AVEC : Valentine Antoine, Hillary Korkut Benkemoun, Axelle Berthin, Maïlyss Borges, Mathilde Champain, Céleste Cherche, Valentine Da Cunha, Agathe Egret, Charly Fredon, Eulalie Gornes, Taïs Gutin, Andrea Malapert, Marjolaine Muller, Amélie Papon, Ismaël Peltreau, Messaoud Soufari.
COMMISSARIAT : Liza Maignan
DESIGN GRAPHIQUE : Maya Bellemin
→ Vernissage, mardi 16 septembre 2025, 18h-21h
→ Soirée performances, mardi 7 octobre de 18h-21h
Ouverture du lundi au vendredi de 13h à 18h, ainsi que le 20 septembre 2025 de 10h à 17h pendant les Journées européennes du patrimoine.
« Il y a deux ans, sur les recommandations d’Olga, j’ai acheté un livre jaune sur le marché de la poésie. Alors que je commençais à en lire les premières pages, j’ai réalisé que je venais de tomber sur le livre que j’aurais moi-même aimé écrire. J’ai arrêté ma lecture au bout de quelques pages : par peur de le copier inconsciemment si je me mettais à écrire par la suite ou par frustration de déjà trop l’aimer. Deux ans plus tard, cet hiver, Louise m’a offert ce livre — sans savoir que je l’avais déjà, sans savoir que j’en avais interrompu la lecture deux ans plus tôt. Alors que je voyageais en train entre Paris et Bruxelles, sans batterie sur mon téléphone pour scroller, j’ai décidé de me replonger dans ce livre. À la fin de ma lecture, c’était confirmé : c’est bien le livre que j’aurais moi-même aimé écrire, même s’il n’aurait jamais été ce livre. Ce livre s’intitule “Quand je ne dis rien je pense encore”, il est signé de la plume de Camille Readman Prud’homme, une autrice canadienne pour laquelle j’ai désormais une profonde affection littéraire. Si j’ai choisi de convoquer le titre de ce livre et cette anecdote de lecture qui l’accompagne, c’est avant tout pour introduire une notion qui me semble récurrente et commune dans les écoles d’art, et qui revient souvent dans les discussions que je peux avoir avec des artistes — plus ou moins jeunes : cette question de la citation, de la référence, des artistes et des pratiques que l’on regarde, que l’on admire et que l’on jalouse à la fois, et qui pourtant infusent dans nos propres pratiques, consciemment ou non. Des influences avec lesquelles nous ne sommes pas toujours à l’aise, parce que nous nous sentons trop proches, et avec lesquelles nous apprenons alors à instaurer une certaine relation, une certaine distance et regard critique vis-à-vis d’elles, pour ne pas nous perdre ou, au contraire, les embrasser consciemment — qu’est-ce que cela provoque alors ?
Le titre de ce livre évoque le caractère parfois ambiguë des œuvres dans leur contexte d’existence — celui de la première exposition, qui peut paradoxalement provoquer une forme de silence apparent — si l’on refuse de les écouter ou si aucune parole ne les accompagne. Et pourtant, même muettes, elles débordent de pensées, de gestes, d’une essence qui leur est propre, parfois plus bavarde que nous. C’est alors que le geste du collage, du séquençage de ces paroles, se déploie dans l’espace : entre les œuvres. Comme des didascalies discrètes, elles les accompagnent, se répondent, se font écho ou construisent ensemble une phrase commune — à la manière d’un cadavre exquis, ou des conversations enchevêtrées d’un dîner autour d’une grande table : nous glissons, basculons, d’un récit à l’autre, emporté par la frénésie de l’oralité : revenant sur un souvenir partagé, narrant un récit à la nature émotionnellement variée, isolant un corps pour lui confier une histoire intime, destinée à n’exister que dans une seule oreille. Les phrases se libèrent de leurs majuscules, se passent de point final. Elles se faufilent de bouche en bouche. Peut-être pourrions-nous essayer d’entendre les fragments de ces discussions suspendues entre les œuvres, nous laisser guider par ces récits entrecroisés, comme un courant d’air de pensées, qui soufflerait à notre oreille comment elles se sont toutes retrouvées ici.
. . . j’entends valentine parler du poids de la mémoire, à l’image d’un corps absent évoqué par une sculpture suspendue, elle invite notre corps à s’étendre et se lover sur une surface rose et moëlleuse, qui garde un instant le souvenir de notre attention, l’abaissement de notre regard, désormais à la hauteur d’un fragment de corps à l’arrêt — maïlyss, attrape son casque et nous plonge, dans l’écoute d’un bruit sous-marin, d’une intimité cachée dans la matière acoustique de l’eau, comme si les ondes des mots énoncés se reflétaient à sa surface, maïlyss se cache aujourd’hui dans les fluides, mais elle lira bientôt hors de l’eau * — à travers la serrure sans clef d’une porte de fortune, nous observons ismaël en train de sculpter l’unique clef qui lui permettra de s’échapper — marjolaine sort de son sac quelques photographies aux blanc cramés et aux noirs profonds, des scènes d’un quotidien intime, de son chien (marjolaine se met à chanter*) — alors axelle, nous explique qu’elle façonne des grilles – qui protègent autant qu’elles enferment – comme des bijoux, laissant les soudures brutes comme une parure, appréhendant la torsion du métal comme un dessin dans l’espace — derrière un rideau de velours, eulalie, nous fait tomber comme alice, dans le revers d’un monde aussi féérique qu’horrifique, dans le reflet d’une poupée sans visage, assise sur une balançoire qui ne se balance pas, nous sommes face à notre propre reflet qui l’accompagne, nous confrontant à une forme d’impuissance dans cette scène mise en pause — taïs, confie à ses œuvres la tâche de restituer et de réparer l’expérience d’une violence vécue, elle cristallise une dissonance matérielle à travers la présence de trois matériaux antagoniques : l’imaginaire d’un feu brûlant, éteint par l’eau, accueillant désormais des papillons de cire – risquant de fondre à chaque instant ; plus loin, un texte — andrea, a ouvert le frigo avant de nous parler : dans ce corps érigé vide, seule la lumière appelle notre regard vers quelques pétales de fleurs déposées, entre deux états : ni vivantes, ni fanées, elles s’offrent à nous dans toute leur vulnérabilité, cristallisées comme les restes d’une histoire terminée, conservée dans cette lumière chaude qui dissimule une froideur imperturbable ; cet été andréa m’a fait lire des histoires – elle vous les racontera plus tard * — messaoud est installé dans un fauteuil en cuir, il convoque une forme d’oralité contemporaine : celle d’un live twitch – il conte l’histoire de jean eugène robert-houdin, un célèbre magicien français, envoyé en algérie avec pour mission de discréditer la pratique des marabouts algériens, renversant cette histoire collective vers un imaginaire personnel queer — mathilde est à côté, j’essaie d’entendre les bruits issus de ses gestes lorsqu’elle tisse, lorsqu’elle sculpte, rythmée par le temps de son propre corps : une corde nouée par la vitesse industrielle est méticuleusement dénouée de ses deux mains, révèle ses fibres intérieures, intactes de toute rencontre avec des forces extérieures, contenant en leurs liens, la puissance d’une résistance qu’on attendait d’elles — dans le tableau excel qui compose la liste d’œuvres de cette exposition, les œuvres de hillary dialoguent ensemble :
fontaine – j’ai rempli avec des pommes parce que c’est comme ça qu’il a toujours dit
lampadaire – il paraît que ça porte chance
fontaine – ça parle encore ou toujours d’anecdotes
mon père m’a rapporté pourquoi il m’appelait comme ça
et puis ça vient aussi d’une kermesse, on jouait à la pêche aux pommes
lampadaire – l’ensemble rejoue une scène banale, croisée souvent, peut-être un jour où il s’est passé un truc
les sculptures d’hillary sont comme des micro-récits-mignons-mensonges que l’on crée lorsqu’on déforme légèrement la réalité d’une histoire vécue, car il nous manque un bout du souvenir ou que deux histoires se superposent dans nos mémoires, devenant la scène d’un théâtre mental, aux décors qui flirtent avec l’absurde — amélie nous fait alors remarquer qu’on est toustes sur nos téléphones, contraignant nos pouces à scroller vers le bas comme si on cherchait indéfiniment le fond du monde, on s’écoute entre deux états de nous-même : des êtres biologiques traversés par des substances technologiques qui nous hybrident — depuis la rue, valentine pose son regard sur des corps muets qui dansent une chorégraphie du quotidien ; celle des gestes inconscients, qui soulagent des stigmates du labeur et des tâches répétées qui imprègnent notre mémoire musculaire — agathe ferme les yeux, elle décrit les couleurs qu’elle voit à travers les parois de ses paupières, fermez les yeux, vous entendrez les bruits d’une balade en forêt et la voix d’agathe* — les yeux de charly traversent des architectures issues de l’imaginaire science-fictionnel, une sculpture semble figée, provoquant un vertige poétique : entre la fragilité de sa matière et la présence de nos corps en action : un simple geste pourrait tout faire basculer — un fond sonore rythme notre déambulation : céleste court à travers un paysage montagneux, infini, puis donne la parole à lou, scientifique, évoquant l’analogie entre les méthodes de recherches artistiques et scientifiques . . . »
Liza Maignan, commissaire de l’exposition