Jakuta Alikavazovic, écrivaine en résidence à l’ÉSACM

L’École supérieure d’art de Clermont Métropole accueille Jakuta Alikavazovic, écrivaine, lauréate du prix Médicis essai 2021, pour une résidence tout au long de l’année 2021-2022.

Depuis 2011, l’ÉSACM accueille chaque année un·e écrivain·e en résidence. Cette année, c’est la romancière et traductrice Jakuta Alikavazovic, qui a été invitée à travailler au cœur de l’école d’art, avec la communauté étudiante et enseignante.

Jakuta Alikavazovic est née et travaille à Paris. Elle est l’autrice de plusieurs livres, dont Corps volatils, publié aux éditions de l’Olivier en 2007 et salué par le Goncourt du Premier Roman en 2008. Comme un ciel en nous est paru aux éditions Stock en septembre 2021 dans la collection « Ma nuit au musée ». Cette méditation sur l’art, la transmission et le visible a reçu le Prix Médicis Essai 2021. Jakuta Alikavazovic est également traductrice de l’anglais.

« Au cours de cette résidence, je souhaite mettre à l’épreuve de l’écriture mon propre matériau biographique — et son absence (mes parents étant tous deux, non seulement immigrés, mais originaires d’un pays qui n’existe plus, avec toutes les complications administratives que cela peut entraîner). De cette relative pauvreté de sources directes résulte la nécessité d’un recours au récit, plus ou moins documenté, plus ou moins fictionnalisé. La question pourrait se poser de la façon suivante : Que faire des blancs ? Que faire des noms sans visage — ou (plus rare) des visages sans nom ? Il s’agira aussi de placer, en regard de ces interrogations et de ce travail, nos conditions de vie contemporaines : celles des étudiants de l’école, qui appartiennent à une génération dont le moindre geste génère, semble-t-il, sa propre archive, pour ainsi dire en temps réel. Nous envisageons-nous différemment, eux et moi ? »

Portrait de diplômé·es / Camille Varenne

Tu vis entre Clermont-Ferrand et Ouagadougou. Peux-tu nous parler de ton histoire avec cette ville ?

Je viens de Brioude, mais ma mère, Rosalie Dametto, a grandi au Maroc et au Nigéria. Mes grands-parents étaient ouvriers à la SGT-E, entreprise de travaux publics rachetée par Vinci. Mon grand-père a participé à la création du premier barrage hydraulique suite à l’indépendance du Maroc. C’est une histoire familiale qui est reliée au continent africain et à l’histoire coloniale de la France. Mon enfance et mon imaginaire ont été bercés de récits sur l’Afrique.

Lors de ma 4e année à l’ÉSACM, j’ai décidé d’aller faire un stage à Manivelle Productions, une maison de production audiovisuelle basée à Ouagadougou. J’ai découvert l’effervescence des cinémas africains, rencontré les réalisateurs burkinabè et me suis immergée dans ce réseau. C’est vraiment là-bas que j’ai affirmé la vidéo comme étant mon médium de prédilection.

Faire des films étaient avant tout un moyen de rencontrer les gens, passer du temps avec elleux, partager des moments de vie. En parallèle, j’ai entamé une démarche de décolonisation de mon propre regard en m’imprégnant de références des mondes afro-diasporiques et en fréquentant de près l’émergence de la nouvelle scène artistique afrodescendante française. J’avais été très émue par les films du réalisateur burkinabè Gaston J-M Kaboré. J’ai appris qu’il avait fondé une école de cinéma, l’Institut Imagine de Ouagadougou, et j’ai demandé à intégrer sa formation.

Gaston Kaboré travaillait également au FESPACO (Le Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou), et j’ai été à ses côtés coordinatrice des colloques du festival. Cette expérience a été une vraie école pour saisir les enjeux politiques des cinémas africains, tout en me permettant de m’intégrer dans un tissu culturel local.

En parallèle de cette expérience à Ouagadougou, tu avais entamé un parcours de DSRA (Diplôme National Supérieur de Recherche en Art) à l’ÉSACM ?

Oui je suis entrée à la Coopérative de recherche de l’ÉSACM en 2015, après mon DNSEP. La Coopérative de recherche était comme une caisse de résonance où je pouvais amplifier et partager mon expérience vécue au Burkina Faso. J’ai aussi expérimenté des pratiques de travail en collectif. C’était un moment où les pensées décoloniales prenaient de l’ampleur, et j’essayais au sein de l’école de créer des temps de rencontres entre des acteurs culturels du Burkina Faso que je côtoyais et des artistes français travaillant avec ces questions. Cette démarche a donné lieu à l’événement Surexpositions, qui s’est tenu en mai 2017 à l’ESACM.

J’ai aussi développé une recherche sur les cinémas africains comme espaces de « transculturation », avec un corpus de films de westerns africains. Je m’intéressais particulièrement à la façon dont les artistes descendants des peuples colonisés s’appropriaient les codes de la culture dominante pour en faire des espaces d’affirmation, une subversion qui affirmait une vivacité. C’est ainsi que je me suis intéressée aux westerns africains qui proposent une nouvelle cartographie du monde où les cow-boys africains quittent la marge pour devenir l’épicentre de l’émancipation des imaginaires. Chimère libératrice, les cowboys africains s’approprient le mythe américain conquérant pour questionner leur propre histoire et inventer leur devenir. Le premier western africain a été réalisé par Moustapha Alassane en 1966. « Le retour d’un aventurier » raconte sur des rythmes de blues le conflit entre cosmogonie animiste et modernité occidentale. Les personnages traversent ce tiraillement au grand galop et ont inspiré mon film « Blakata » réalisé avec des cavaliers du Burkina Faso.

Tu as toi-même réalisé un western au Burkina ?

Oui, j’ai réalisé le film « Blakata » au sein d’une communauté de cavaliers qu’on appelle « les guerriers », et qui incarnent la tradition équestre ancestrale des royaumes de la région. Cette communauté est importante à Ouagadougou. Ce sont des centaures urbains, à la présence spectaculaire qui suscitent crainte et fascination. Je vis avec les chevaux depuis mon enfance, je leur ai confié mon âme comme dirait les Guerriers… Le cheval étant l’emblème du Burkina Faso, ce fut une porte d’entrée pour moi. J’ai arpenté les artères de la capitale à cheval avec « les guerriers », participant aux grandes cérémonies et partageant leur quotidien. J’ai noué une relation intime avec cette communauté, ce qui m’a permis de faire ce film avec eux. L’idée de faire un western a été amené par Issouf Bah, protagoniste principal de mon film, plus connu sous le nom de Wayne John…

« Blakata » qui signifie en langue Bambara « lâcher prise » est une autofiction où « les guerriers » s’inventent en cowboys et jouent leur propre rôle. Devant la caméra, ils s’inventent et laissent apercevoir leurs frustrations, leurs désirs, leurs rêves.

Quel type de cinéma travailles-tu ?

Mon travail c’est de faire des films, comme des prétextes pour passer du temps avec les gens, et créer des aventures collectives pendant lesquelles on invente un petit monde ensemble, le temps du tournage. Mon projet est de pratiquer ainsi, ensemble, de nouvelles subjectivités politiques, décoloniales et féministes.

La catégorisation de mes films dépend ensuite davantage des financements et des lieux de monstration, que d’une décision personnelle. Par exemple, « Blakata » a été diffusé dans des festivals de cinéma documentaire, il a reçu le prix Jeune Public du festival Corsicadoc tout en étant présenté comme installation au Salon de Montrouge. Le film « Pedra e Poeira » est aussi un bon exemple de ce phénomène. J’ai tourné ce film à Fordlândia au Brésil en 2018, dans le cadre de mon DSRA, via une invitation du collectif Suspended spaces. Ce film a été à la fois montré comme installation à Jeune Création et diffusé sur la plateforme Tënk en tant que documentaire.

Comment as-tu exploré et développé cette pratique de la vidéo et du cinéma au sein d’une école d’art option art ?

Le fait de suivre une formation à l’école d’art m’a permis une grande liberté de forme, dans la mise en scène, en espace, dans la façon de travailler, d’expérimenter.

Je crois que j’y ai aussi acquis une méthode de travail assez décomplexée. Par exemple, « Blakata » est un film que j’ai commencé à tourner sans financement, sans matériel professionnel, et toute seule. Dans une école de cinéma on apprend davantage à travailler en équipe et à intégrer des circuits de financements qui verrouillent la forme du film. Mon parcours à l’école m’a émancipé de ces formes de narration, qui peuvent être assez inhibantes.

En revanche, ces deux dernières années je travaille à la réalisation d’un nouveau film en étant cette fois accompagnée par la maison de production The Kingdom fondée par Marie Odile Gazin et accompagnée par Julien Sallé. J’apprends à écrire un scénario. C’est intéressant aussi, et ça me permet de toucher à un autre registre.

Pendant mes études à l’école d’art, j’ai aussi participé au « Film Infini », un groupe de recherche qui travaillait sur l’articulation entre le cinéma et le travail, le travail du cinéma et le cinéma du travail, ce qui m’a permis de collaborer avec des historiens, des sociologues, d’avoir un éveil vers les sciences sociales. Ça a été mon point de départ entre travail de recherche et vidéo.

Peux-tu revenir sur ce projet de film en cours ?

Il s’agit d’un projet de documentaire-fiction, qui s’appelle « Wolobougou » et sera tourné dans une maternité au Burkina. Wolobougou veut dire en Bambara « le lieu de la naissance ». C’est le nom de la petite maternité de brousse fondée par la sage-femme Honorine Soma. Honorine veut révolutionner la place de la femme dans la société burkinabè. Pour donner un accès aux soins aux femmes de milieu rural et affirmer son indépendance, elle a créé sa propre clinique. Elle soigne les corps mais veut aussi soigner les âmes. Pour cela, elle a créé des groupes de paroles féministes qui ont donné lieu à une pièce de théâtre. Aujourd’hui, elle veut remonter sa troupe de théâtre féministe au sein même de sa clinique. Elle peut compter sur l’aide de Bawa, ancienne cantatrice du ballet national du président révolutionnaire Thomas Sankara. Honorine veut convaincre les femmes du village de l’importance de prendre la parole pour changer la société. Malgré le poids des silences et des pressions sociales, vont-elles réussir à affirmer ensemble leur puissance ? En renouant avec la cosmogonie locale et en puisant dans l’histoire politique du pays, Honorine est prête à affronter ces obstacles pour partager son chemin vers l’émancipation.

Tu es également très investie dans le tissu culturel clermontois ?

Pour l’instant, la réalisation de films n’est pas rémunératrice, et je n’ai pas le statut d’intermittent mais d’artiste-auteure. Alors en parallèle, à la fois pour des questions de rémunération et pour tisser des liens qui nourrissent ma pratique, je donne des cours à l’Université Clermont Auvergne.

Je propose depuis trois ans un cours sur le lien entre cinéma et arts plastiques, et j’anime également un atelier du Service Université Culture qui s’appelle « Ciné tract ».

Je suis aussi sélectionneuse pour le Festival du Court Métrage. Je participe donc à la sélection des films, de mai à décembre, depuis trois ans.

Tu proposes en ce moment une installation au Centre international d’art et du paysage de Vassivière.

L’exposition s’appelle « La sagesse des lianes », et est visible jusqu’au 9 janvier 2022. Elle réunit une vingtaine d’artistes des mondes afrodiasporiques, réunis par le philosophe Dénètem Touam Bona qui curate l’exposition.

J’y présente une installation vidéo intitulée « Sankara et nous » coréalisée avec Galadio Kiswendsida Parfait Kaboré.

J’ai rencontré Galadio à l’Institut Imagine, ce lieu de formation et de réflexion autour du cinéma, à Ouagadougou, où j’ai étudié. « La sagesse des lianes » a été pour nous l’occasion de travailler ensemble sur une pièce commune. Le curateur, Dénètem Touam Bona, nous a invité à produire in situ, sur le plateau de Millevaches. Une région qui a une histoire militante forte, avec un tissu associatif très dense.

Galadio Kiswendsida est membre du Balai citoyen, un mouvement militant issu de la société civile au Brukina. Nous avons souhaité travailler sur la mise en regard de ces deux histoires militantes. Nous sommes partis du constat de la méconnaissance des mouvements militants en Afrique, une méconnaissance qui relève davantage du déni que de la simple ignorance. Nous souhaitions travailler cet angle mort, interroger cette zone d’ombre.

Nous avons posé la parole de Thomas Sankara, ancien président révolutionnaire burkinabé, assassiné en 1987, pour la mettre en résonance avec le plateau. Puis nous avons interviewé plusieurs personnes du territoire, en leur proposant de réagir à ses discours.

http://www.camillevarenne.com/

Instagram : @varennecamille

Image : « Sankara et nous », extrait d’installation vidéo 4 écrans, 90 minutes, réalisée avec Galadio Kiswendsida Kaboré, pour l’exposition « La sagesse des Lianes » au Centre international d’art et du paysage de Vassivière.

« Images du Xingu à l’usage des Blancs qui ne peuvent pas comprendre » Jérôme de Vienne invite Amatiwana Trumai

Images du Xingu à l’usage des Blancs qui ne peuvent pas comprendre
Amatiwana Trumai
une proposition de Jérôme de Vienne
Exposition Du 23 octobre 2021 au 6 février 2022
(fermeture annuelle du 3 au 18 janvier 2022)
à l’Usine du May, Thiers
du mercredi au dimanche de 14:00 à 18:00
entrée libre et gratuite
Vernissage vendredi 22 octobre 2021 à 19:00

 

Amatiwana Trumai est un peintre indigène brésilien de l’ethnie Trumai, né au milieu des années 1940 et mort en 2018. Au cours de sa vie, il a construit une œuvre transculturelle faite d’appropriations, de traductions, d’échanges et de malentendus plus ou moins productifs. Faisant suite à une première exposition à Paris en 2020, ce deuxième chapitre se présente comme l’anticipation dans l’espace de l’Usine du May d’un possible catalogue monographique, nécessaire et toujours retardé. Jérôme de Vienne, artiste et chercheur à l’École Supérieure d’Art de Clermont Métropole et Emmanuel de Vienne, anthropologue, invitent à travers cette exposition à regarder le travail de ce peintre, et à s’interroger sur les modes de réception et les cadres de valorisation de l’art consacrés en occident.

 

Pour en savoir plus : http://www.creuxdelenfer.fr/

Aram Tastekin en résidence à l’ÉSACM dans le cadre du programme PAUSE

En 2021-2022, l’École supérieure d’art de Clermont Métropole accueille Aram Taştekin, dramaturge et comédien kurde, pour une résidence de création d’une année.

Né à Diyarbakir, en Turquie, Aram Taştekin a suivi une formation théâtrale à Ankara, mais aussi au Kurdistan Irakien, ainsi qu’en France. Diplômé du conservatoire de Cegerxwîn à Diyarbakir, il enseigne l’art dramatique, joue pour le théâtre, le cinéma et la télévision. Il a été l’assistant de Peter Brook pour son spectacle « WHY » au Théâtre des Bouffes du Nord. Formé à l’art thérapie, il se spécialise dans l’enseignement du théâtre aux enfants. Objecteur de conscience et artiste concerné par les droits des kurdes, il est considéré par les autorités turques comme un opposant politique. Fin 2017, et après plusieurs procès, il quitte son pays pour la France où il obtient l’asile politique et devient membre de l’Atelier des artistes en exil.

Aram Taştekin écrit et raconte des histoires depuis l’enfance. Il travaille autour des récits mythologiques, et leur écho dans l’actualité et les situations, parfois violentes, qu’il a vécues. Son projet de résidence, intitulé « Mémoire » partira de la tradition orale du conte kurde, sur laquelle il travaille depuis une dizaine d’années. Au sein de l’ÉSACM, Aram Taştekin souhaite expérimenter une nouvelle façon de travailler cette oralité, avec les outils des arts visuels. La pratique de l’écriture étant pour lui une pratique collective, il conçoit sa résidence comme un projet ouvert, qui permettra des échanges et des rencontres entre sa pratique, celles des étudiant.es et des enseignant.es de l’école, mais également avec les partenaires de l’école et la scène artistique et culturelle de la métropole. À commencer par les associations Les Ateliers et Artistes en résidence, récemment installées à la Diode, qui l’accueilleront au gré des nécessités de son projet.

Cette résidence bénéficie du soutien du programme Pause, porté par le Collège de France, et s’inscrit dans le cadre d’une mobilisation commune de neuf écoles supérieures d’art et de design publiques françaises, et de l’Atelier des artistes en exil, afin d’organiser l’accueil de dix artistes issu.es des diasporas ou expatrié.es.

Aram Taştekin a présenté la pièce Happy Dreams Hotel – une histoire kurde, mise en scène par Elie Guillou, au Théâtre Berthelot à Montreuil, les 7 et 8 octobre 2021. Elle sera de nouveau jouée le 9 et 10 décembre 2021 au Théâtre Antoine Vitez à Ivry.

Image : Happy Dreams Hotel – une histoire kurde, mise en scène par Elie Guillou © Aram Taştekin

Portrait de diplômé·es / Clélia Barthelon

Diplômée en 2018, Clélia Barthelon a une pratique artistique tournée vers la sculpture, la vidéo et l’installation. Elle participe, à sa sortie de l’école, à la création de l’association somme toute, qui réunit des artistes clermontois.es et propose une programmation d’expositions, conférences, performances, concerts, etc. Quelques mois après son diplôme, elle devient coordinatrice du festival Les Arts en Balade, à Clermont-Ferrand, et initiatrice de résidences d’artistes portées par cette association.

Peux-tu nous parler de tes missions dans le cadre du festival des Arts en Balade ? 

Je suis coordinatrice des projets de l’association depuis décembre 2018. Les Arts en Balade organise tous les ans depuis 1995, au mois de mai, une manifestation de trois jours qui permet aux artistes puydômois d’ouvrir leurs ateliers. Dans ce cadre-là, je m’occupe de la mise en place de la manifestation : inscriptions, règlement de participation et contrats des artistes invité.es, journée de sélection, communication, graphisme et création des supports de communication, recherche de locaux pouvant accueillir des artistes et des expositions, recherches de partenariats et de financements publics, ou encore mise en place de la médiation pour le public scolaire avec l’aide de bénévoles.

Après l’édition des Arts en Balade de mai 2019, c’est-à-dire ma première expérience de la manifestation en tant que coordinatrice, nous avons fait le constat que certains lieux investis par les artistes dans le cadre du festival n’étaient pas adaptés pour un travail in situ dans un temps court (chapelles, chantiers, lieux patrimoniaux, excentrés, etc.), mais auraient été intéressants à investir pour des résidences un peu plus longues.  En parallèle, l’association formulait le souhait de s’adresser à des artistes plus professionnel.les. C’est à ce moment-là que l’idée de résidences adressées à des artistes du territoire a vu le jour. Ce projet permet également de soutenir les artistes locaux.ales en rémunérant chaque résidence à hauteur de 1 500 euros pour un mois de travail.

Une fois les financements trouvés, nous avons expérimenté ces résidences lors des Arts en Balade 2020 (repoussés en septembre à cause de la crise sanitaire). Depuis, nous avons renouvelé l’expérience plusieurs fois, avec à chaque fois trois ou quatre résidences en parallèle dans des lieux très différents (hôtels, chantiers, maisons vides, anciens cloîtres, musées etc.).

Quelle a été ton expérience avec l’association somme toute ? Est-ce que ce monde associatif te paraît un terrain propice à l’épanouissement des jeunes artistes au niveau local ?

somme toute est une association crée initialement par des jeunes artistes issu.es de l’ÉSACM, dont beaucoup appartenaient, comme moi, à la promotion des diplômé·es du DNSEP 2018. Mais l’association compte aussi des artistes issu.es d’autres écoles, jeunes diplômé.es, ou étudiant.es, plasticien.nes, ou même issu.es de l’univers du spectacle vivant. Cette association est née en prévision de notre sortie de l’école d’art, à la fois pour nous permettre d’avoir des ateliers sous la forme d’espaces communs, de mutualiser du matériel et nos connaissances, mais aussi pour nous permettre de proposer une programmation d’expositions, conférences, performances, concerts, etc. Il y avait aussi, je crois, la crainte d’être seul.es à la sortie. Nous souhaitions en grande partie rester à Clermont-Ferrand, là où nous avions l’impression que nous pouvions être force de proposition (à l’instar de ce que pouvait faire Les Ateliers, La Tôlerie, home alonE, etc.) et où les loyers nous permettaient de trouver un local sans faire appel à des subventions publiques.

L’association a vu le jour en avril 2018, quand la majorité de ses membres étaient encore étudiant.es et nous avons souhaité prendre contact avec les institutions publiques que sont la mairie, la métropole, le département et la DRAC, non pas pour obtenir des financements, mais avec l’idée de nous ancrer dans un réseau. Ces contacts ont été facilités par le fait que certain.es membres de somme toute étaient à l’époque représentant.es des étudiant.es au Conseil d’administration de l’ÉSACM, dans lequel toutes ces institutions étaient présentes. Aujourd’hui nous connaissons bien nos interlocuteur.rices et pouvons poursuivre notre projet commun, voir même le développer grâce à des soutiens publics. Nous finançons nous-mêmes notre local avec des cotisations mensuelles que chaque membre verse en fonction de ses moyens, ce qui nous contraint en termes d’espace, de matériel et de mobilier, mais nous avons fait le choix de consacrer nos subventions à la rémunération des artistes que nous invitons tout au long de l’année.

Je pense que le monde associatif est un très bon outil pour les artistes, car c’est un statut juridique qui permet d’avoir une structure identifiable et modulable selon ses besoins. Mais il fait aussi la part belle au bénévolat. Il faut donc garder en tête que cela doit être un plaisir avant tout.

Tu endosses très facilement ces missions de gestion et de coordination de projets. Est-ce que cette dimension-là était déjà présente pendant ton parcours à l’école ?

Pendant mes études à l’école d’art, j’ai été déléguée quatre années de suite, et je me suis beaucoup investie dans la représentation des étudiant.es (représentante des étudiant.es au Conseil scientifique, pédagogique et de la vie étudiante (CSPVE) et au Conseil d’administration, et élue étudiante à l’Association nationale des écoles supérieures d’art (ANdÉA). Ces expériences m’ont permis de m’apercevoir que j’aime porter la parole des autres et la défendre. Quand j’occupe un poste de coordination ou que je gère un projet, je fais les choses comme j’aimerais qu’elles soient faites pour servir au mieux la cause des artistes, je fais ce que j’aimerais que l’on fasse pour moi. Je le vois comme un geste militant.

Comment s’est passée ta sortie de l’école ?

C’était une sortie d’école très active et dense, et ce rythme n’a pas changé depuis. Une fois le diplôme en poche, je me suis beaucoup investie dans tous les aspects logistiques de la création de l’association somme toute : recherche de lieu, création de dossier, gestion administrative, parce que je suis très à l’aise dans ces missions-là. J’ai intégré l’association des Arts en Balade et pris le poste de coordinatrice quelques mois plus tard.

Je poursuis une pratique artistique en parallèle également, ce qui signifie que j’ai sacrifié beaucoup de vacances et de week-ends. J’ai eu la chance de participer à des expositions et résidences qui m’ont permis de créer de nouvelles pièces. Beaucoup de ces invitations sont liées à somme toute qui, même si ce n’était clairement pas le but premier, agit comme un tremplin pour nous. En revanche mes missions de coordinatrice m’ont contrainte à réduire le travail d’atelier axé sur l’expérimentation. Je réfléchis beaucoup aux pièces que je souhaite produire, bien en amont, et quand je trouve le temps, je les réalise. Mais j’ai pu installer récemment un véritable atelier à mon domicile, ce qui va me permettre de renouer avec l’expérimentation.

Mon travail est principalement sculptural, parfois performatif et tourné vers la vidéo. J’aime beaucoup l’idée du bibelot, cet objet purement décoratif que nous chargeons tou.tes de souvenirs. Cet attachement est dû à ma situation familiale, où il ne reste plus personne. J’aime réutiliser des objets souvenirs, les transformer ou les réinterpréter, pour que ma mémoire ne me fasse jamais défaut. Ces objets qui me sont propres deviennent la représentation d’une mémoire collective, liée à ma génération et mon origine sociale campagnarde, voire paysanne. Adossées à ces objets, je raconte des histoires pour partager mes expériences qui, là encore, deviennent collectives. J’ai aussi une pratique vidéo autour de vlogs (blogs vidéos), qui peuvent être des vlogs de voyage par exemple. Je me filme, silencieuse, au milieu d’un paysage. C’est un geste que j’associe à l’utilisation des réseaux sociaux comme vitrine d’une vie fantasmée, pleine d’aventures, à la différence que mes vidéos sont marquées par l’inactivité, et que je cache la moitié du paysage avec mon visage. Une démarche qui produit de l’agacement chez beaucoup de spectateur.rices, mais qui invitent d’autres à me suggérer de nouveaux paysages qui sont souvent des lieux liés à leur mémoire et expérience personnelle. La boucle est ainsi bouclée.

http://www.cleliabarthelon.com/

https://www.youtube.com/channel/UCe6KobzXtuJZnCp2qU9-_Dg

Image : Come on, Vlog : Compilation de printemps 2018, vidéo projetée, 13’15 », capture d’écran

« The Mist », exposition des diplômé·es 2021

L’ÉSACM présentera «The Mist », l’exposition des diplômé·es 2021 dont le commissariat a été confié à Thomas Conchou, du 6 au 16 octobre 2021. 

Audrey Bapt, Alexandre Boiron, Vincent Caroff et Juliette Jaffeux, Hermine Chanselme, Charlotte Durand, Chloé Grard, Pauline Lespielle, Johanna Medyk, Margot Monier, Maëlys Plagnes , Capucine Portal, Ophélie Raffier, Gaël Salefranque, Nino Spanu, Florent Terzaghi.

Une exposition à découvrir du mardi au samedi, de 14h à 18h.

Dans l’ancien espace des Ateliers,  228 avenue Jean-Mermoz,
63000 Clermont-Ferrand (Sur présentation du pass sanitaire)

→ Découvrez les travaux des diplômé·es du DNSEP 2021

« Faufilés », exposition rencontres, les 13 et 14 octobre 2021

En 1910 Clermont-Ferrand accueille comme de nombreuses autres villes en France une exposition coloniale « Le village Noir » au cours de laquelle des « zoos humains » sont mis en place. Des hommes, femmes, enfants ont été exposés afin de présenter aux yeux du grand public français les richesses et la puissance de l’empire colonial français. « Faufilés », ce projet artistique multidisciplinaire, vise à mener des réflexions, des créations et des productions autour du concept « d’objets » et de « zoos humains » et des questions posées dans le cadre des débats sur la restitution et la décolonisation des musées. L’évènement réunira des intervenant.es issus d’horizons géographiques et artistiques variés, et issus du monde de l’art contemporain, que ce soit dans les domaines des arts plastiques ou de l’univers du spectacle vivant.

L’exposition « Faufilés » marquera la conclusion du programme de recherche Figures de transition (Surexpositions) menés par les chercheur.es de l’ÉSACM, qui traitait de la question de l’intérêt renouvelé pour l’art contemporain d’Afrique.

Mercredi 13 octobre => exposition, Jardin Lecoq

Jeudi 14 octobre => rencontres, ÉSACM

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Mercredi 13 octobre 2021 = > Jardin Lecoq

• 10h Accueil du public

• 11h30 Session de performances

• 15h Session de performances

• 17h30 vernissage

• 18h Session de performances

Artistes et intervenant·es : Edwige Aplogan, Blaise Bang, Hélène Bardot, Bienvenue Bazié, Axel Brauch, Koko Confiteor, Jacques Duault, Enrico Floriddia, Hermas Gbaguidi, Jocelyn Wagninlba Kone, Papa Kouyaté, Marie-Pierre Loncan, Gesine Mahr, Jacques Malgorn, Laure Manéja, Ildévert Méda, Jenny Mezile, Lazare Minoungou, Thierry Oueda, Désiré Sankara, Anne Sarda, Wilfried Souly, Moïse Touré, Marielle Vichard, Charles Wattara, Eric Zongo, et les étudiant·es de l’ÉSACM.

Jeudi 14 octobre 2021 = > ÉSACM

• 10h Accueil du public

• 11h30 Intervention de Moïse Touré, metteur en scène, compagnie Les Inachevés, Grenoble

• 14h Intervention de Anna Seiderer, historienne de l’art, Université Paris 8

• 16h Discussion de clôture

Intervenant·es : Anna Seiderer, Moïse Touré, les étudiant·es de l’ÉSACM, et les artistes de l’exposition au Jardin Lecoq. Complété par des œuvres de Nico Joana Weber, et de la collection du musée Bargoin

Portrait de diplômé·es / Solène Simon

Solène Simon a obtenu un DNSEP à l’ÉSACM en 2015. Après son diplôme, un master en Médiation et art contemporain à l’Université Paris 8, une année en master Métiers de l’Enseignement de l’Éducation et de la Formation, et plusieurs expériences en médiation culturelle, elle obtient le CAPES d’Arts plastiques avant de s’engager dans l’enseignement en collèges et lycées. En 2021, elle passe avec succès le concours de l’agrégation.

Intervalle (bleue), mine graphite sur papier, 75 x 106 cm, 2020, Collection privée.

• Qu’attendiez-vous d’une école d’art ?

Depuis l’enfance, je passais beaucoup de temps à me raconter des histoires et fabriquer des images (souvent des collages, des photographies ou des photomontages). J’écrivais beaucoup. J’attendais un espace de recherche, avec tout ce que cela englobe. Durant ces cinq années, j’ai énormément vagabondé, testé énormément de choses, découvert des outils, des médiums, des métiers, etc. En réalité, je voulais tout faire. Il a fallu choisir et se recentrer sur le sens de mes recherches, et sur mes questionnements. Les enseignant·es m’ont beaucoup aidé à cela. C’est ce que m’a apporté cette école : du temps, des rencontres, de l’espace pour expérimenter, des échanges, et une culture artistique. Oser aller voir des choses que l’on ne pensait pas aimer, puis y trouver de nouvelles sources pour questionner, enrichir, critiquer. Même si je n’attendais pas cela avant d’entrer à l’école, je peux tout de même dire que ces cinq années m’ont permis d’accepter que produire, penser, échouer, recommencer, font partie du processus créatif et qu’il n’y a pas de bonnes ou mauvaises façons de faire pour faire aboutir un projet.

• Quels étaient les médiums, sujets de recherche, expériences ou voyages d’étude, qui ont marqué votre parcours dans l’école ?

À travers la peinture, l’installation, le dessin ou la photographie, mon travail parlait des rapports entre espace et corps. Les rapports de promiscuité, de proximité, le vide, le trop plein, la frontière, les rapports entre intérieur et extérieur. Au regard de l’architecture de l’école, avec ses verrières imposantes, des questionnements sur la frontière entre espace public et espace intime sont apparus. Tout cela se traduisait différemment dans chaque médium et prenait des variations de formes. Je me questionnais sur l’espace donné à voir, et celui mis sous silence, sur les rapports entre le bavard et l’absent, notamment dans ma pratique du dessin pour laquelle je partais toujours d’une banque d’images que je constituais en amont. Les cours de Lina Jabbour, enseignante en dessin, ont bouleversé mon approche de ce médium. Elle m’a aidé à prendre confiance en moi, m’a appris à « prendre le temps » et oser aller plus loin aussi bien dans mon écriture graphique, dans mes questionnements, que dans le format. J’ai appris à travailler et penser la réserve dans ma composition. Un espace qui est encore aujourd’hui extrêmement important dans ma pratique, en ce qu’il se situe entre une continuité et une rupture qui vient trancher, stopper la forme. Je dirais aussi que l’expérience du travail que je vivais en parallèle pour financer mes études a été fondamentale. En travaillant dans un supermarché, j’ai appris à gérer mon temps et à faire de nouveaux gestes. J’ai beaucoup observé les client·es, mes collègues, mes pyramides de fruits et légumes. J’ai commencé à questionner la dialectique entre gestes artistiques et gestes au travail. Ce terrain devenait un nouvel espace de réflexion et a été le point de départ de mon mémoire de fin d’études. La moitié a été rédigé sur des morceaux de papier durant ces heures de travail, que je reprenais le soir (« Mémoire de poche », 2015) Aussi, mon expérience à la galerie Claire Gastaud m’a permis de travailler pour et avec des artistes variés. J’ai énormément appris tant dans l’organisation d’expositions que dans le marché de l’art, la régie, etc.

Mon voyage à Istanbul, dans le cadre d’un ARC (Atelier de Recherche et de Création) autour du paysage a aussi été un moment particulier. Nous avons commencé par parcourir la ville, l’explorer, la traverser ensemble. Le voyage était mené par Stéphane Thidet et Roland Cognet, enseignants en volume à l’ÉSACM. Nous nous sommes ainsi familiarisés avec une ville surprenante par la diversité de ses espaces, par son environnement sonore, ses lumières artificielles, son architecture, le Bosphore, etc. Plusieurs projets personnels ont émergé pendant ce voyage, et ces espaces devenaient des lieux de travail. Des nouvelles formes sont apparues, de nouveaux processus de création, inspirés par la puissance de la nostalgie et de l’oubli. Les ARC « Paysages » en général ont été l’opportunité d’oser voir et faire autrement. De confronter nos questionnements à de nouveaux espaces et d’ainsi les nourrir, les alimenter par des voies singulières.

• À la sortie de l’école, quels étaient vos projets ?

Je suis partie à l’Université Paris 8 en Master Médiation et art contemporain. Après avoir travaillé en galerie, au FRAC et auprès d’artistes, je me sentais à l’aise dans ce domaine. Pendant mes cours de Master, j’ai davantage travaillé l’écriture, dans le cadre d’un projet de recherche universitaire. J’ai aussi expérimenté la performance. J’ai ainsi retrouvé Carole Douillard, artiste rencontrée à l’ÉSACM, et ai commencé à questionner des sujets comme la présence de mon propre corps dans l’espace, le déplacement, la forme collective et individuelle, les divergences entre le montré et le ressenti.

J’ai également travaillé au sein du Fonds Municipal d’Art Contemporain de Paris en tant que médiatrice culturelle dans le cadre du programme « FMAC à l’école ». J’accompagnais des élèves dans la découverte des œuvres exposées. Pour la première fois, je me tenais face à des classes pour parler mais surtout écouter leurs commentaires, leurs expériences, leurs échanges, leur sensibilité. Ces expériences m’ont naturellement conduite à considérer l’enseignement des arts plastiques.

• Quels ont été les apports de l’école d’art pour appréhender le concours du CAPES ?

Les épreuves des concours du CAPES et de l’agrégation demandent une appétence évidente pour l’art et ses questionnements. Il faut savoir problématiser le sujet qui nous est donné. Pour cela, il faut des connaissances en histoire de l’art, mais aussi en littérature, musique, théâtre, cinéma, philosophie, etc. Il n’y a pas de mauvaises références, au contraire. Je ne dirais pas qu’il est nécessaire d’avoir une pratique plastique, même si ça aide assurément. Je dirais plutôt que la maîtrise d’un outil, d’un médium, est indispensable pour appréhender l’épreuve : le sujet doit nous questionner et cette maîtrise favorisera la réponse produite. On ne peut pas tout faire, l’épreuve ne dure que 8 heures.

À l’agrégation, que j’ai obtenu cette année, les épreuves diffèrent légèrement du CAPES. La philosophie et science de l’art s’ajoutent au programme par exemple. Après cinq ans en école d’art, on a balayé beaucoup de contenus. Il faut apprendre à se saisir de tout cela pour construire, parfois remettre en question ce qui a été vu, y revenir, et poser un regard neuf sur les œuvres que l’on pense bien connaître. L’école nous a souvent permis d’être en situation de nous exprimer à l’oral, de favoriser l’échange, le respect, le dialogue, et de construire sa pensée avec l’autre. Les épreuves orales de l’agrégation peuvent effrayer, mais en réalité nous avons été entraîné·es à le faire. Préparer le concours demande du temps et de l’investissement mais il faut aussi faire confiance à ce que l’on a déjà acquis.

• Poursuivez-vous une pratique artistique personnelle ?

Après l’école, je me suis entièrement consacrée à la performance et l’écriture. À cette période, je ne dessinais plus du tout. J’ai, par exemple, écrit un texte tiré d’une expérience de travail saisonnier (« Une entreprise » 2017), entièrement rédigé durant mes heures de travail. Durant deux mois, j’ai également travaillé en tant que préparatrice de commande pour Airbus et ai rencontré des travailleur·ses qui ont enrichi les recherches que je menais autour des gestes artistiques et des gestes au travail. J’ai également mené avec deux ancien·nes étudiant·es de l’école des Beaux-Arts de Paris, Jeanne Borensztajn et Pierre Delmas, un projet de commissariat d’exposition (« J’ai rencontré Jeanne alors que j’avais rendez-vous avec Pierre » 2019).  C’est un projet éditorial, qui reprend les codes d’un vernissage d’exposition dans son contenu. L’ouvrage n’est pas encore édité.

La photographie ne m’a jamais quitté mais elle se définit différemment aujourd’hui. Avec la série « Zoom », je redécouvre mes archives personnelles et donne à voir un inventaire du quotidien, une sorte de répertoire de formes, de gestes, de situations ou encore d’incidents. Je suis également revenue au dessin en 2019 et ne me suis jamais arrêtée depuis. J’ai étendu mes questionnements à une technique déjà appréhendée à l’école : des 8 répétés inlassablement pour donner forme à une matière graphique. J’ai façonné mon geste, je me le suis davantage approprié. Ainsi, je fais dialoguer différents effets de textures, rugueuses, organiques, minérales, pour créer des espaces de représentation autour de trois axes : la description, le silence et la suggestion. Ma banque d’images s’est ouverte à d’autres œuvres dans lesquelles je viens puiser des formes, des dynamiques, des mouvements. La couleur s’invite parfois pour troubler la représentation. Actuellement, je travaille sur les rapports de poids, de lourdeur et d’apesanteur qui apparaissaient déjà dans ma pratique mais que je n’avais pas maîtrisés jusqu’à présent. C’est d’ailleurs un dessin réalisé pour les épreuves orales de l’agrégation qui a éveillé mon regard sur ce sujet. Enfin, je travaille actuellement à la réalisation d’une gravure sur cuivre à l’atelier René-Tazé à Paris, sur une invitation de Bérengère Lipreau, imprimeuse en taille-douce.

• Quelles sont les particularités de votre métier ?

Au collège les élèves n’ont pas choisi d’être là, alors que nous enseignant·es, oui. À partir de ce moment-là, une pluralité de questions s’impose. Que vont apprendre mes élèves à travers les arts ? Pourquoi cette discipline est-elle obligatoire en collège puis optionnelle ensuite ? Comment, mais surtout pourquoi faire des arts plastiques ? On ne peut pas se positionner en plasticien·ne. Nous ne sommes pas là pour les faire travailler sur nos propres questionnements, mais bien les leurs. Alors il faut les aider à observer, à prendre confiance, pour qu’ils.elles érigent ainsi leurs propres règles. Nous travaillons avec elles.eux pour définir leurs espaces, leurs sujets de recherches, leurs outils et médiums. C’est un réel terrain d’expérimentation tant pour l’élève que pour l’enseignant·e. C’est un métier où l’on est très attentif·ve à son auditoire. Ce n’est pas toujours simple pour les élèves, qui se sentent parfois perdu·es. Mais l’errance fait partie du processus d’apprentissage. Construire et penser des séquences requiert de cesser de penser à ce que les élèves vont faire, mais bien à ce qu’ils vont apprendre en faisant : questionner le sens des gestes, accepter le rôle du hasard ou la place de l’autre dans un travail personnel, par exemple. En étant capable de maîtriser ces apprentissages et les adapter à leur vie quotidienne, ils.elles se font (« ce que je fais me fais »), et nous nous faisons avec elles.eux.

http://solenesimon.fr 

« Faufilés », une exposition–rencontre au Jardin Lecoq et à l’ÉSACM, du mercredi 13 octobre au jeudi 14 octobre 2021. 

SAVE THE DATE !

À la rentrée, l’ÉSACM proposera « Faufilés », une exposition–rencontre au Jardin Lecoq et à l’ÉSACM, du mercredi 13 octobre au jeudi 14 octobre 2021.

En 1910 Clermont-Ferrand accueille comme de nombreuses autres villes en France une exposition coloniale « Le village Noir » au cours de laquelle des « zoos humains » sont mis en place. Des hommes, femmes, enfants ont été exposés afin de présenter aux yeux du grand public français les richesses et la puissance de l’empire colonial français.

« Faufilés », ce projet artistique multidisciplinaire, vise à mener des réflexions, des créations et des productions autour du concept « d’objets » et de « zoos humains » et des questions posées dans le cadre des débats sur la restitution et la décolonisation des musées. L’évènement réunira des intervenant.es issus d’horizons géographiques et artistiques variés, et issus du monde de l’art contemporain, que ce soit dans les domaines des arts plastiques ou de l’univers du spectacle vivant.
L’exposition « Faufilés » marquera la conclusion du programme de recherche Figures de transition (Surexpositions) menés par les chercheur.es de l’ÉSACM, qui traitait de la question de l’intêret renouvellé pour l’art contemporain d’Afrique

Programme bientôt disponible !

Photo : Archives départementales du Puy-de-Dôme © Photohèque63 – Tous droits réservés

Portrait de diplômé·es / Claudia Urrutia

Diplômée d’un DNSEP à l’ÉSACM en 2011, Claudia Urrutia est comédienne, chanteuse, plasticienne, et fondatrice de la compagnie Zumaya Verde, basée à Clermont-Ferrand. 

Constellation de l’océan, Exposition Fantaisies Végétales. Photographie Marielsa Niels, Mise en scène et installation Marjolaine Werckmann et Claudia Urrutia.

Quel a été votre parcours avant d’entrer à l’ÉSACM ?

Avant d’entrer à l’ÉSACM, j’avais obtenu un diplôme de comédienne, une maîtrise en art dramatique, dans une école de théâtre au Chili. J’avais de l’expérience dans le monde de la scène, et je me suis formée « sur le tas » au chant et à la musique, notamment avec le groupe Barbatuques à Sao Paulo au Brésil. Quand je suis entrée à l’école d’art, je venais tout juste d’arriver en France, et j’avais été enseignante dans des écoles de théâtre peu de temps avant, en Colombie et au Chili. 

Pourquoi avoir voulu poursuivre vos études en France ? 

Lorsque l’on suit des études de théâtre, même en Amérique latine, nos références viennent d’Europe et en particulier de France. Les jeunes de ma génération rêvaient de participer au festival d’Avignon, ou de faire partie du Théâtre du soleil dirigé par Ariane Mnouchkine. En plus, dans le cadre de mes études, j’ai eu la chance de travailler avec le metteur en scène et dramaturge franco-égyptien Adel Hakim, décédé en 2017 et qui a été co-directeur du Théâtre des Quartiers d’Ivry.

En 2005, à Paris, j’ai rejoint l’école internationale de théâtre Jacques Lecoq, liée au geste et à l’image, et en particulier le Laboratoire d’Étude du Mouvement (LEM). J’y ai développé un travail plastique à travers des ateliers de scénographie, costumes et masques dynamiques. Guidée par les enseignant.e.s et architectes Krikor Belekian et Pascale Lecoq, j’ai appris à analyser le mouvement et la mise en espace du corps humain. En parallèle, j’avais obtenu une bourse pour être assistante d’espagnole en France.

Après cette expérience, je me suis installée à Clermont-Ferrand, et je souhaitais rester en France. Mais j’avais déjà 30 ans, et besoin d’un statut pour en avoir le droit. Initier un parcours au conservatoire n’est plus possible à cet âge, et suivre une formation à l’université ne m’intéressait pas. L’école d’art avait l’air d’un environnement plus libre, ouvert aux candidat.e.s de mon âge, et moins scolaire. Sans compter que lorsqu’on arrive en tant qu’étrangère, l’enjeu c’est de s’installer dans un territoire. Cela avait aussi du poids dans ma décision. J’avais toujours développé un travail plastique lié au costume, au masque, aux accessoires, mais je ne me rendais pas compte que j’avais de réelles capacités. 

Qu’est ce que votre parcours à l’école a apporté à votre pratique de la scène ?

D’abord, un travail sur l’observation, à travers les cours de dessin. Par exemple, sur la façon dont on apprend à regarder et ramener la forme que l’on observe devant nous sur un support papier. Quand je pratique le théâtre, je travaille avec mon corps, mais avec la pratique du dessin, c’est mon regard sur l’espace et sur l’objet qui a changé. J’ai été confrontée à cette nouvelle expérience sensorielle, qui part de mes mains et de mes yeux, comme un autre point de départ pour créer. 

Parmi les expériences importantes que j’ai vécues à l’école, je parlerais aussi de ma rencontre avec Jean Nani, enseignant en peinture, qui par son discours sur la couleur a ouvert pour moi un tout nouveau territoire d’expérimentation, de jeu et d’émotions, que j’ai réemployé ensuite dans ma pratique du spectacle vivant. 

Je citerais aussi la rencontre avec Roland Cognet, enseignant en volume, dont le travail autour de l’espace, de l’installation, est venu répondre et compléter des questionnements que je portais sur le rapport du corps à l’espace, le rapport de la forme à l’espace, la construction de nouvelles architectures. 

À l’école, j’ai été mise face à tous mes acquis. J’ai dû les questionner, les contrarier, bousculer mon environnement artistique ancré dans un théâtre latino-américain, et dépasser mes frontières artistiques et culturelles. Ça a été une vraie ouverture, vers des formes plus hybrides, plus perméables, et vers une transversalité harmonieuse de pratiques. 

Vous évoquiez un besoin d’ancrage dans un territoire. Comment l’avez-vous concrétisé ?

Pendant mes études à l’école d’art, j’ai continué à mener des projets liés au théâtre et à la musique, toujours dans le Puy-de-Dôme. L’école m’a soutenu en aménageant mes horaires afin que je puisse mener ces projets personnels à bien, mais malgré tout je ne pouvais pas m’absenter trop longtemps. J’ai donc beaucoup travaillé localement. Lorsqu’on est étudiant.e, on pense que les grandes villes proposent davantage d’opportunités. Mais j’avais déjà vécu dans beaucoup de grandes villes, et je me suis vite rendu compte que pour moi il était plus facile de trouver du travail dans une petite ville. Mon objectif était de créer des liens sur ce territoire, y mener des projets, et aller jusqu’au bout de mes études.

J’ai obtenu mon diplôme et je me suis trouvée confrontée à des difficultés administratives liées à mon droit de résidence en France. J’avais envie de continuer à travailler ici, sur ce territoire dans lequel j’avais construit une vie personnelle et professionnelle, et qui propose des espaces encore en création, en transformation. Je souhaitais déjà devenir intermittente du spectacle. 

J’ai alors fondé la compagnie Zumaya Verde, avec mon collègue et compagnon Julien Martin, qui a été une façon de m’ancrer dans cette ville, et me faire une place dans ce territoire-là. Je vis grâce à cette compagnie dans un espace de création permanente, de recherche, mais aussi de fragilité. Donner naissance à nos propres créations, c’est l’occasion d’ouvrir notre imaginaire aux autres, de créer un dialogue et des moments de convivialité.

Rosa, un portrait d’Amérique Latine, crédit photo Violette Graveline

Pouvez-vous nous parler de votre travail au sein de la compagnie ?

Cette compagnie travaille autour du théâtre, de la musique, des arts plastiques. Nous avons, au fur et à mesure des années, invité des artistes pour construire collectivement nos différents projets. Nous essayons de travailler de façon plus transversale et pluridisciplinaire, en intégrant des pratiques visuelles et plastiques, en abordant le travail du texte, de la musique, de la vidéo, ou encore avec l’idée d’investir des espaces qui ne sont pas dédiés au spectacle vivant. 

Grâce au soutien de la Ville de Clermont-Ferrand et du Département du Puy-de-Dôme, la compagnie commence à bénéficier d’une structure solide. Cette gestion plus administrative fait aussi partie du projet, et nous permet d’expérimenter, de travailler dans de bonnes conditions et de grandir artistiquement. La compagnie devient peu à peu véritablement actrice de la ville et du territoire, soutenue principalement par la Cour des Trois Coquins- Scène Vivante, qui est pour nous un vrai lieu de fabrique et de résidence.

Avez-vous réussi à maintenir une actualité vivante malgré la situation sanitaire ?

Pendant le COVID-19, nous avons pu continuer à créer. La compagnie a bénéficié du fond de solidarité, et nous avons reçu des aides. 

En mars dernier par exemple, nous avons participé à une résidence à la Cour des Trois Coquins pour créer « Bloody Laws », un cycle de performances, d’installations ou de formes théâtrales courtes, qui aborde la charge symbolique et politique autour du corps des femmes. Ce projet est conçu par la scénographe et plasticienne Violette Graveline et moi-même.

Cet été nous allons aussi participer au festival des Contres-Plongées à Clermont-Ferrand, avec une performance intitulée Traverser, les 9 et 10 juillet à 17 heures et 19 heures au Jardin Lecoq*. 

Traverser, cycle de performances Bloody Laws, crédit photo Violette Graveline

Parmi les projets en construction, nous travaillons aussi à une performance pour le Musée d’art Roger Quilliot qui aurait lieu l’année prochaine. 

En parallèle, je mène un travail de médiation de plus en plus conséquent, et qui me tient à cœur. Avec la plasticienne et scénographe Marjolaine Werckmann et la photographe Marielsa Niels, nous avons co-crée l’exposition « Fantaisies Végétales », un travail de médiation culturelle financé par Billom Communauté et le Département du Puy-de-Dôme. Avec des participant.e.s provenant d’horizons différents :  Maison départementale des Solidarités, régie de territoire, classes de 5e du collège du Beffroi de Billom nous avons créé 12 photographies grand format en couleurs, mêlant visages humains et matières végétales. Ce travail de transmission, au-delà du travail artistique, est très important pour moi. C’est aussi le moment où les champs professionnels s’ouvrent, une façon de se ressourcer au contact du public et de nouvelles générations.

* Les 9 et 10 juillet à 17 h et 19 h.

https://zumayaverde.com/