Portrait de diplômé·es / Samira Ahmadi Ghotbi

Samira Ahmadi Ghotbi a étudié la peinture à la Faculté d’Art et d’Architecture de Téhéran avant d’intégrer l’École supérieure d’art de Clermont Métropole où elle a obtenu un DNSEP. Elle a ensuite intégré la Coopérative de recherche de l’ÉSACM avec un projet de recherche autour de la mémoire. Vidéo, dessin, performance, sculpture, écriture, les médiums qu’elle utilise sont choisis en fonction de l’histoire, globale ou intime, qu’elle souhaite raconter.

Peux-tu nous parler de ton parcours, avant d’entrer à l’école ?

J’étais en dernière année de licence à la Faculté d’art et d’architecture de Téhéran, quand nous avons décidé, avec une amie, de quitter l’Iran pour continuer nos études. Nous avons commencé à étudier le français et une réunion à l’Alliance Française nous a permis d’avoir une vision plus précise des études en France. J’ai candidaté à l’ÉSACM  pour la simple raison que c’est une des rares écoles qui acceptaient que je passe l’entretien d’admission en visioconférence. Je suivais l’option peinture à la Faculté d’art et d’architecture de Téhéran à l’époque, et j’avais une belle image de ce qu’étaient l’art et la littérature en France. J’ai intégré la 3e année à l’ÉSACM. Le processus de visa a pris trois ans.

Etudier en université d’art en Iran et en école d’art en France sont deux choses très différentes. Les pratiques que j’étudiais en Iran étaient très académiques, très axées autour de la technique, de l’anatomie, du modèle vivant. Pendant mes six ou sept premiers mois à l’ÉSACM, je n’ai presque rien produit, j’étais complètement perdue. L’équipe m’a laissé libre et tranquille. Je ne subissais pas de pression de production. J’ai été étonnée d’être présentée  au diplôme. Mais au fur et à mesure, j’ai réussi à trouver ma logique de travail. Bien sûr l’héritage iranien est toujours présent dans mon travail, je ne peux pas m’en détacher. Mais j’ai trouvé la façon de me l’approprier.

À l’école j’ai beaucoup travaillé le dessin, puis j’ai commencé petit à petit la vidéo et l’installation. Mais le dessin a été au cœur de mon travail et visible dans ces autres pratiques. Les propositions de l’école étaient souvent des déclencheurs, comme le programme de recherche « L’intercalaire » auquel j’ai participé, ainsi que les rencontres avec des artistes et intervenant.e.s extérieur.e.s. La rencontre avec Rémy Héritier, danseur et chorégraphe, qui était chercheur à la Coopérative de recherche à l’époque et qui aujourd’hui enseigne la danse à l’école, m’a peu à peu conduit à la performance.  Cela m’a permis d’assumer mon corps et ma voix pour me mettre en scène, sortir des pages de papiers et de dessin. J’ai vécu alors une transition depuis une pratique un peu timide, vers des pratiques plus partagées et plus assumées.

En 2018, Rémy Héritier m’a invité à participer à un projet de recherche intitulé « L’usage du terrain » et mené par le Centre national de la danse,  les Laboratoires d’Aubervilliers et la ville de Pantin. J’ai travaillé trois semaines sur la notion de traces dans un stade abandonné à Pantin. C’est comme ça que j’ai investi le champ de la performance en compagnie de Rémy et de son équipe de danseurs. La même année, j’ai proposé une performance au Salon de Montrouge.

L’usage du terrain, La Trace, Performance 15″

Tu as intégré la Coopérative de recherche après ton DNSEP. Autour de quels sujets travaillais-tu ?

Etudiante, j’avais participé à un programme proposé à l’époque qui s’appelait « Intercalaire ». On était huit artistes et étudiant.e.s à travailler au sein de ce programme, autour du sujet la latence, de l’ennui. On essayait de déconstruire l’idée selon laquelle le « faire » était la seule manifestation de la productivité. On expérimentait le fait de produire, sans nécessairement aboutir à des objets ou des formes. Ce programme m’a donné envie d’intégrer la Coopérative de recherche, après avoir obtenu le DNSEP.

Pendant trois ans au sein de la Coopérative, j’ai pu travailler avec des artistes et des chercheur.e.s. Je n’ai pas ressenti la solitude qu’on peut ressentir quand on sort des beaux-arts. La Coopérative m’a aussi offert un confort matériel : une bourse et un lieu de travail.

En 2019, j’ai passé le DSRA (Diplôme supérieur de recherche en art) qui a pris la forme d’une exposition et d’un parcours performatif à la Galerie de la Cité internationale des arts. J’y étais en résidence depuis plus d’un an et je trouvais pertinent de passer mon diplôme en dehors de l’école. Je voulais clore et rendre compte de ces deux expériences conjointement, mon projet de recherche à l’école et ma résidence à la Cité.

Pourrais-tu définir ta pratique ?

Je travaille souvent à partir d’une histoire, intime, familiale ou culturelle, des « micro-histoires ». À partir de ces histoires-là, je cherche et je propose des formes. Ça peut être de la performance, de l’écriture, de la vidéo, de la sculpture, du dessin, etc. Mon travail s’inspire de l’Iran, de son histoire et de son actualité. Mais j’’essaie de trouver un langage qui sera lisible et visible au-delà des frontières d’un territoire spécifique. Je traite des documents historiques, des images d’archive ou des récits, dans le contexte social et politique d’aujourd’hui.

Depuis quelque temps, je travaille autour de la chasse, de la figure de l’animal comme métaphore du corps chassé. Pour le DSRA, j’avais déjà travaillé sur un journal de chasse iranien de la fin du XIXe siècle, pour proposer une performance collective et narrative effectuée par cinq femmes qui s’intitulait « Le cercle du chaudron ».

Le cercle du chaudron, Performance 12″

Depuis mars et jusqu’à fin avril 2021, je suis en résidence à Chanonat avec l’association  Champ Libre, et je développe un thème similaire. Je suis à la recherche de formes qui évoquent un entre-deux : entre l’homme et l’animal, entre la proie et le prédateur. Je réalise dans ce cadre un travail de sculpture, en tissu et en latex essentiellement. Je m’inspire des gants de fauconnier, à mi-chemin entre l’habillement et la seconde peau, l’outil de chasse et le piège. Je m’intéresse au faucon comme étant à la fois chasseur et l’animal exploité.

Où et comment travailles-tu ?

Je vis entre l’Iran et la France. Et depuis 3 ans je vis à Paris. J’ai été lauréate de la commission de la Cité internationale des arts 2018. J’ai eu la chance d’avoir un espace de vie et de travail grâce à cette résidence à la Cité. Ensuite j’ai intégré un lieu de résidences d’artistes appelé « Espace en cours ». Julie et Didier Heintz, historienne d’art et architecte, mettent à disposition des artistes quatre studios au sein de leur immeuble, avec un espace commun de travail. À mon retour après ma résidence à Chanonat, je devrai trouver un nouvel atelier.

Depuis mon arrivée à Paris j’ai essayé de trouver un équilibre entre mon travail alimentaire et mon travail artistique. Mais ce n’est pas toujours évident.  L’année dernière, je n’étais pas tout-à-fait satisfaite de mon exposition « De toute la longueur d’une main, à 45 pas de distance » au GAC d’Annonay. Car ayant un emploi à temps partiel de 29 heures par semaine à l’accueil de Grand Palais, je n’ai pas eu assez de temps ni la concentration suffisante pour préparer l’exposition.

Ces dernières années, j’ai passé du temps à répondre à des appels à candidature, monter des dossiers, mais ce n’est pas un exercice dans lequel je suis très à l’aise. D’ailleurs, cette année, je me concentre sur mon travail, et je ne postule pas pendant quelque temps. Je me rends également compte que les plus belles opportunités et les plus beaux projets qui m’ont été proposés l’ont été grâce à des invitations d’artistes ou de professionnels de l’art.

Comme l’exposition collective de « Distopical encounter » à Bangkok, à l’occasion de Offsite project mené par la galerie In extenso, à l’invitation de Benoît Lamy de la Chapelle, ancien directeur de la galerie en janvier 2018.

Bangkok : Roar, Photo argentique, installation photo, Gel de silice, Crédits photos : Shinya Matsunaga

Je pense également au Dôme Festival, une proposition de Constantin et Baptiste Jopeck, artistes et cinéaste. Constantin est actuellement membre de la Coopérative de recherche de l’ÉSACM. Il s’agit de deux semaines de résidence dans une magnifique maison à Montbazon, une ambiance joyeuse et avec des artistes intéressant.e.s.

As-tu des expo ou projets en cours ou en préparation ?

Je suis actuellement en résidence au Champ Libre à Jussat, un lieu-dit de Chanonat. Une exposition aura peut-être lieu à la fin de la résidence. J’expose également à homealonE, un lieu associatif à Clermont-Ferrand.

Marjolaine Turpin, artiste et ancienne étudiante de l’ÉSACM, m’invite également à participer à une exposition au centre d’art du Parc Saint Léger à Pougues-les-Eaux, où elle a été en résidence durant l’automne 2020. Nous réfléchissons à l’exposition ensemble pour le mois de juin.

À l’automne 2021, je participerai au festival « Plastique danse flore » sur une nouvelle invitation de Rémy Héritier au potager du roi, à Versailles.

« Harmonie », une exposition par la Coopérative de recherche à la galerie In extenso

« Harmonie », une proposition de la Coopérative de recherche de l’ÉSACM.

Comment composer depuis le collectif ? Comment s’accorder, échanger, et faire cohabiter sa recherche avec celles des autres ?

Du 1er au 15 avril 2021, les chercheur⋅e⋅s de la Coopérative de recherche de l’ÉSACM investissent les espaces de la galerie associative In Extenso pour y déployer des temps de travail, des actions éphémères et des partages de contenus et de formes – en ligne ou hors ligne.

Au fil des jours et de la programmation, In extenso devient l’espace où se traduisent les doutes et l’émulation qui animent la vie de la recherche à l’ÉSACM.

Programmation en cours.

https://www.inextenso-asso.com/

Du 1er au 15 avril, évènements en ligne sur le compte Instagram de l’ÉSACM et d’In extenso. Permanence et accueil du public à la galerie du lundi au dimanche, de 14h à 18h.

Thomas Conchou a présenté l’exposition « La clinique du queer » le 24 mars

Mercredi 24 mars, Thomas Conchou, curateur, est intervenu auprès des étudiant.e.s de 5e année, sur une invitation de Sophie Lapalu, afin de leur présenter l’exposition « La clinique du queer », à la Maison populaire de Montreuil du 28 septembre 2020 au 13 février 2021.

« L’exposition se concentre sur les potentiels politiques qui se nichent dans les intervalles de vies passées en commun. Comme l’avance Sara Ahmed dans Queer Phenomenology, le corps queer n’est jamais seul, tant il dépend de la mutualité et de son soutien. Pourtant, il peut se trouver étranger à l’espace domestique et familial, produisant – souvent en premier lieu – un sentiment bizarre (queer) d’inadéquation et de « disidentification » aux valeurs et aux pratiques hétéronormatives de la famille nucléaire, modèle occidental d’habitat et de transmission patrimoniale par excellence. Pour certainxs néanmoins, la maison peut être, ou plutôt devenir, un espace queer en tant que tel, « plein du potentiel d’expérimenter la joie de désirs déviants ». Ainsi selon Sara Ahmed, appliquer un programme politique queer à l’espace domestique permettrait d’exposer comment nos maisons, loin d’être des espaces clos sur l’intime et le désir, sont précisément connectées aux autres (personnes, espaces) qui les entourent, via les intersections et les expérimentations qu’elles permettent. Quelles qu’elles soient, ces variations d’assemblages d’affects et de solidarité, que l’on pourrait rassembler sous le terme de familles choisies, naviguent toujours entre l’inconnu et le familier, entre l’excitation et la difficulté d’inventer ce que l’on ne connaît pas. »

Thomas Conchou est commissaire indépendant, co-fondateur du collectif curatorial Syndicat Magnifique et conservateur pour Societies, un projet parisien à but non lucratif initié par Jérôme Poggi et soutenu par la Fondation de France dans le cadre du programme Nouveaux commanditaires. En 2020-2021, il est curateur en résidence à la Maison populaire de Montreuil, un centre communautaire dédié aux pratiques artistiques et à l’éducation populaire où il s’engagera dans une recherche curatoriale centrée sur les pratiques contemporaines queer.

https://fr.thomasconchou.fr/lacliniqueduqueer

Journées portes ouvertes en ligne, du lundi 22 au samedi 27 février 2021

Les Journées portes ouvertes de l’ÉSACM auront lieu en ligne, du 22 au 27 février 2021, avec :

– un live tous les jours sur instagram @esacm_clermont

– une FAQ toute la journée du mercredi 24 janvier sur instagram

– une présentation de l’examen d’entrée et des façons de s’y préparer, vendredi 26 février, de 18h à 19h30, sur inscription => https://forms.gle/Q1JZLgd6aYEvgFeq7

 – une permanence avec des étudiant.e.s et des diplômé.e.s qui répondent à toutes vos questions en visio, le samedi 27 février, de 11h30 à 13h => https://meet.jit.si/PERMANENCEESACM 

– des créneaux pour des rendez-vous personnalisés en visio, toute la semaine, sur inscription => https://forms.gle/rU7WafAvF8LfbeTVA

Retrouvez ci-dessous une vidéo qui propose une visite virtuelle de l’école par ses étudiant.e.s, une la présentation de la formation par le directeur Emmanuel Hermange.

 

Présentation de la formation par Emmanuel Hermange, directeur de l’ÉSACM from esacm on Vimeo.

ATTENTION : L’exmen d’entrée change de forme en 2021 => En raison de la situation sanitaire, nous maintiendrons exclusivement l’entretien en le réalisant à distance via l’interface Jitsi Meet. Afin de permettre aux candidats de préparer cet entretien dans les meilleures conditions, nous leur transmettrons au préalable un ensemble d’indications et de conseils sur le déroulement et les enjeux de l’entretien. Dans ces circonstances particulières, l’entretien prend la forme d’un appel vidéo d’une quinzaine de minutes, pendant lequel un échange aura lieu autour de la pratique artistique et l’esprit de curiosité du.de la candidat.e. Bien que devant un écran, les candidat.e.s ont la possibilité s’ils le souhaitent d’investir l’espace qui les entoure, l’aménager, y placer des travaux, travailler la lumière.

 

 

Visuel par Yassine MOUSTAHLAF, étudiant de 2e année, pour l’Ultimate Desktop Challenge proposé à la communauté de l’école pendant le confinement en avril 2020.

Portrait de diplômé·es / Justine Emard, par Manon Pretto

Justine Emard a obtenu un DNSEP à l’ÉSACM en 2010. Son travail explore les nouvelles relations qui s’instaurent entre nos existences et la technologie. Cet entretien a été mené par Manon Pretto, diplômée du DNSEP à l’ÉSACM en 2020.

Comment définirais-tu ta pratique ?

Ma pratique est en perpétuelle évolution. Je n’ai pas de médium prédéfini mais je crée des dispositifs qui me permettent d’explorer à la fois le monde d’aujourd’hui et les perspectives du futur.
Mon travail se situe à la croisée de la robotique, des neurosciences, de l’intelligence artificielle et de la vie organique. En associant ces domaines de recherche, je crée des liens entre notre humanité et la technologie. Je suis toujours inspirée par le présent, les avancées du monde, et je collabore avec des laboratoires scientifiques, au Japon, en France, ou au Canada.

Avais-tu envisagé la science et les technologies comme sujet de ton parcours professionnel avant d’entrer à l’école d’art ?

J’ai toujours voulu créer des images et des formes. J’étais à l’aise dans les domaines littéraires, tout en ayant un attrait pour les sciences et le vivant. J’ai découvert l’informatique et internet, qui étaient alors à l’aube d’une révolution dans notre appréhension du monde. Les scientifiques sont constamment en train de redéfinir ce qu’est le monde, en proposant des outils pour mesurer les choses et les comprendre. Et c’est aussi ce que fait l’artiste, qui met en place des protocoles, fait des expériences, pour en extraire la poésie latente et l’exposer.

Dirais-tu que ton travail tend à rendre accessibles les sujets scientifiques et parfois complexes dont tu t’empares ? Peut-on parler d’un travail de traduction ?

Un des rôles de l’artiste est, selon moi, de poser un regard singulier sur ce qui l’entoure, et d’en proposer une interprétation. J’aime rassembler des informations, des données, des témoignages, des expériences, et les mettre à l’épreuve du réel dans une forme différente. Cette notion de traduction traverse ma pratique, en abordant aussi la question du langage, la façon d’envisager l’autre et d’appréhender le monde. C’est un chemin vers l’autre et vers ce que l’on ne connaît pas. J’aime chercher le meilleur médium pour véhiculer ma pensée et inventer de nouveaux langages. 

Soul Shift, 2019, Mori Art Museum, Tokyo © Justine Emard, Adagp, 2021

Comment, en sortant d’une école d’art, as-tu réussi à approcher cet univers scientifique ?

 Tout part toujours simplement de mon intérêt pour un domaine de recherche, un ensemble de travaux, un sujet. Je peux aborder ces questionnements selon une démarche qui n’est pas scientifique mais plastique, ce qui me laisse une grande liberté.

Dernièrement, j’ai travaillé avec le Laboratoire des systèmes perceptifs de l’ENS à Paris, autour de la matérialisation des rêves. J’ai créé un protocole, entre neurosciences et sculpture, pour imprimer des rêves en 3D grâce à un bras robotique industriel. Il s’agissait de produire des formes en céramique à partir de signaux enregistrés au plus profond de notre inconscient, et de révéler une architecture mentale. Cette expérience propose de construire la forme à partir du réservoir émotionnel que sont les rêves.

Impressions 3D en atelier, 2020 © Justine Emard, Adagp, 2021

Tu es souvent en déplacement, en France ou à l’étranger, pour des expositions ou des résidences. Peux-tu nous parler de ces expériences et de la façon dont tu organises ton quotidien de travail ?

En réalité, mon quotidien c’est le mouvement. Je suis souvent en déplacement, et ces moments de transition sont pour moi un espace privilégié pour penser, loin de la routine. Il m’arrive d’être en résidence dans des pays étrangers, en étant inspirée par le dépaysement. Il m’arrive aussi de travailler dans mon atelier à Paris, ou encore de collaborer avec des musiciens, des compositeurs, des danseurs dans un espace scénique. La scène est un champ de possibles qui m’attire.

J’aime être un jour en tournage sur une île japonaise, et le lendemain travailler avec des artisans sur une pièce unique. Dominique Gonzalez-Foerster, plasticienne et réalisatrice française a dit : « L’éparpillement me resserre. » J’adhère à cette idée, se fondre dans le monde pour en concentrer l’essence. Ce dépaysement me plaît. Il active des systèmes de pensée et met les choses en mouvement.

Parmi mes expériences à l’étranger, je viens de terminer une résidence au ZKM, le Centre d’art et médias de Karlsruhe en Allemagne. J’ai créé une installation intitulée Supraorganism, animée par un système conçu pour observer puis prédire les comportements des essaims d’abeilles. Les équipes de ce centre d’art travaillent sur la recherche muséale en rapport avec l’intelligence artificielle, et il était précieux pour moi de pouvoir échanger avec eux et de mettre en commun nos pratiques.

Supraorganism, 2020, Résidence au ZKM, Karlsruhe et à la Maison de la Musique de Nanterre © Justine Emard, Adagp, 2021
Supraorganism, 2020, Résidence au ZKM, Karlsruhe et à la Maison de la Musique de Nanterre © Justine Emard, Adagp, 2021

Quel a été ton parcours à l’intérieur de l’école ?

Je m’intéressais déjà à l’image, à ses mécanismes d’apparition. J’étais captivée par la technologie de l’image et sa matérialité. Ce travail était en quelques sortes l’archéologie de mon travail actuel. Je me rappelle avoir été initiée à la 3D par Virginie Sebbagh, intervenante à l’ÉSACM, qui modélisait des décors pour les tout premiers jeux vidéos en 3D sur ordinateur. Travailler avec elle a été une expérience féconde qui m’a aidée à renouveler mon regard. Je trouve qu’il y a une belle continuité entre ma pratique à l’école et ma pratique artistique actuelle.

Comment s’est passée la transition avec le monde professionnel après le diplôme ?

La transition s’est faite naturellement parce que je participais déjà à des résidences, des expositions, ou des scénographies pour le spectacle vivant. J’ai été sollicitée tout de suite pour une résidence expérimentale dans un laboratoire de réalité virtuelle à Clermont-Ferrand, et c’est à ce moment-là que j’ai découvert l’étendue des moyens de simulation de la réalité. J’ai eu l’envie d’apprendre à coder, à m’emparer de ces outils, tout en gardant une distance critique vis-à-vis de leurs usages. Cette immersion dans l’univers de l’informatique m’a permis de créer ma première pièce en réalité augmentée : Screencatcher, en 2011, avec l’aide du CNC (Centre national de la cinématographie), alors que cette technique n’était pas du tout utilisée dans l’art à cette époque. En écho à l’idée des « dreamcatchers » (les attrapeurs de rêves), Screencatcher révèle des images à la surface de dessins d’écrans abandonnés.

Screencatcher, 2011, Exposition au Musée d’Art Roger Quilliot (2017) © Justine Emard, Adagp, 2021

Après mon diplôme, j’ai fait de chaque expérience un rebondissement. J’ai obtenu un master en conduite de projets culturels, où j’ai appris à manipuler des budgets prévisionnels, monter des projets, négocier des partenariats afin d’acquérir une grande autonomie dans ma pratique et sa production. 

Pendant plusieurs années après l’école, il s’agit d’apprendre à être artiste. Explorer et se développer au contact de l’inconnu. Mes créations scénographiques pour le spectacle vivant m’ont amenée à la performance. La réalisation et le montage de films pour d’autres artistes et institutions (Hiroshi Sugimoto, Ange Leccia, Susanna Fritscher, Le Palais de Tokyo…) m’ont apporté des connaissances et une technicité supplémentaires dans la création de mes œuvres. 

Puis j’ai été invitée pour mes premières expositions personnelles en Norvège, en Suède, en Corée, en Colombie, au Japon, jusqu’à la Nouvelle-Zélande et le Canada.

J’ai été sélectionnée pour la Biennale de Moscou (2017). Mes œuvres ont été exposées à la Cinémathèque Québécoise à Montréal (2019), lors d’expositions collectives au Mori Art Museum ainsi qu’au MOT Museum of Contemporary Art à Tokyo (2019 et 2020) et au Frac Franche-Comté à Besançon (2020).

En 2017, j’ai été sélectionnée pour la résidence Hors les murs de l’Institut Français et la résidence internationale Tokyo Wonder Site, qui m’ont permis de vivre à Tokyo pendant plusieurs mois. Ce long temps de travail m’a procuré une stabilité précieuse dans mes relations avec mes collaborateurs au Japon. Les œuvres Reborn, Co(AI)xistence, Soul Shift et Symbiotic Rituals ont émergé de ces temps d’expérimentation et de création avec le monde de la robotique, entre 2017 et 2019.

Quelles sont tes actualités ?

Je travaille en ce moment sur un projet de commande publique pour le CNAP, Image 3.0, autour des images du futur. Un projet passionnant, pour lequel je m’intéresse aux mécanismes du neurofeedback.

J’ai plusieurs performances prévues en février 2021, avec la pièce Supraorganism et l’ensemble musical TM+, à la Maison de la musique de Nanterre, puis à la Scène musicale, à Paris.

Je participe prochainement à une exposition produite par le Barbican Center de Londres, AI—More than Human et qui sera en janvier au World Museum, à Liverpool. Il s’agit d’une exposition de grande envergure, qui explore les développements créatifs et scientifiques autour de l’intelligence artificielle, en montrant son potentiel à révolutionner nos vies. De la machine à calculer de Blaise Pascal jusqu’aux derniers développements de l’intelligence artificielle.

Co(AI)xistence, 2017, Vue d’exposition “AI more than Human” au Groningen Forum
. © Stella Dekker

www.justineemard.com

instagram :  justineemard

Crédit photo portrait de Justine Emard ©  Jean-François Robert pour Télérama

Conférence par Romain Michon dans le cadre de l’évènement OBLIC du Damier

L’ÉSACM est partenaire de l’évènement OBLIC porté par Le Damier. OBLIC, c’est à dire « OBservatoire et Laboratoire de l’Innovation Culturelle », est un projet qui rassemble les événements portés par Le DAMIER, cluster d’entreprises créatives et culturelles en Auvergne, dans le champ de l’innovation culturelle.

Cette année, l’ÉSACM est partenaire de l’édition 2020, et en particulier de la conférence donnée par Romain Michon intitulée «Technologies et outils émergents pour la création sonore et musicale» , à découvrir en ligne le 17 décembre à 14h sur le site ainsi que la page facebook du Damier. Intelligences artificielles, nouveaux modes de traitement du son, systèmes embarqués et de spatialisation, nouvelles interfaces, etc. Cette conférence proposera un tour d’horizon des outils qui révolutionnent le domaine de la musique et du son.

Toutes les infos sur la conférence : https://www.ledamier.fr/oblic-2020-a-la-decouverte-de-linnovation-sonore/conference-outils-et-technologies-emergentes-pour-la-creation-sonore-et-musicale/

Portrait de diplômé·es / Alex Chevalier

Diplômé d’un DNSEP obtenu à l’ÉSACM en 2013, Alex Chevalier participe à de nombreuses expositions, à la fois en tant qu’artiste et en tant que commissaire d’exposition. Fondateur des éditions exposé.e.s ainsi que de la revue Kontakt, il explore les différents moyens de diffusion d’un projet artistique.

Comment les pratiques artistiques, curatoriales et éditoriales sont-elles associées dans votre travail ?

Dans un premier temps, j’ai ressenti le besoin de dissocier ces pratiques, de les travailler indépendamment afin de me positionner, d’affirmer mes choix mais aussi, d’une certaine façon, afin de me faire reconnaitre par mes pairs. Comme un besoin de légitimer mes recherches. Aujourd’hui, je ne fais plus cette distinction, parce qu’en réalité, ma pratique correspond davantage à une recherche générale sur la façon de diffuser et de montrer un contenu artistique.

Cette question de la diffusion s’est posée très tôt dans mon parcours. D’abord par des actions dans l’espace public, sous la forme de collages urbains notamment, puis par un travail éditorial. Au début de la 4e année aux Beaux-arts, avec un camarade de promotion, nous avons créé Di Spuren, un journal d’esthétique et de contestation, que nous éditions à l’école. Nous avions pris le parti d’inviter aussi bien des artistes dont nous estimions le travail que des étudiant.e.s qui étaient alors libres de répondre à notre invitation de la façon qu’ils.elles souhaitaient. Nous empruntions des textes et des images qui nous semblaient faire sens à ce moment-là en prenant de grandes libertés ! J’ai ensuite poursuivi ce projet, seul, pendant deux ans, entre la 4e et 5e année ; en tout, il y a eu six numéros et deux hors-séries. 

La revue Kontakt a été créée en parallèle, au début de la 5e année. La genèse du projet se trouve dans un voyage à Berlin avec le même camarade de promotion : nous visitions les musées, et dans l’un d’entre eux, il y avait une collection incroyable de tracts, d’affiches et de pamphlets dadaïstes. Mon père étant un ancien punk, les photo-collages, les tracts et les affiches ont toujours été très présents dans mon environnement. J’étais donc face à une double histoire qui répondait en de nombreux points à mes préoccupations. Suite à cette visite, en une vingtaine de minutes, j’ai dessiné ce qui serait le graphisme de Kontakt. Nous en sommes aujourd’hui au numéro 48, et ce design n’a pas changé. C’est une revue apériodique, un feuillet recto-verso, noir et blanc de format A4 pour lequel chaque invité.e est libre de contribuer de la façon dont il.elle le souhaite dans l’espace de la page. Chacun.e peut ensuite reproduire et diffuser librement chaque numéro qui est en téléchargement libre sur un blog dédié. S’il s’agissait au départ d’un projet éditorial, il s’est progressivement imposé comme étant également un projet curatorial, un espace d’exposition. Une évidence, finalement, pour moi au vu des recherches que je mène autour de l’histoire du commissariat d’exposition, et en particulier, de la figure du marchand et éditeur américain Seth Siegelaud : son célèbre Xerox Book (1968) étant un livre de photocopies qui se donne comme l’exposition et l’espace même de l’exposition. Aujourd’hui encore, Kontakt est un espace que je propose en tant que tel, avec ses contraintes, aux artistes, activistes et auteur.e.s que j’invite.

Comment se déploie votre travail plastique à proprement parler ?

Je participe régulièrement à des expositions dans lesquelles je peux présenter mon travail de dessin et d’installation. Les matériaux que j’utilise comme supports sont généralement récoltés dans l’espace public ; ainsi, plaques de placoplâtre, parpaings, cartons et autres planches en bois constituent le répertoire de formes et de supports à partir desquels je travaille. Bien qu’ils soient rendus muets par leur recouvrement intégral au graphite ou au stylo bille, ces objets m’intéressent, non seulement parce qu’ils comportent leur propre histoire que je viens faire taire, mais aussi parce qu’en les récoltant et en les exposant dans l’espace de la galerie, s’opère un renversement constitutif de ma démarche : l’espace public infuse dans la galerie, alors que le travail d’édition, lui, par l’intermédiaire d’actions de collages sauvages et de tractages, va venir pirater l’espace public.

J’ai également une pratique quotidienne de la photo, que je fais à partir de mon smartphone, des images de mon environnement immédiat, qui deviennent comme des notes visuelles, personnelles : des matériaux de construction, des rebuts de meubles sur un trottoir, des tags recouverts, etc. Ces images collectées sont archivées dans des dossiers dédiés où je vais piocher au gré des projets que je mène… Mais je dois avouer qu’il m’a fallu des années avant de réussir à montrer et assumer ces images.

C’est un voyage de recherche à Détroit – rendu possible par l’obtention, en 2015, d’une bourse de la DRAC Limousin – qui est à l’origine de mon envie d’exploiter cette matière accumulée depuis des années. Ce voyage, fondateur dans mon parcours, m’a réellement fait prendre conscience des gestes artistiques que je posais et de la manière dont ils s’articulaient entre eux.  Par exemple, sur place, j’ai voulu participer symboliquement à la renaissance de la ville en rangeant les espaces désaffectés que je visitais, pratique que j’avais déjà en France, mais dont je ne faisais rien – peut-être parce que je n’en mesurais pas l’importance ?

Une anecdote qui m’amuse, à propos de ces actions de rangement d’ailleurs : un jour, j’ai regroupé et empilé les pneus dispersés dans tout un quartier autour d’une usine Continental désaffectée ; j’ai filmé, je suis parti. Le lendemain, en retournant sur place pour faire d’autres photos, je me suis aperçu que les gens du quartier avaient pris la suite, et avaient continué à ranger… Un dialogue muet s’était instauré avec eux.

En 2018, j’ai consacré une exposition à ce travail mené à Détroit, au Lieu Minuscule, à Reims ; j’y montrais une vidéo et une série de photographies. Même si j’étais content de l’exposition, j’ai vite pris conscience du fait que ces photographies accrochées au mur ne me convenaient pas. Quelques temps après j’ai été invité à Rennes pour participer à une exposition répartie dans plusieurs lieux de la ville. Un de ces lieux, Lendroit Éditions est une librairie dédiée à l’édition d’artiste. J’ai rencontré le directeur et lui ai parlé de mon envie de faire une édition de cet ensemble de photographies. Situations a ainsi vu le jour. Depuis, trois éditions ont été publiées, la première par Lendroit Éditions, les suivantes en mon nom.

Présenter vos images par le biais du livre vous convient davantage que l’exposition ?

Oui, le livre est très important pour moi. Dans un entretien que j’ai réalisé avec l’artiste et activiste américain Josh MacPhee, il me confiait qu’il préférait toucher cent personnes avec une œuvre à 10 dollars, qu’une seule avec une œuvre à 1000 dollars. Une approche du travail dont je me sens très proche, tant cela permet également de démocratiser la pratique artistique et de la diffuser dans tous les contextes. Par ailleurs, le livre est un support qui m’intéresse aussi parce qu’il instaure un rapport plus direct et intime à l’œuvre. Le livre, on le garde, on le manipule, on l’annote. Cette relation à l’objet est devenue très importante pour moi et constitutive de ma pratique éditoriale.

En parallèle, il vous arrive aussi d’intervenir en tant qu’invité dans les écoles d’art ?

Oui, j’ai participé à différents ateliers dans plusieurs écoles, notamment pour parler de mes pratiques éditoriales ainsi que de mon approche du commissariat. Par exemple, en 2019, j’ai travaillé avec les diplômé.e.s de 5e année de l’IsdaT, à Toulouse, à la réalisation d’une exposition collective. S’est rapidement posée la question du catalogue d’exposition présentant le travail de chacun.e. Nous sommes parti.e.s du constat que les catalogues d’exposition sont souvent inutiles pour les jeunes artistes qui doivent présenter leur travail dans le cadre d’un appel à projet par exemple. Les envoyer par courrier coûte très cher, et souvent les diplômé.e.s ne disposent que de quelques pages à l’intérieur qui leur sont consacrées. J’ai donc proposé aux étudiant.e.s de faire un catalogue sous la forme d’une enveloppe japonaise, dans laquelle chaque diplômé.e disposait d’un format A3 recto/verso. Avec la complicité d’un trio de graphistes issu de cette même promotion et formé pour l’occasion, nous avons travaillé sur une forme unique à chacun.e où ils.elles pouvaient présenter leur travail.

Comment se sont passés les premiers temps de la sortie de l’école pour vous ?

Lorsque je suis sorti diplômé de l’ÉSACM, j’ai participé à plusieurs expositions consacrées aux jeunes artistes issu.e.s des écoles d’art de la région, comme l’exposition Première, qui exceptionnellement cette année-là s’est déroulée au BBB à Toulouse, ou Les enfants du Sabbat au Creux de l’enfer à Thiers. J’avais déjà un réseau, grâce à mes revues notamment, et je mettais énormément d’énergie dans le travail. Quand on sort des Beaux-arts, il faut se déplacer, aller voir les gens, aller voir des expositions, visiter les lieux où se trouve l’activité artistique, se mettre en mouvement. Je ressentais pour ma part une certaine urgence à agir. J’ai un caractère assez impatient, je voulais que les choses se fassent. J’ai fait le choix à ce moment-là de ne pas avoir d’atelier intégré à mon lieu de vie, pour m’assurer une certaine mobilité justement. Je n’ai d’ailleurs jamais vraiment compris l’intérêt de produire des œuvres sans savoir s’il allait être possible de les montrer à un moment ou à un autre ! D’autant plus que, mon travail se construisant en fonction des particularités des espaces dans lesquels il est montré, il ne fait pas sens pour moi à ce moment-là d’avoir un atelier et de m’y enfermer.

L’été qui a suivi mon diplôme, je suis parti à Berlin, puis suis rentré et ai fait de la maison familiale en Haute-Corrèze mon camp de base pour quelques années, ce qui me permettait de pouvoir bouger, accepter des projets et voyager comme je l’entendais. Mon réseau se consolidant et les projets se multipliant, il était devenu nécessaire pour moi de me rendre à Paris au moins une fois par mois.  Quand je n’étais pas sur les routes, à monter des projets, rencontrer des gens, l’essentiel de mon travail devait être celui de la diffusion de ce dernier. Aussi j’ai commencé à répondre à des appels à candidatures. Et si au début je faisais ça timidement, j’en suis vite venu à répondre à une soixantaine d’appels à candidatures par an. Cela me permettait, entre autres, de concevoir des projets et de les mûrir, même s’ils étaient refusés, en les repensant pour d’autres lieux/contextes.  Je réponds toujours à des appels à candidatures, mais beaucoup plus rarement et pour des projets que je choisis avec plus de précision.

Ce qui a changé pour moi depuis l’école, c’est aussi ma temporalité de travail. À l’école j’étais un bourreau d’atelier, j’y étais du matin au soir, je profitais des équipements mis à disposition et appréciais de pouvoir bénéficier du suivi des enseignant.e.s également. J’étais accompagné par les enseignant-e-s qui travaillent la peinture et l’image, comme Jean Nanni, Cécile Monteiro-Braz ou Lina Jabbour. Ils.elles m’ont guidé dans mes choix plastiques.

Aujourd’hui, je travaille très différemment, je ne dessine plus tous les jours comme c’était le cas à cette époque. Je rédige des protocoles, imagine des projets que j’active selon les contextes dans lesquels je suis invité à exposer. Et bien qu’il y ait toujours de la place pour la réalisation de dessins, de peintures ou autres projets, mon travail passe désormais davantage par l’écrit.

Le fait d’être autonome dans ma pratique est très important pour moi. L’autonomie m’apparaît presque comme un devoir d’artiste, une façon d’appréhender le travail, son économie et son rapport à l’autre. J’aime que toutes les étapes d’un travail artistique puissent être réalisées par une seule personne.

Silence, 2018, ensemble de dessins sur carton d’emballage, graphite sur carton contre-collé sur carton gris, 75 x 400 cm
image : vue de l’exposition Art On Paper, BOZAR, Bruxelles, 2018

Sur quoi travaillez-vous actuellement ?

Je travaille depuis plusieurs années avec le Centre des livres d’artistes (CDLA) à Saint-Yrieix-La-Perche, qui dispose de l’un des fonds les plus importants de livres d’artistes en France. C’est un lieu qui a une politique très ouverte et accueillante sur les questions éditoriales. Depuis 2017, année pendant laquelle j’y ai fait une résidence de recherche, je collabore avec Didier Mathieu, le directeur du CDLA, sur différents projets. En 2018, nous avons proposé une exposition sur le groupe Crass, groupe punk basé à Londres, avec la collection d’ouvrages et de documents de mon père associée à celle du CDLA (CRASS-DIY).

En 2019, avec François Trahais, qui est historien de l’art, nous avons monté un projet qui s’est déroulé au CDLA ainsi qu’au CAPC de Bordeaux, autour des éditions d’Edward Ruscha, Seth Siegelaub et Marcel Duchamp, acteurs et précurseurs de l’édition d’artiste comme elle est pratiquée par les artistes de l’art conceptuel, et de l’impact qu’ils ont eu sur la création contemporaine (#after, de l’édition à l’exposition). Depuis plusieurs mois, je travaille sur un projet d’exposition qui réunirait entre autres les collections du CDLA et du FRAC Bretagne, mais le travail étant encore en cours de construction, je préfère ne pas trop en dire pour le moment.

En parallèle, je m’attelle toujours à la diffusion de mon travail plastique sous la forme d’expositions, dont une doit d’ailleurs avoir lieu au printemps prochain, à Paris.

http://dda-aquitaine.org/fr/alex-chevalier/dossier.html

https://www.instagram.com/_alexchevalier/

Portrait de diplômé·es / Amandine Capion

Après un DNA à l’École supérieure d’art et de design de Toulon Provence, Amandine Capion souhaite changer de paysage et de région pour poursuivre ses études en art. Elle entre en 4e année à l’ÉSACM, où elle obtient le DNSEP en 2016. Amandine Capion vit et travaille aujourd’hui à Marseille. Artiste plasticienne, elle s’intéresse à la question du paysage en développant un travail autour de l’urbanisme, de l’architecture et de l’archéologie.

Arrêt sur dissolution, Cuers, 2019. Ruine et ses gravats, enduit de rebouchage. Vue depuis l’extérieur.

Quel est votre environnement de travail ?

Cela fait maintenant trois ans que je vis à Marseille. C’est une ville que je connaissais déjà partiellement et qui me semblait être favorable économiquement à l’installation des jeunes artistes. J’avais aussi envie de vivre dans une ville frénétique, qui me laisse l’occasion à chaque coin de rue de trouver l’objet de mon prochain projet. Avec le soleil en plus qui est un atout indéniable pour quelqu’un originaire du sud comme moi.

Je travaille dans un atelier partagé, au cœur d’un lieu appelé l’Immeuble, à Marseille, qui réunit ateliers et lieux de vie sur cinq étages. Nous sommes neuf à y travailler et à nous retrouver à l’occasion de barbecues sur le toit.

En quoi consiste votre pratique ?

Mon travail se nourrit d’architecture, d’urbanisme et d’archéologie. Il part d’un intérêt pour la matière du paysage, et plus précisément celle du paysage urbain. Dans la ville, c’est principalement lorsque des travaux sont en cours que toutes les couches de matières qui la composent deviennent visibles. Celles en dormance, comme la terre que l’on trouve sous le bitume, et celles, passant d’un état à un autre, comme le béton ou l’asphalte qui est visqueux lors de sa pose puis très dur en refroidissant.

C’est donc à partir de l’exploration des chantiers et de la rencontre avec les ouvriers que commence mon travail de collecte. Il s’agit en quelque sorte de court-circuiter le processus du chantier afin de m’approprier des matériaux bruts et de les détourner de leur destin initial. Parfois les matériaux prélevés sont issus d’un processus de destruction et non d’édification. C’est le cas des gravats qui résultent de l’éclatement d’une forme architecturale, matériau que l’on retrouve souvent dans mes projets. Ce qui m’intéresse ici c’est la création de nouvelles formes, chacune unique grâce à l’aléatoire de la brisure. Et comme pour cerner ces formes, j’appose un enduit de rebouchage sur chaque gravats pour ensuite composer des ensembles, des familles. La forme du fragment est la plus grande des familles composées à ce jour.

La forme du fragment, 2017. Gravats et enduit de rebouchage, dimensions variables. Vue de l’exposition 95m², Clermont-Ferrand. Crédit photo : Louise Porte.

Le procédé ressemble à celui que j’ai employé pour le projet Arrêt sur dissolution. C’est une ruine recouverte d’enduit de rebouchage qui a nécessité des mois de préparation et de réalisation. L’idée était, tout comme avec La forme du fragment, d’augmenter les traits imprécis de la ruine avec de l’enduit et de marquer une pause sur le cours naturel de sa dislocation. Passer de l’architecture à la sculpture.

Quelle est l’importance de la récupération dans votre pratique ?

Le processus de récupération me permet d’acquérir des matières spécifiques au milieu urbain, notamment des matériaux introuvables dans le commerce, car impossibles à vendre autrement qu’à la tonne. Par exemple, l’asphalte que je récupère lors de travaux de voirie à Marseille m’intéresse particulièrement. C’est une matière qui depuis sa fabrication, son transport, et jusqu’à sa pose, circule uniquement dans un réseau de machines. Le simple fait de venir en prélever quelques kilos dans un sachet plastique lui confère une nouvelle lecture à dimension humaine.

La récupération me permet dans certains cas de poser un regard archéologique sur des éléments qui en eux-même sont déjà très évocateurs. C’est le cas avec Artefact 2000 présenté à Art-Cade, galeries des Grands bains douches de la Plaine, à Marseille, à l’occasion de l’exposition « La Relève ». Cette œuvre est composée de six pavés prélevés sur la place Jean-Jaurès qui connaît de profonds changements depuis deux ans. Ce projet relève d’une démarche d’archéologie anticipée où les pavés, archivés dans une vitrine, deviennent des vestiges en devenir.

Artefact 2000, 2018. 6 pavés de la place Jean-Jaurès, la Plaine (Marseille) bois et verre. 116 x 128 x 42 cm
Vue de l’exposition « La Relève », Art-Cade Galerie des grands bains douches, Marseille.

En quoi est-ce que votre pratique est liée à des cours ou expériences que vous avez vécues à l’école ?

Plusieurs expériences ont enrichi ma pratique. Je pense par exemple à l’ARC (Ateliers de Recherche et de Création) autour du paysage. C’était un des enseignements qui correspondaient le mieux à mon travail, et qui m’a familiarisé avec la marche, l’observation, la documentation comme processus de travail en phase de recherche. Cette expérience m’a aussi permis d’acquérir des automatismes dans mon travail. Je me souviens avoir passé beaucoup de temps à découvrir la ville de Clermont-Ferrand et ses alentours, en m’intéressant particulièrement à ses « délaissés », à son « tiers-paysage », pour reprendre les termes de Gilles Clément dans Le Manifeste du tiers paysage. Je collectais photographies et prélèvements de ces lieux riches en espèces végétales spontanées et matériaux abandonnés. À l’école, mon orientation vers le volume et les installations était déjà très marquée. Mais j’ai aussi pu expérimenter la vidéo, le dessin, etc., et même le découpage de voiture. J’avais envie d’apprendre à utiliser de nouveaux outils et de nouvelles techniques.

Pendant mon cursus, j’ai pu travailler quelques jours au Scottish Sculpture Workshop de Lumsden, en Écosse, et à une résidence d’un mois et demi à Cotonou, au Bénin, en partenariat avec la fondation Zinsou. L’une avait pour objectif la découverte du travail du bronze et l’autre, plus longue, permettait d’effectuer un travail de recherche pour aboutir à une exposition. L’expérience à Cotonou a  été particulièrement marquante car le voyage s’accompagnait de la rencontre de tout un réseau d’artistes, d’acteur.trice.s de la culture, de visite de structures, et de la découverte de la fête annuelle vaudou.

Comment s’est passé votre sortie de l’école ?

Après ma sortie de l’école en 2016, je suis restée un an à Clermont-Ferrand. J’ai intégré les Ateliers au Brézet pendant six mois, ce qui m’a particulièrement aidé pour la préparation d’expositions, notamment à Chanonat et aux Ateliers. Puis après m’être installée à Marseille, j’ai commencé peu à peu à répondre à des appels à projets, à exposer en galerie (Vidéochroniques, Art-cade etc.) ou dans des lieux associatifs (Coco Velten etc.).

Pour pouvoir vivre décemment j’ai toujours travaillé à côté de mon cursus en école d’art, et en sortant de l’école j’ai tout naturellement continué cette gymnastique. Depuis la rentrée 2020, je travaille à l’école d’architecture d’intérieur et de design Camondo, à Toulon, à la fois sur des missions logistiques, de conseil technique et d’ateliers.

Comment s’organise votre quotidien de travail ?

J’organise mon travail en fonction des saisons. Par exemple, je mets à profit le printemps et l’été pour des projets en extérieur qui nécessitent des conditions météorologiques clémentes. Pendant l’hiver et l’automne, je me concentre sur tout ce qui nécessite de travailler sur ordinateur. L’atelier est un lieu repère qui condense toutes ces activités, et où j’aime réaliser certains types de pièces à son échelle.

Sur quels projets avez-vous travaillé récemment ?

Il y a eu dernièrement un projet passionnant mais qui n’a pas encore pu trouver sa place en extérieur suite aux nombreuses annulations de programmation liées au contexte sanitaire. Il s’agit de Neo ruin, une installation réalisée à l’occasion d’une résidence de recherche à Coco Velten à Marseille. Cette installation est composée d’éléments en acier inspirés des gabions et réalisés sous des formes géométriques variées composant un paysage architectural fragmenté. Les gabions sont des cages de fer remplies de pierres de carrière superposées, habituellement utilisés dans des espaces publics comme éléments d’urbanisme. 

Ici ce sont les gravats d’une démolition qui viennent remplir la structure offrant à voir les derniers témoins matériologiques d’une construction passée. L’idée était de faire s’élever une ruine imaginée à partir d’éléments du réel.

Actuellement je tente de finir ce travail interrompu dans sa lancée. Je suis donc à la recherche d’un lieu en extérieur pouvant accueillir cette pièce. Aussi je prévois de poursuivre un travail en atelier avec des expérimentations réalisées à base de chaux, et, en parallèle, je souhaite entamer un projet intitulé Donne gravats contre bons soins que j’ai longtemps laissé de côté. 

L’année 2020 est une année extrêmement difficile pour les artistes et, plus généralement, pour la culture. Beaucoup de belles expériences et d’opportunités sont passées à la trappe. Il n’est pas simple de se projeter. Cependant au printemps 2021, sur une proposition de Nicolas Daubannes, je participerai à une exposition collective au musée départementale de Gap, à l’origine prévue en novembre 2020.

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https://www.instagram.com/amandinecapion/

 

Amandine Capion durant sa résidence à Coco Velten en train de fabriquer l’installation Neo ruin. Crédit photo : Grace Doubledent.