Une discussion entre Kevin Desbouis et Valentine Ridde
Kevin Desbouis : Valentine, tes pièces me donnent souvent l’impression d’être dans ce moment d’attente qui précède un concert ou un rendez-vous galant, qu’en dis-tu ?
Valentine Ridde : Je crois qu’au final, c’est un peu dans ce moment-là que tout commence, ça laisse de la place à l’imprévu… et… il se passe toujours une multitude de choses durant ce temps-là. Je dirais que c’est comme un raccourci où le retard devient acceptable. Et il me semble que dans mon travail, ça commence comme ça… je veux dire par là que les rendez-vous deviennent des prétextes pour créer… une sorte d’invitation à partager une histoire dans un temps donné mais dont le spectateur n’aurait qu’une bribe, il y a donc pas vraiment de début, ni de fin.
KD : Aussi, je commets déjà une erreur, car je ne suis pas certain qu’il s’agisse toujours à proprement parler de pièces. J’ai le sentiment qu’une grande partie de ta pratique consiste à déformaliser les choses non ?
VR : Oui, j’ai jamais réellement su ranger les pièces dans leurs boîtes, et « formaliser » les choses me donne la chair de poule… à mon avis, il faut toujours garder une issue sous le tapis ou une sortie de secours…
KD : Il y a quelques années tu portais ce pull à paillettes dans l’obscurité, et lorsque tu craquais des allumettes les paillettes disposées sur le pull se rappelaient à nous. Plus précisément, je crois que cela produisait… cela créait un clignement, comme un courant alternatif. À mon sens, c’était ton feu d’artifice personnel. Ce que je veux dire… ce que tu désires faire de ta vie, un art de la non-célébration, du non-évènement… de l’opportunité manquée… et on revient à l’idée de ne pas faire de pièces au sens strict, échapper à la pièce, et dans ce cas, tout est changé…
KD : Chacune de tes propositions contient en elle-même l’idée d’un délai, ou d’un laps de temps. (J’indique que laps est aussi le mot anglais pour désigner un tour de piste dans un circuit automobile) Ces deux mots constituent à mon sens un véritable enjeu dans ton travail. L’idée même que le temps artificiel de la présentation, de la représentation déborde de son cadre, se passe presque hors du temps… Je n’ai pas vraiment de gêne à te décrire comme une artiste conceptuelle, ou une performeuse qui s’ignore.
VR : Quel tête-à-queue ! Je peux dire que mes joues rosissent…
Oui, la performance est quelque chose vers lequel je tends de plus en plus, et ce vers quoi je veux tendre davantage. C’est amusant parce que je repense à quelques années en arrière… il m‘était incapable de réciter une poésie en public…
KD : On me racontait que Jean Pierre Léaud avait des crampes terribles à la mâchoire, que ça pouvait durer des heures, qu’il y avait des images de ça. Rien sur google… Quelles images vont survivre au fait de ne pas être sur google ? J’ai le sentiment que tu as comme une forme de réticence à l’idée de garder une trace de ce qui advient lorsque tu interviens quelque part, je me trompe ?
VR : C’est drôle que tu parles de ça, parce qu’en ce moment je regarde « OUT 1 » de Rivette, et Jean-Pierre Léaud joue un muet. Et oui, je crois que j’ai un problème avec les images, avec le fait de vouloir à tout prix capturer un moment, garder une trace, et ça va de pire en pire avec les nouvelles technologies, une consommation qui laisse de moins en moins de place à l’expérience. Dans Le Banquet de Platon, il y a Socrate, qui arrive en retard…