Samira Ahmadi Ghotbi a étudié la peinture à la Faculté d’Art et d’Architecture de Téhéran avant d’intégrer l’École supérieure d’art de Clermont Métropole où elle a obtenu un DNSEP. Elle a ensuite intégré la Coopérative de recherche de l’ÉSACM avec un projet de recherche autour de la mémoire. Vidéo, dessin, performance, sculpture, écriture, les médiums qu’elle utilise sont choisis en fonction de l’histoire, globale ou intime, qu’elle souhaite raconter.
Peux-tu nous parler de ton parcours, avant d’entrer à l’école ?
J’étais en dernière année de licence à la Faculté d’art et d’architecture de Téhéran, quand nous avons décidé, avec une amie, de quitter l’Iran pour continuer nos études. Nous avons commencé à étudier le français et une réunion à l’Alliance Française nous a permis d’avoir une vision plus précise des études en France. J’ai candidaté à l’ÉSACM pour la simple raison que c’est une des rares écoles qui acceptaient que je passe l’entretien d’admission en visioconférence. Je suivais l’option peinture à la Faculté d’art et d’architecture de Téhéran à l’époque, et j’avais une belle image de ce qu’étaient l’art et la littérature en France. J’ai intégré la 3e année à l’ÉSACM. Le processus de visa a pris trois ans.
Etudier en université d’art en Iran et en école d’art en France sont deux choses très différentes. Les pratiques que j’étudiais en Iran étaient très académiques, très axées autour de la technique, de l’anatomie, du modèle vivant. Pendant mes six ou sept premiers mois à l’ÉSACM, je n’ai presque rien produit, j’étais complètement perdue. L’équipe m’a laissé libre et tranquille. Je ne subissais pas de pression de production. J’ai été étonnée d’être présentée au diplôme. Mais au fur et à mesure, j’ai réussi à trouver ma logique de travail. Bien sûr l’héritage iranien est toujours présent dans mon travail, je ne peux pas m’en détacher. Mais j’ai trouvé la façon de me l’approprier.
À l’école j’ai beaucoup travaillé le dessin, puis j’ai commencé petit à petit la vidéo et l’installation. Mais le dessin a été au cœur de mon travail et visible dans ces autres pratiques. Les propositions de l’école étaient souvent des déclencheurs, comme le programme de recherche « L’intercalaire » auquel j’ai participé, ainsi que les rencontres avec des artistes et intervenant.e.s extérieur.e.s. La rencontre avec Rémy Héritier, danseur et chorégraphe, qui était chercheur à la Coopérative de recherche à l’époque et qui aujourd’hui enseigne la danse à l’école, m’a peu à peu conduit à la performance. Cela m’a permis d’assumer mon corps et ma voix pour me mettre en scène, sortir des pages de papiers et de dessin. J’ai vécu alors une transition depuis une pratique un peu timide, vers des pratiques plus partagées et plus assumées.
En 2018, Rémy Héritier m’a invité à participer à un projet de recherche intitulé « L’usage du terrain » et mené par le Centre national de la danse, les Laboratoires d’Aubervilliers et la ville de Pantin. J’ai travaillé trois semaines sur la notion de traces dans un stade abandonné à Pantin. C’est comme ça que j’ai investi le champ de la performance en compagnie de Rémy et de son équipe de danseurs. La même année, j’ai proposé une performance au Salon de Montrouge.
Tu as intégré la Coopérative de recherche après ton DNSEP. Autour de quels sujets travaillais-tu ?
Etudiante, j’avais participé à un programme proposé à l’époque qui s’appelait « Intercalaire ». On était huit artistes et étudiant.e.s à travailler au sein de ce programme, autour du sujet la latence, de l’ennui. On essayait de déconstruire l’idée selon laquelle le « faire » était la seule manifestation de la productivité. On expérimentait le fait de produire, sans nécessairement aboutir à des objets ou des formes. Ce programme m’a donné envie d’intégrer la Coopérative de recherche, après avoir obtenu le DNSEP.
Pendant trois ans au sein de la Coopérative, j’ai pu travailler avec des artistes et des chercheur.e.s. Je n’ai pas ressenti la solitude qu’on peut ressentir quand on sort des beaux-arts. La Coopérative m’a aussi offert un confort matériel : une bourse et un lieu de travail.
En 2019, j’ai passé le DSRA (Diplôme supérieur de recherche en art) qui a pris la forme d’une exposition et d’un parcours performatif à la Galerie de la Cité internationale des arts. J’y étais en résidence depuis plus d’un an et je trouvais pertinent de passer mon diplôme en dehors de l’école. Je voulais clore et rendre compte de ces deux expériences conjointement, mon projet de recherche à l’école et ma résidence à la Cité.
Pourrais-tu définir ta pratique ?
Je travaille souvent à partir d’une histoire, intime, familiale ou culturelle, des « micro-histoires ». À partir de ces histoires-là, je cherche et je propose des formes. Ça peut être de la performance, de l’écriture, de la vidéo, de la sculpture, du dessin, etc. Mon travail s’inspire de l’Iran, de son histoire et de son actualité. Mais j’’essaie de trouver un langage qui sera lisible et visible au-delà des frontières d’un territoire spécifique. Je traite des documents historiques, des images d’archive ou des récits, dans le contexte social et politique d’aujourd’hui.
Depuis quelque temps, je travaille autour de la chasse, de la figure de l’animal comme métaphore du corps chassé. Pour le DSRA, j’avais déjà travaillé sur un journal de chasse iranien de la fin du XIXe siècle, pour proposer une performance collective et narrative effectuée par cinq femmes qui s’intitulait « Le cercle du chaudron ».
Depuis mars et jusqu’à fin avril 2021, je suis en résidence à Chanonat avec l’association Champ Libre, et je développe un thème similaire. Je suis à la recherche de formes qui évoquent un entre-deux : entre l’homme et l’animal, entre la proie et le prédateur. Je réalise dans ce cadre un travail de sculpture, en tissu et en latex essentiellement. Je m’inspire des gants de fauconnier, à mi-chemin entre l’habillement et la seconde peau, l’outil de chasse et le piège. Je m’intéresse au faucon comme étant à la fois chasseur et l’animal exploité.
Où et comment travailles-tu ?
Je vis entre l’Iran et la France. Et depuis 3 ans je vis à Paris. J’ai été lauréate de la commission de la Cité internationale des arts 2018. J’ai eu la chance d’avoir un espace de vie et de travail grâce à cette résidence à la Cité. Ensuite j’ai intégré un lieu de résidences d’artistes appelé « Espace en cours ». Julie et Didier Heintz, historienne d’art et architecte, mettent à disposition des artistes quatre studios au sein de leur immeuble, avec un espace commun de travail. À mon retour après ma résidence à Chanonat, je devrai trouver un nouvel atelier.
Depuis mon arrivée à Paris j’ai essayé de trouver un équilibre entre mon travail alimentaire et mon travail artistique. Mais ce n’est pas toujours évident. L’année dernière, je n’étais pas tout-à-fait satisfaite de mon exposition « De toute la longueur d’une main, à 45 pas de distance » au GAC d’Annonay. Car ayant un emploi à temps partiel de 29 heures par semaine à l’accueil de Grand Palais, je n’ai pas eu assez de temps ni la concentration suffisante pour préparer l’exposition.
Ces dernières années, j’ai passé du temps à répondre à des appels à candidature, monter des dossiers, mais ce n’est pas un exercice dans lequel je suis très à l’aise. D’ailleurs, cette année, je me concentre sur mon travail, et je ne postule pas pendant quelque temps. Je me rends également compte que les plus belles opportunités et les plus beaux projets qui m’ont été proposés l’ont été grâce à des invitations d’artistes ou de professionnels de l’art.
Comme l’exposition collective de « Distopical encounter » à Bangkok, à l’occasion de Offsite project mené par la galerie In extenso, à l’invitation de Benoît Lamy de la Chapelle, ancien directeur de la galerie en janvier 2018.
Je pense également au Dôme Festival, une proposition de Constantin et Baptiste Jopeck, artistes et cinéaste. Constantin est actuellement membre de la Coopérative de recherche de l’ÉSACM. Il s’agit de deux semaines de résidence dans une magnifique maison à Montbazon, une ambiance joyeuse et avec des artistes intéressant.e.s.
As-tu des expo ou projets en cours ou en préparation ?
Je suis actuellement en résidence au Champ Libre à Jussat, un lieu-dit de Chanonat. Une exposition aura peut-être lieu à la fin de la résidence. J’expose également à homealonE, un lieu associatif à Clermont-Ferrand.
Marjolaine Turpin, artiste et ancienne étudiante de l’ÉSACM, m’invite également à participer à une exposition au centre d’art du Parc Saint Léger à Pougues-les-Eaux, où elle a été en résidence durant l’automne 2020. Nous réfléchissons à l’exposition ensemble pour le mois de juin.
À l’automne 2021, je participerai au festival « Plastique danse flore » sur une nouvelle invitation de Rémy Héritier au potager du roi, à Versailles.