Robinson (Vendredi) – Vendredi (Robinson)

Les deux volets du programme de recherche «Robinson (Vendredi)» et «Vendredi (Robinson)» s’organisent autour du roman Robinson Crusoé écrit par Daniel Defoe publié en 1719, dont le héros vécut 28 ans sur une île déserte de la côte américaine suite à un naufrage. Trois figures marquantes issues du livre, celle de l’île, celle de Robinson et celle de Vendredi, structurent la réflexion de ce programme.

Le programme suit ainsi le fil narratif du livre : l’île est le fil transversal, Robinson est d’abord seul, puis il est rejoint par Vendredi. Néanmoins ces trois éléments clés dépassent le cadre du texte de référence pour devenir des notions, des formes, des figures… comme le montrent la bibliographie et la filmographie déjà abondantes. Des allers retours entre ce corpus théorique et artistique très important et le livre de Defoe servent de fil conducteur au travail mené par ce groupe de recherche et génèrent la problématique, la forme et l’agenda du programme. Robinson se construit comme figure solitaire et singulière, qui fait avec ce qu’il trouve et se construit un monde avant que Vendredi ne fasse irruption dans l’île, figure de l’autre qui vient bousculer tout ce que Robinson avait mis en place.

Ce serait ainsi trouver à travers les figures de Robinson et Vendredi, la figure de l’artiste et du temps de la création : temps où l’on crée son monde à soi et temps où l’on rencontre l’autre. Ce lien entre les figures de l’artiste et celles des deux personnages de fiction est l’objet de la recherche. Comment les figures fictionnelles, conceptuelles, mythologiques de Robinson et Vendredi au coeur de l’île permettent de (re)penser la figure de l’artiste, de l’espace de la création artistique ?

Le diamant touche une plage

Ce programme de Recherche commence en 2013-2014 avec Robinson (Vendredi) et continue en 2014-2015 avec Vendredi (Robinson). Il s’articule autour du roman Robin­son Crusoé de Daniel Defoe, publié en 1719.
Il s’agit de travailler autour des aspects métaphoriques, mythologiques, fictionnels et conceptuels du roman. Nous avions pour objectif d’essayer de décrypter la figure de Robinson, puis de comprendre les relations qu’entretiennent Robinson et Vendredi, d’en imaginer de nouvelles, tout en les déplaçant. Qu’est-ce qui dans ce rapport ambi­gu à l’autre fait encore sens aujourd’hui, qui plus est au sein d’une recherche collective, dans une école d’art?

Plusieurs questions sont posées, comme l’articulation entre ce héros et sa figure contemporaine, l’analogie possible de Robinson comme chercheur. Comment évoquer les conditions de la rencontre avec cet autre qu’est Vendredi, matière sauvage d’un sa­voir lointain s’infiltrant peu à peu dans Robinson.

Cette deuxième étape où Robinson rencontre Vendredi, est l’objet de cette séance au­jourd’hui, qui donne lieu à un « spectacle de la recherche ». Tout au long de cette année, nous avons rencontré ces deux personnages autour d’une table alors qu’ils s’étaient déjà rencontrés au XVIIème siècle sur une plage de la «Des­pair Island», l’Ile du Désespoir.
Ce fut pour nous la découverte de nouvelles promesses temporelles et géographiques. La table de recherche devint alors notre Ile du Désespoir autour de laquelle gravitèrent les propositions qui tentaient de restituer les figures de Vendredi et Robinson aujourd’hui.

Une aventure qui se déroule autour d’une table.
Cette table est devenue notre île mais aussi notre radeau car tout a toujours tourné autour d’elle (de lui) : discuter, échanger, écrire mais aussi manger et boire.

Cette année, Vendredi a mangé Robinson. Il est celui qui apporta la chair de l’ailleurs, il fut le lointain qui perturba le présent. Robinson effrayé par la peur d’être mangé, téta­nisé par la figure de l’autre, le rejeta tout en s’immobilisant.
Cette année, Vendredi a cannibalisé Robinson.
Destructurée par d’incessants allers et retours, visuels, épistolaires, réels, notre re­cherche s’est construite page par page, mail par mail, jour après jour. A la fois par ses singularités et comme volonté collective, elle est attaquée de tout côté par un Vendredi sauvage, combattant et refusant la forme comme fixation du présent. Nous avons pu voir, à certains instants, émerger et remonter à la surface une épave.

La recherche fut alors pensée comme cette épave émergeant des flots du temps passé, visible par instant, perturbant le présent, le scindant en plusieurs temps, introduisant en lui une essentielle hétérogénéité. Voilà comment c’est arrivé…

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Journal n°0

Extrait
Comment je vois Robinson Crusoé.


Il y a deux manières d’envisager les aventures de Robinson Crusoé.
La première prévaut depuis la parution du livre en Angleterre au début du XVIIIè siècle. Elle a fait le succès du personnage. Elle consiste à se concentrer sur sa survie dans l’île déserte, de son naufrage à son retour au pays natal. Peut-être même qu’elle continuera d’alimenter encore longtemps notre imaginaire, entre la promotion des kit de survie post-nucléaire sur les sites internet anglo-saxons et notre fascination pour la fin du monde, sans parler de la catastrophe écologique qui a lieu, en ce moment même.

La seconde manière considère Crusoé tel qu’il est avant et après son naufrage. Le propriétaire d’une plantation au Brésil. Sa passion première, son désir le plus fort est de pouvoir gérer (sans la fortune de son père) une entreprise et de jouir des bénéfices auxquels il a droit. Jusque là le personnage est conforme à l’éthique protestante de l’auteur, Daniel Defoe qui voit dans la naissance du capitalisme une manière de faire un honnête commerce, bien qu’il nous présente son personnage comme un jeune homme qui pourrait éventuellement échouer à s’enrichir, tellement il est hanté par une force insatiable de dépassement (il est fait pour le pire lit-on, mais aussi, il est son propre destructeur) ; Dans cette perspective, il préfigure les Traders du début du 21 ème siècle, tels qu’ils sont apparus au monde entier pendant la crise financière de 2008. D’ailleurs, à peine Crusoé est-il rentré en Angleterre qu’il prend des nouvelles de sa plantation au Brésil et la vend en faisant une plus-value. Voilà, l’argent qu’il rejette à peine arrivé sur l’île au prétexte qu’il lui sera inutile et qu’il est une drogue, est toute la vie de cet homme avant et après son expérience de survie.

Mais ce qui nous pose problème aujourd’hui, c’est que Crusoé, comme tous les commerçants de l’époque, était négrier. Voilà, il participait au trafic d’esclaves qui commençait sur la côte de Nouvelle-Guinée pour aller jusqu’aux Amériques. Trafic atroce dont on sait aujourd’hui que certains hommes noirs mourraient dans les cales des bateaux à force d’être maltraités. Mais aussi sa participation à ce trafic est illégale, c’est les Portugais apprend-on dans le livre qui en avait la primeur, et non les Anglais.

Alors, une question se pose. Ce naufrage, n’est-il pas une punition que l’auteur inflige à son héros – qui est surtout un antihéros – ? Ceci, soit parce que Defoe réprouve l’esclavagisme ou soit parce qu’il réprouve l’illégalité dans laquelle se met Crusoé en contredisant les lois marchandes internationales ou soit parce que Defoe nous fait le portrait ici d’un jeune capitalisme cynique que seule une punition exemplaire pourrait assagir en lui inculquant un comportement rationnel apte à diriger une entreprise sans se laisser emporter par l’appât du gain ? Quoiqu’il en soit cette aventure sur l’île déserte dont Karl Marx dit dans le Capital qu’elle est une robinsonnade – ridiculisant ainsi les utopies et les fictions littéraires – nous interpelle et attire notre attention sur le courage et la tenacité de Crusoé capable de rebâtir un état dans un milieu hostile.

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Journées d’étude « Robinson 1 »

Programme

Mercredi 11 décembre :
19h,
Songs of Robinson,
Chansons autour de Robinson par les étudiants de l’Atelier de Recherches et Créations Écriture de Christophe Fiat.

20h,
Présentation et projection du film : Tu imagines Robinson de Jean-Daniel Pollet, 86 min, 1967.

22h30,
Le temps du naufrage est un mystère, le potage éternel.

 

Jeudi 12 décembre :
9h30,
Christophe Fiat parle du naufrage de Robinson Crusoé sur une île.

10h30, dans la ville, Simulations romanesques d’espaces quotidiens avec l’artiste Jochen Dehn et les étudiants de la recherche Robinson ((Vendredi)). Ravitaillement offert.

14h,
Conférence performée de l’écrivain Thomas Clerc.

16h,
Christophe Fiat parle du retour de Robinson Crusoé en Angleterre.