’une autre échelle, arrivent-elles jusqu’à vous ? En temps que créateur quels sont les leviers que vous avez activé pour faire connaitre votre travail ?

En réalité je pense avoir eu une grande partie de chance dans mes rencontres et opportunités, ce qui ne dénigre pas le travail que j’y ai mis depuis toutes ces années, c’est un mélange des deux qui fait mon parcours. Je suis très mauvais côté relationnel et commercial et je n’ai jamais su me vendre ou démarcher proprement. Les projets sont souvent venues à moi naturellement petit à petit.
Pour les marques dans la mode et le luxe, ce sont des clients pour lesquels j’ai travaillé d’abord en agence et qui ont pu me rappeler après. Un réseau se créer sur le temps long et la confiance vient ensuite quand les projets se passent bien. Ceci dit dans ces milieux rien n’est jamais acquis, le comportement et le travail doivent toujours être exemplaires et compétitifs au niveau des tarifs, malgré les moyens dont disposent ces entreprises.

Pour les travaux de décors pour le cinéma et les séries, c’est l’heureux hasard d’un copain qui était en école d’architecture (en face de l’ESACM à l’époque) qui a bifurqué dans la déco et qui des années après l’école m’a proposé de participer à plusieurs projets très chouettes, on ne peut pas du tout prévoir quelles rencontres passées vont amener à des débouchés à l’avenir. J’ai aussi souvent essayé de rencarder des amis sur des projets que je voyais passer lorsque je les pensais compétents, c’est un échange de bons procédés qui tire tout le monde vers le haut si on essaye de s’entraider.

Donc je n’ai pas tant de leviers, c’est surtout maintenant mon réseau qui me ramène des projet. Je suis encore aujourd’hui en recherche pour améliorer ma visibilité pas excellente, je mise sur Instagram comme vitrine et depuis 1 an ou 2 je commence à avoir des personnes ou entreprises qui me contacte depuis mon site internet.

– En parallèle vous gardez sur certains projets une approche plasticienne, par exemple avec cette installation à la cité de la Mode pour le festival Chromatic en 2015. Est-il difficile ou au contraire naturel d’évoluer avec des pratiques plurielles ?

En effet, cette année j’ai été invité à participer à l’exposition « Anatomie du Labo » qui propose à des artistes de faire une œuvre en rapport à un court-métrage pendant la période du festival, j’ai été très content de pouvoir re-produire dans un cadre artistique sans la contrainte d’un client. Mais ce travail je n’arrive pas vraiment à le faire tout seul lorsque j’ai des creux entre 2 projets pro, sans cadre précis auquel je me suis habitué, je me perds dans mes idées et mes pratiques diverses et n’arrive pas à aboutir à des créations qui me satisfassent. J’ai aussi un degré d’exigence très élevé avec moi-même et j’estime devoir sortir des projets « parfaits » au vu de mon expérience et je me met une certaine pression de productivité qui est aussi symptomatique de la société aujourd’hui.

Dans l’idéal je souhaiterais vraiment trouver une forme artistique qui mêle les différents médiums que je pratique et pourquoi pas partager mon temps à 50/50 entre créations personnelles et travail de commande, c’est encore un axe d’amélioration auquel j’aspire.

– Sur quoi travaillez-vous actuellement ?

Je travaille actuellement sur la refonte de l’identité visuelle de Maison Vieillard, un chocolatier historique de Clermont datant de 1781. Mi-juin je calligraphie pour le défilé Dior Homme pour la collection été 2025, et normalement un déplacement pour un défilé croisière à Hong Kong avec eux se profile également dans le courant d’année. Autrement je travaille sur des recherches pour des projets personnels de sérigraphie et de linogravure. J’ai peu de visibilité à moyen terme sur le travail dans les mois à venir, c’est un des défauts du métier où il est assez dur de se projeter à long terme.

  Je suis aussi membre à l’atelier Amicale Graphique, qui est mon bureau au quotidien, c’est un regroupement de free-lance/graphistes où nous produisons aussi de la sérigraphie, gravure, letterpress et céramique, et nous  visons à developper plus de projets communs d’arts graphiques et d’expositions collectives.

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