Pierre Frulloni

Pierre Frulloni vit à Toulouse.
Diplômé d’un DNSEP à l’ESACM en 2014, Pierre Frulloni a obtenu le DSRA (Diplôme Supérieur de Recherche en Art) à l’ESACM en 2017.

« Aujourd’hui l’histoire bascule vers le dernier rivage, océanique, vers la fin du monde, vers le Finistère » écrit Paul Virilio dans son livre Le littoral, la dernière frontière en 2013. En effet les frontières sont en voie d’obsolescence et même si l’on édifie des murs un peu partout, ce n’est qu’en réaction à ce mouvement de fond qui affecte notre monde et fait du littoral, et plus précisément de ce qu’on appelle le trait de côte, la dernière limite, celle qui sépare la matérialité du territoire de la dynamique du flux.
C’est dans cette marge instable que je tente d’installer mon travail de recherche. À pied, en voiture, en bateau, je suis parti à la rencontre de ceux qui y vivent, la construisent, la traversent, observant leurs manières de faire et leurs inventions. Sans parler d’analyse, je tente de nourrir mon travail par des actions et artefacts humains en considérant leur dimension temporelle autant que leurs aspects plastiques. C’est à cet endroit-là que naît ma recherche, dans la représentation des regards croisés aux miens, comme des clefs pour mieux comprendre ce qui se joue aujourd’hui dans le berceau méditerranéen de l’Europe, et par extension dans le monde.

J’ai réalisé plusieurs voyages, construisant déplacement après déplacement une méthode de travail. Avec des partenaires de recherche, j’ai suivi des apiculteurs, des bergers ainsi que des pêcheurs, en tentant de traverser la Méditerranée ; abordant avec eux la lisière des cités grecques, cet espace sensible entre la nature et la civilisation. Puis dans l’Anti-Atlas et le désert du Sahara, je suis parti étudier des décors de cinéma retraçant sur vingt hectares toute l’histoire de l’homme ; découvrant l’existence d’une écriture disparue depuis mille ans, ce qui a motivé le récit de ma rencontre avec les Amazight.
Des voyages de recherche rendus possibles par une première étude, celle de l’enroulement de l’horizon à travers un maelström, au-delà du cercle polaire en Norvège. Une puissance naturelle qui depuis des milliers d’années mâche et remâche les corps-morts, les sédiments du monde, leur faisant perdre toute idée d’origine, de temporalité et d’appartenance, ne laissant exister que la richesse de leurs rencontres, de leurs dialogues.
C’est à cet endroit que s’est construite ma méthode de travail. J’envisage ma pensée comme un tissage, un filet qui a la capacité d’être porté par le flux et d’être ainsi tenté de le suivre. Un tissage qui retient dans ses mailles des fragments du territoire semblables à ceux du maelström. Peu importe l’échelle du filet, il laisse passer énormément de choses, me laissant envisager la perte comme la manifestation d’un mouvement, car dans ce grand tourbillon elles repasseront toujours. Mes intentions deviennent clairement poétiques, évitant l’approche documentaire ou une narration linéaire pour privilégier un mode de lecture analogique.

C’est ainsi que je construis, montage après montage, des formes qui tendent à ralentir le flux par des expériences de pensée parfois purement intuitives. Ce que l’on développe lorsque quelque chose vient perturber l’équilibre de notre quotidien. Des outils qui viendraient résister au temps, nous permettant un regard, une action, dans ce présent en ruine où rien n’est encore
vestige ou décombres.
Penser par la forme, errer dans ses temporalités et ses recoins pour comprendre et entrevoir plis après plis une odyssée où les corps, les mots, les matérialités s’agencent dans un paysage politique actuel, un nouvel imaginaire commun.