Portrait de diplômé·es / Florent Poussineau

Florent Poussineau obtient un DNSEP à l’ÉSACM en 2015. Fils de pâtissier, il poursuit ensuite son cursus par une formation Design & Culinaire à l’ESAD de Reims. Aujourd’hui, il est artiste et propose, à travers diverses expositions collectives et personnelles en France et à l’étranger, un travail à la croisée de la performance, la vidéo et l’installation, traversé par des explorations culinaires et un attachement aux métiers de bouche.

Exposition « Esthétique éphémère » à la galerie Premier Regard.

Quels sont vos projets actuels ?

En raison de l’épidémie de COVID-19, mes projets sont quelque peu chamboulés. Ce qui devait être présenté au printemps est déplacé à l’automne ou reporté à l’année prochaine. Ma prochaine exposition personnelle, «Transmission», sera présentée en septembre à la Maison des arts d’Aime, en Savoie. Suivra, de novembre à janvier, une exposition personnelle, « Sensibilité idéale », à l’École municipale des Beaux-Arts de Châteauroux. Puis une résidence au Palais des paris à Tokyo est programmée en début d’année prochaine, ainsi qu’une résidence-mission, organisée par le Centre d’art le Lait, dans le centre pénitencier d’Albi.

Quelles étapes ont le plus compté dans votre parcours ?

Tout a compté. Toutes les étapes méritent de compter, les erreurs comme les réussites, mais avant tout ce sont les rencontres qui m’ont le plus marqué. Une première exposition personnelle dans une galerie est une expérience mémorable, en particulier dans le cas où elle est accueillie à la galerie Tator, à Lyon, où Marie Bassano, Laurent Lucas et Félix Lachaize proposent une programmation d’artistes émergents. J’ai aussi vécu une première exposition personnelle dans une galerie parisienne, grâce à l’accueil de Laurence Fontaine et Laurence Poirel à la galerie Premier Regard. Cette exposition m’a permis de travailler ensuite avec Catherine Baÿ à The Window. Les voyages à l’étranger apportent aussi leur lot d’apprentissage concret du monde artistique. J’ai réalisé une résidence dans le sud du Japon, une autre à Beyrouth, une exposition personnelle dans une galerie new-yorkaise et également une résidence en Hollande. Organisée en collaboration avec Tair-Pair et SIGN à Groningen, cette résidence m’a permis de rencontrer Klaas Koetje (artiste plasticien et dirigeant de SIGN), qui est pour moi un fidèle allié et maître artistique.

Exposition « Générosité égoïste » à la galerie Tator

À quoi ressemble votre quotidien de travail ?

C’est un quotidien changeant qui n’a rien de routinier. Mon travail se divise en plusieurs étapes avec des intensités différentes. Un temps de recherche et d’élaboration de dossiers afin de candidater à différents appels à projets, et un temps de réflexion et création à l’atelier. En ce moment, je suis résident à la Fileuse, une friche artistique à Reims, et ces résidences sont le moment où les pièces pérennes sont mises en forme avant d’être déplacées dans les futures expositions, ou livrées à des collectionneurs. Pour le reste du temps, soit environ la moitié de l’année, je suis en déplacement, dans le cadre de résidences artistiques à l’étranger ou en France, ou pour monter mes expositions. La durée du séjour est souvent plus longue qu’un simple montage car je fais beaucoup de médiation artistique autour de mon travail. Ayant bénéficié d’une formation « culture et santé » organisée par la Direction régionale des affaires cultruelles (DRAC) et l’Agence régionale de santé (ARS), je propose des ateliers à des publics enfants, adolescents et leurs parents, mais également à des résidents d’EPHAD et des personnes en situation de handicap physique et/ou mental.

Cette formation « culture et santé » a-t-elle influencé votre travail ? 

Suite à une résidence-mission, la DRAC et l’ARS ont invité différents acteurs de la médiation artistique à réfléchir ensemble aux questions de l’environnement et de la transmission liées à la santé. Ce n’est pas de l’art-thérapie. Il s’agit simplement d’associer un artiste à une équipe soignante, pour faciliter l’expression et la compréhension artistique. Ces propositions s’adressent à ce que l’on appelle « les publics empêchés » pour lesquels l’accès aux lieux de diffusion de l’art est difficile, voire impossible, pour des raisons physiques, financières ou symboliques.

Ces expériences ont surtout marqué le rapport que j’entretiens à mon travail en me contraignant à en parler différemment, car ce public n’a pas de repères face à l’art contemporain, l’abstraction, la performance, etc. C’est une situation souvent complexe mais ces échanges sont enrichissants pour tous, car ils remettent en question le beau, l’utilité de l’art, la philosophie, l’architecture d’une peinture, etc.

Comment avez-vous commencé à vous intéresser aux enjeux de la médiation ?

Simplement par étapes, d’intervention en intervention, dès le début de mes études en classe prépa où l’on m’a demandé d’intervenir auprès de centres aérés pour réaliser des fresques collectives dans la ville de Châteauroux.

Toutes les galeries et centres d’art ne se trouvent pas dans des grandes villes, et leur but dans ce cas est de rendre accessible la recherche artistique à un plus large public. En zone rurale, il est très facile d’être soutenu et engagé pour ce type d’actions. Dans les grandes villes, les préoccupations vont être de démocratiser l’art, à des endroits où il est parfois resté élitiste.

Comment s’est passée pour vous la transition entre le diplôme et la vie professionnelle ?

Plutôt simple à dire, moins à réaliser. Il faut utiliser l’environnement offert par une école pour un début de carrière artistique. L’école est d’abord un lieu d’apprentissage, mais les personnes qui la composent font partie d’un réseau qui permet de provoquer des opportunités et des rencontres. Pendant les études, il faut se rendre aux vernissages, aller voir des expositions, visiter des ateliers. Il faut pleinement tirer parti des opportunités offertes à un.e jeune étudiant.e. Suite au DNSEP à l’ÉSACM, j’ai consacré une année à travailler sur un dossier de candidature pour le post-diplôme Design & Culinaire à l’ESAD de Reims. Parallèlement je partageais l’atelier de Corentin Massaux aux Ateliers du Brézet et je montrais le résultat de ce travail à La Cabine (espace de monstration et atelier à Clermont-Ferrand, fermé depuis). À la fin du post-diplôme, j’ai intégré la pépinière de l’ESAD de Reims et j’ai quitté mon emploi alimentaire pour prendre le risque de vivre du métier pour lequel j’ai fait six années d’études.

En quoi votre activité fait écho ou non à votre parcours et à vos choix lorsque vous étiez étudiant à l’ÉSACM ?

Mon activité professionnelle est intimement liée à cette école. J’espère que c’est toujours le cas. Lorsque j’étais étudiant à l’ÉSACM, il était possible pour des personnes qui n’avaient pas le baccalauréat de pouvoir intégrer le cursus. Ayant arrêté mes études à 15 ans, les Beaux-Arts ont été une véritable opportunité. Grâce à une dérogation accordée par Muriel Lepage, la directrice en 2010, j’ai pu présenter le concours et faire des études supérieures.

C’est durant la troisièmes année aux Beaux-Arts que mes premières recherches artistiques liées au domaine culinaire se sont développées, pendant un cours de volume dispensé par Roland Cognet et Stéphane Tidet. Puis le budget qui nous était alloué  pour le DNAP (aujourd’hui le DNA, Diplôme national d’art, Ndlr) m’a permis de créer dans l’atelier volume deux colonnes d’éclairs au chocolat, avec 500 éclairs pour la première et 1000 pour la seconde.

 

Quel est le rôle d’un artiste pour vous ?

Un artiste plasticien met en forme, plastiquement, une recherche philosophique, poétique ou une pensée. À la manière d’un chercheur ou d’un scientifique, il doit avoir une bonne connaissance des travaux réalisés précédemment par ses pairs, pour tenter de faire évoluer l’art, de le transmettre au plus grand nombre. Le métier d’artiste plasticien est complexe et demande beaucoup d’énergie, mais désormais je ne peux et ne veux plus rien faire d’autre.

Quels sont vos projets pour la suite ?

Les envies sont variées. Ma préoccupation première est de continuer à produire une recherche artistique intéressante, continuer à rencontrer des personnes passionnantes et d’en apprendre plus sur les interactions sociales à travers le monde. En ce qui concerne les projets qui arriveront dans les prochaines années, il y a l’envie grandissante de devenir professeur en école d’art, et une série d’ouvrages en cours de rédaction. Ce ne sont pas les idées qui manquent et certaines envies qui deviennent concrètes procurent beaucoup d’émotions.

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Portrait de diplômé·es / Golnaz Payani

Golnaz Payani est née à Téhéran en 1986. Après une Licence en peinture obtenue à la Faculté d’art et d’architecture de Téhéran, elle entre à l’ÉSACM où elle obtient le DNSEP en 2013. Elle participe à des expositions personnelles ou collectives depuis 2011, en France (Paris, Clermont-Ferrand, Thiers, Toulouse, Châteauroux, Annemasse, Chanonat, Grenoble) et à l’étranger (Téhéran, Londres, New York, Turin).

Installée en France depuis 2009, elle développe une pratique ouverte où des médiums variés sont sollicités : film, vidéo, travaux sur tissus, installation, céramique, poésie.

Vue de l’exposition L’ombre des oasis, de Golnaz Payani à la galerie Praz-Delavallade Paris, du 14 novembre 2019 au 11 janvier 2020.

Quels sont vos projets ?

Ma première exposition personnelle à la galerie Praz-Delavallade à Paris s’est terminée début janvier. Cette galerie me représente depuis 2019. Je participe à une exposition collective en ce moment à la Manufacture, le musée de la broderie à Roubaix. Les autres projets sont suspendus à cause de la situation sanitaire actuelle.

Que vous a apporté cette première exposition personnelle ?

C’était une superbe expérience à plusieurs points de vue. J’ai bénéficié d’un vrai soutien de la part de presse, avec des articles dans Le Quotidien de l’art, Artforum, La République de l’art etc. J’aurais aimé faire plus de rencontres et avoir l’occasion d’échanger davantage avec les visiteurs, mais malheureusement cela n’a pas été possible à cause de la grève des transports qui a eu lieu pendant mon exposition.

Comment avez-vous été approchée par la galerie Praz-Delavallade ? À quelle occasion ces professionnels ont-ils découvert votre travail ?

En 2016, j’ai été sélectionnée pour participer au Salon de Montrouge, au Beffroi. Une exposition annuelle collective qui présente de jeunes artistes. C’est une exposition très importante, car elle est visitée par des professionnels du milieu de l’art contemporain, des galeristes et des collectionneurs. J’ai rencontré René-Julien Praz et Bruno Delavallade pour la première fois lors du vernissage de cette exposition. Nous avons échangé quelques mots et nos coordonnées.
Suite à cette rencontre, ils sont venus visiter mon atelier, et ils ont apprécié mon travail. Nous avons gardé contact et pendant deux ans ils m’ont régulièrement invitée aux vernissages des expositions organisées dans leur galerie. De mon côté je les invitais également à mes expositions. Puis en 2018 ils m’ont proposé de participer à une exposition collective dans leur galerie. Depuis nous travaillons ensemble.


Pouvez-vous nous parler de la relation entre un artiste et sa galerie ?

Comme dans beaucoup d’autres activités artistiques, ces types de coopération ne sont pas basées sur des lois écrites. Donc la relation d’un artiste avec sa galerie dépend avant tout des personnes. J’ai participé à quatre expositions avec cette galerie : deux collectives à Paris, une à Los Angeles, et une exposition personnelle à Paris. À chaque fois nous nous sommes très bien entendus, avec René-Julien Praz, Bruno Delavallade, et toute l’équipe de la galerie. Nous avons une belle relation professionnelle, amicale et courtoise.

Golnaz Payani à la galerie Praz-Delavallde en novembre 2019, en train de préparer l’exposition.
Oasis, 40 x 30 x 5 cm, papier, 2015.

À quoi ressemble votre quotidien de travail ?

Mon quotidien de travail ressemble exactement au confinement. Ce n’est sans doute pas le cas de tout le monde, mais pour moi c’est un métier solitaire. Parfois je ne vois personnes pendant plusieurs jours.
Je vais presque tous les jours à l’atelier, qui est en face de mon appartement, et j’y passe 7 à 8 heures par jour. À l’atelier, je travaille parfois à la mise en forme d’une idée, à des projets personnels pour lesquels je n’ai pas de date de présentation, mais qui font partie de mes recherches. Il y a donc souvent une part d’expérimentation dans ces projets. Parfois, je travaille sur un projet précis et concret, comme pour préparer une exposition. Mais il arrive aussi que pendant plusieurs jours je ne fasse qu’écrire des projets, des lettres de motivation et des dossiers de candidature.

L’atelier actuel de Golnaz Payani à Torcy

Pouvez-vous nous parler de l’après-école ? 

La transition pour moi s’est très bien passée.  J’ai eu la chance d’être soutenue par quatre organismes qui proposaient des appels à participation pour des expositions collectives réservées aux diplômés. Ces expositions ont été organisées à l’ÉSACM (Les  XV de France, Clermont-Ferrand, 2013), au BBB (Première, Toulouse, 2014), au Creux de L’enfer (Les enfants du Sabbat n°15, Thiers, 2014) et à Chanonat (Tropisme(S) #5, 2014).

Ces expositions m’ont permis de rencontrer des gens et de développer mon réseau professionnel. Mais ce qui m’a le plus accompagné dans cette progression, c’est ma motivation. Car il y a eu aussi des périodes creuses. Mais cela ne m’a pas empêché de continuer mon travail et de postuler à des projets d’expositions. C’est ce qui m’a permis de garder le moteur toujours allumé !
Bien entendu, même la meilleure volonté du monde ne suffit pas à payer les loyers parisiens ! J’ai aussi eu des jobs alimentaires.

Quels sont les liens entre votre pratique actuelle et votre parcours d’étudiante à l’école ?

Mon parcours est très cohérent avec la pratique que je développais à l’école. Je travaille sur les mêmes thématiques, je suis la même personne, avec la même volonté, les mêmes centres d’intérêts, les mêmes interrogations, mais avec sept ans d’expériences supplémentaires.

À mon avis, faire une école d’art est très important, voir primordial lorsque l’on a réellement la volonté d’exercer le métier d’artiste. Il y a beaucoup de débats à ce sujet, pour certains l’art ne s’apprend pas ! Mais selon moi, dans une école d’art nous apprenons surtout deux choses : à se situer dans l’histoire de l’art, et à se connaître, c’est-à-dire à comprendre de quoi nous avons besoin dans notre atelier, ce que nous pouvons faire lorsque nous n’avons plus d’idée, comment gérer le stress face aux présentations, etc. L’école est un plus, qui nous maintient sur les rails en même temps qu’elle accélère notre carrière.

Paysage avec du violet, vidéo, 15’27 », 2018. ( Conteur : Michel Cegarra. Musique : Nicolas Laferrerie)

Qu’est-ce qu’être artiste ?

Être artiste pour moi est un mode de vie. Celui qui me permet de rester curieuse. C’est comme un livre ouvert qui ne se ferme jamais. Mais cette ouverture à l’infini, si elle n’est pas pleinement consciente, peut devenir douloureuse. Pour la majorité des métiers, les gens candidatent pour un poste. Ils écrivent une lettre de motivation et un curriculum, et au bout de plusieurs essais, ils décrochent un travail. Le métier d’artiste ne permet pas de s’arrêter au bout de quelques essais. Le rapport au travail ne tend pas vers l’obtention d’un emploi, vers la stabilité. Il se renouvelle en permanence. C’est comme préparer une grande fête. C’est génial, excitant, enthousiasmant, mais il faut beaucoup d’énergie, de courage et d’ambition, avec le risque d’organiser beaucoup de fêtes ratées avant d’en réussir vraiment une.

Quels sont vos projets pour la suite ?

Travailler à l’atelier, répondre à des appels à projets, agrandir mon réseau, changer l’échelle de mon travail, trouver une résidence aux Etat-Unis, lire les livres de Didi-Huberman, connaitre mieux Derrida et son idée de la « déconstruction » … continuer à être curieuse!

Golnazpayani.com

Le cercle et la forêt, 90 x 64 cm, Tissu et bois, 2019

Portrait de diplômé·es / Martin Belou, artiste

Diplômé du DNSEP en 2009, Martin Belou, artiste, travaille entre Marseille et Bruxelles. Dans cet entretien il évoque l’après-école, son parcours, ainsi que l’actualité de son travail, dont une exposition personnelle à la Kunsthalle de Gand en Belgique, deux expositions collectives, l’une au Palais de Tokyo, l’autre à la Tôlerie à Clermont-Ferrand.

Installation « Demain les chiens » au Palais de Tokyo, 2019 © A. Molle

Qu’est-ce qu’être artiste ? 

Être artiste, c’est pour moi, hors de considérations philosophiques, politiques ou poétiques, un travail. Il s’agit de développer, produire et montrer un travail, accessoirement de le vendre et donc de pouvoir vivre de celui-ci. Ça a l’air banal mais c’est vrai. Beaucoup de gens idéalisent ce qu’est un artiste, alors qu’il s’agit vraiment d’une profession, d’un« vrai » travail,  c’est concret. Même si il est particulier, je trouve important de rappeler cela.

Être artiste signifie aussi une manière de penser sa vie, travailler pour s’offrir la liberté de penser sa vie, amenant certes une marginalité, une certaine précarité aussi, une sorte d’urgence, qui si elle peut être parfois un peu fatigante, est aussi très stimulante et épanouissante.

À quoi ressemble votre quotidien de travail ?

Il s’organise autour de plusieurs temps. Celui de la recherche, du travail de conception dans l’atelier, de la production, des déplacements entre l’atelier, les collaborateurs, les visites des lieux des projets futurs, le suivi des projets, le temps de montage des expositions, l’échange avec les personnes impliquées…

Quelles sont vos projets en cours ?

Cette année était l’année la plus chargée en projets. Avec la crise du Covid tout cela est chamboulé. J’ai cependant la chance qu’aucun des projets prévus ne soient annulés, ils sont juste reportés.

Le projet le plus important est une exposition personnelle à la Kunsthalle de Gand en Belgique. Le lieu est immense, le projet très ambitieux, et les personnes en charge sont des gens que j’adore et avec qui j’ai déjà travaillé.

De manière générale, j’ai eu la chance jusqu’à présent de pouvoir développer des projets avec des institutions et c’est ce qui me plaît le plus, en terme de liberté de conception et de développement d’une idée. Le dernier projet de ce type est l’installation que j’ai réalisé pour l’exposition Futur ancien fugitif l’automne dernier au Palais de Tokyo.

Pendant que je préparais ce projet, je suis revenu à Clermont-Ferrand pour une proposition en deux parties, l’une dans La Chapelle des Carmes, et l’autre à la Tôlerie. C’était très intense car cela s’est fait presqu’en même temps que la production de la pièce pour le Palais, mais j’étais très heureux d’être invité à montrer mon travail à Clermont, dans des lieux que je fréquentais lorsque j’étais étudiant. 10 ans après la fin de l’école, cette invitation m’a beaucoup touché, et le projet développé m’a permis de comprendre de nouvelles choses sur mon travail. Je commence aussi une collaboration avec une galerie, ce qui est une autre manière de travailler mais tout aussi passionnante.

Je fonctionne un peu en vase communiquant, chaque projet en amène souvent un autre, tout comme une idée, qui germe quelque part pour se développer ensuite dans une nouvelle proposition. Et je dois dire que j’ai la chance d’être de plus en plus sollicité et de voir les moyens de m’exprimer s’élargir. Je prends donc chaque projet très au sérieux, qu’il s’agisse d’une grande exposition dans un lieu prestigieux ou d’une petite présentation de trois jours dans un project space. Je considère ça de la même manière car je sais que chaque opportunité de montrer son travail est une chance qui permet de le faire avancer, d’apprendre sur son travail et sur soi-même et qui permet donc in fine d’être artiste.
Chaque projet compte.

Garde Fou, 2019
© JC LETT

 

Pouvez-vous nous parler de l’après-école ? Comment organise-t-on la transition entre le diplôme et la vie professionnelle ?

Quand j’étais encore étudiant il y avait un cours donné par Odile Plassard qui s’appelait « Réalités de l’art » (cours qui existe toujours Ndlr) dans lequel intervenaient divers professionnels du monde de l’art, artistes, galeristes, commissaires etc, qui venaient nous parler de leur « réalité ».
Je me souviens avoir été marqué par les propos d’un intervenant : « Sauf quelques exceptions, avait-t-il dit, à la sortie c’est 10 ans de trou noir et vous pouvez vous arranger pour rendre ce trou gris… », ajoutant qu’il n’y avait pas de « marche à suivre ». Je dois dire que ce principe s’est vérifié, pour moi, et aussi pour pas mal d’amis autour de moi. J’ai fait plein de choses différentes après l’école et, en étant sorti très jeune, j’ai pris le temps de comprendre et de développer ce que je voulais vraiment faire avant d’arriver à ce qui est aujourd’hui mon travail.

Je dirais qu’il n’y a effectivement pas de marche à suivre, que c’est assez différent pour chacun et que, quels que soient ses choix de vie, cela prend du temps. Malgré tous ses efforts, je crois que l’école d’art ne peut pas vraiment préparer à ce qui se passe après. Elle peut armer, aider, mais la transition entre le diplôme et la vie professionnelle dépend de tellement de facteurs subjectifs – le lieu où l’on se trouve, les gens que l’on rencontre, la chance aussi etc. – qu’elle dépend donc de chacun. La seule chose que j’ai pu « vérifier » chez beaucoup de mes amis sortis d’école d’art c’est qu’en effet, ça prend du temps ! Je crois que c’est normal car une carrière d’artiste c’est quelque chose qui demande du temps, qui doit prendre du temps, et je vois vraiment tout ça comme une course de fond, intimement liée à sa propre vie.

L’école est un lieu formidable et assez unique en son genre qui permet de comprendre sa propre subjectivité et qui nous pousse à affirmer ou chercher qui l’on est vraiment, qui laisse de la place pour se poser ces questions, et où l’on rencontre des gens formidables. Que l’on devienne artiste ou non, je crois que c’est un lieu et un moment fondateurs.
Hors des techniques et des choses que l’on apprend, le processus qui s’enclenche à l’école se poursuit bien longtemps après. Mon travail a formellement énormément changé entre ce que j’ai pu présenter lors de mon DNSEP et ce que je fais aujourd’hui, il investit des champs et des techniques complètement différentes, mais il n’a pas rien à voir, les idées, les questions que j’ai pu developper au sein de mon cursus y sont toujours présentes en filigrane. Je dirais que l’école et ce qu’on y apprend agissent comme un déclencheur, et c’est à chacun de venir ensuite enrichir, pousser ou non ce qui s’y déclenche.

Objetcs love and patterns © Michiel de Cleene

 

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Portrait de diplômé·es / Diane Cornu, horticultrice papier

Diplômée du DNA en 2012 à l’ÉSACM, Diane Cornu a monté son entreprise et développé une technique unique et personnelle, celle de l’horticulture papier.

À l’atelier © Vanessa Madec

Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur votre technique ?

L’horticulture papier est née de la rencontre entre une matière, le papier, une technique ancienne et un regard sur la nature.

Une partie de mon travail repose sur le détournement de techniques utilisées chez les paruriers floraux,  un métier de la haute-couture développé en France de la fin du XVIIIème au début du XXème siècle et aujourd’hui en voie de disparition. Il s’agit d’imiter la nature grâce à des outils comme les emporte-pièces, les bouliers ou encore les gaufriers. J’attache une importance toute particulière à la conservation de cette discipline.

Inspirée par des techniques et un savoir-faire artisanal, mais m’inscrivant dans une démarche contemporaine et artistique,  je n’ai jamais vraiment trouvé ma place ni dans l’art, ni dans le design, ni dans l’artisanat. C’est sans doute pour ça que j’ai inventé ma discipline, ainsi que le nom de mon métier. Je me suis donc définie comme horticultrice papier.

Avez-vous entamé cette pratique dès vos années à l’ÉSACM ?

J’ai entamé cette pratique en cours de quatrième année à l’ÉSACM, je venais d’avoir mon diplôme de DNAP (aujourd’hui appelé DNA, N.D.L.R.). À l’époque j’avais une démarche artistique orientée vers le Land Art. Je m’intéressais aux processus de création dans la nature, aux formes fractales, au nombre d’or, à tout ce qui pouvait matérialiser ou expliquer la complexité et la beauté du monde végétal. Mes artistes de référence étaient alors Giuseppe Penone, Herman de Vries ou encore Andy Goldsworthy.

Je suivais les cours d’impression et d’édition de Cécile Monteiro-Braz. Cette artiste et enseignante a influencé ma façon de créer mais aussi de montrer mon travail. Avec elle j’ai découvert le souci du détail, l’importance du contexte de monstration, mais surtout j’ai appris à apprécier le papier comme une matière, et non plus comme un simple support. J’ai alors décidé de réaliser un stage chez Jean Michel Letellier et Miki Nakamura, deux artistes qui m’ont appris à fabriquer le papier avec les techniques traditionnelles et japonaises.

L’école m’a permis de comprendre que je pouvais créer et détourner des techniques à ma façon. J’ai trouvé comment donner du sens à mon travail, qui peut paraître au premier abord simplement visuel ou décoratif, pour y insuffler l’histoire que je veux lui faire raconter.

Pouvez-vous nous raconter votre parcours à la sortie de l’école ?

J’ai quitté l’ÉSACM en cours de quatrième année. J’avais du mal à définir ma pratique qui s’apparentait alors plus à de l’artisanat. Je créais des objets pour un usage précis, en convoquant des savoir-faire. J’avais l’impression d’être en porte-à-faux avec les principes esthétiques d’une école d’art.

J’ai alors cherché à suivre une formation de parurier floral afin d’améliorer ma technique. Mon profil a tout de suite retenu l’attention d’une des deux dernières grandes maisons françaises spécialisées dans la confection de fleurs en tissu pour la haute-couture. J’ai donc passé des essais en atelier pour être « petite main », un travail répétitif qui consistait à découper, former et assembler des pétales toute la journée. Il s’agissait plus de faire que de créer. C’est à ce moment que j’ai pris conscience que je ne pouvais pas me défaire de l’intention. J’ai donc monté mon entreprise très rapidement, ce qui a marqué le début d’une longue aventure sinueuse et enrichissante.

Dans un premier temps j’ai d’abord développé un marché autour du mariage. Mes créations étaient alors essentiellement des accessoires cheveux ou bouquets. Ensuite j’ai décidé d’élargir ma cible en proposant mes créations aux particuliers. J’ai rapidement eu envie de renouer avec mon passé en créant des pièces beaucoup plus volumineuses, investir l’espace. Je me suis donc mise à travailler pour des professionnels en créant des scénographies pour des shooting ou des décorations de vitrine de magasin de luxe. Mes partenaires, interlocuteurs, commanditaires, sont des personnes qui aiment avant tout la nature, la poésie et le savoir-faire.

À quoi ressemble votre quotidien ?

Je n’ai pas vraiment de journée type. Depuis que je suis à Toulouse je cumule mon travail d’horticultrice papier avec un travail alimentaire de serveuse. Mon quotidien depuis deux ans a été uniquement rythmé par ces deux emplois, une charge de travail très prenante et chronophage, mais qui me permet aujourd’hui d’envisager atteindre mon objectif premier, pouvoir vivre de ma passion.

Certaines journées je fabrique, d’autres je communique sur mon travail,  je monte des dossiers de subvention, je participe à des shooting, j’imagine de nouveaux modèles, je suis sur des salons pour promouvoir mon travail, je me transforme en comptable ou je suis en soirée pour agrandir mon carnet d’adresse. Parfois c’est la page blanche, parfois je reçois des futurs mariés ou encore je réponds à une interview pour mon ancienne école d’art. Bref vous l’aurez compris les journées se suivent et ne se ressemblent pas.

Un projet en particulier ?

J’ai eu la chance de travailler avec l’Atelier Swan, un duo de créatrices de robe de mariée, à la conception d’une scénographie pour le shooting de leur collection 2020. Un projet grandiose, 13 000 pétales assemblés et suspendus sur presque 1 demi kilomètre de file pour former un couloir de pétales. Et surtout une vingtaine de bénévole prêt à m’aider pendant deux mois pour que cette idée folle prenne forme, une véritable expérience humaine. Plus qu’un simple objet à contempler, l’idée était de modifier les échelles afin que le spectateur vive une véritable expérience sensorielle. Ce projet à vraiment marqué un tournant dans mon travail et ma carrière.

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Portrait de diplômé·es / Mathieu Sellier, régisseur à la Galerie Perrotin, Paris

Diplômé du DNSEP en 2006 à l’ÉSACM, Mathieu Sellier avait cultivé pendant son parcours une grande diversité de pratiques et de techniques. Après un passage chez le galeriste Yvon Lambert, il officie en régie d’œuvres à la galerie Perrotin, une galerie parisienne au rayonnement international.

En quoi consiste ton activité ?

Je suis Régisseur Sénior à la galerie Perrotin depuis 5 ans. Ce qui veut dire que je m’occupe de l’accrochage des œuvres, de leur restauration, de la gestion des stocks, et mille et une autres activités techniques liées à une structure de cette envergure.
Je travaille avec tout type d’œuvres, des peintures, des sculptures, des installations, des vidéos…

Cette galerie a plusieurs antennes, notamment aux États-Unis et en Asie. Mes activités se concentrent surtout à Paris, où je me déplace chez les collectionneurs qui ont acheté des œuvres à la galerie, pour assurer leur transport et leur installation. On expose aussi dans différentes foires européennes, à Genêve, Bâle, etc. Donc en fait mon quotidien s’articule entre les retours des œuvres qui étaient exposées, les préparations des prochaines expositions, des foires, les installations chez les acheteurs…

Avant ça j’avais passé 3 ans en tant que régisseur à la galerie Yvon Lambert à Paris, jusqu’à sa fermeture en 2014.

Est-ce que les questions liées à la régie d’œuvres avaient déjà traversé ton parcours à l’école ?

Pas du tout, c’est venu totalement après. À l’école, mon objectif était d’être riche de la plus grande diversité de techniques possibles, pour être justement libéré de toute considération technique pour réaliser ce que j’avais en tête. Pendant tout le cursus et jusqu’au diplôme, j’ai utilisé dans mon travail à la fois la photo, la vidéo, la sculpture, la peinture, l’installation… J’ai essayé d’être assez autodidacte. L’école met à disposition une très large palette d’outils et d’équipements techniques, j’ai essayé de m’en emparer et d’expérimenter.

Avant le diplôme, je n’avais pas du tout pensé à l’après-école, ou anticipé le fait de travailler en tant que régisseur.  Très rapidement ma priorité a été d’être indépendant financièrement, et je savais qu’être artiste n’était pas ce qui le permettait le plus facilement. À la sortie de l’école, une de mes enseignantes en culture générale m’a recommandé pour un poste d’assistant d’artiste à Paris. C’est aussi en ça que le relationnel est très important. J’ai fait ça pendant un an, puis je suis devenu régisseur indépendant. J’ai retravaillé avec l’école d’art, qui avait depuis mis en place un calendrier d’expositions assez dense, pour lesquelles j’assurais la régie.

Parviens-tu à réserver encore un peu d’espace à ta pratique d’artiste ?

Pas vraiment, ou très peu. Il m’arrive de refaire du dessin, de la décoration d’intérieur ou un peu de design. Mais je ne suis pas malheureux de ne pas avoir de pratique. Je travaille dans une galerie très active, je passe mes journées au milieu des œuvres. C’est un métier où l’on est très sollicité, en terme d’investissement et de temps, et aussi physiquement. Mais il permet d’avoir un rapport différent aux œuvres, de les toucher, et d’une certaine manière de se les approprier.

Portrait de diplômé·es / Marie-Camille Dodat, bricoleuse d’objets, étalagiste, directrice artistique

Marie-Camille Dodat, diplômée du DNSEP en 2015 à l’ÉSACM, imagine et prépare dans son atelier clermontois les vitrines des  32 boutiques de la marque Tartine et Chocolat à travers le monde.

Marie-Camille Dodat, bricoleuse d’objets, étalagiste, directrice artistique.

Comment s’est passé l’après-diplôme ?

Pendant les 4e et la 5e années à l’école, je me suis beaucoup intéressée au design. Pour participer au financement de mes études, je concevais des vitrines pour quelques boutiques clermontoises. Quand j’ai eu mon diplôme, j’ai eu envie de travailler pour une grosse entreprise, en tant que directrice artistique. J’ai cherché un stage à Paris, et j’ai été engagée comme assistante identité visuelle et coordination des vitrines pour la marque Tartine et Chocolat. Ce qui veut tout et rien dire. J’étais devant un ordinateur toute la journée à gérer les stocks, le matériel, réfléchir aux aspects techniques. Mais ce qui m’intéressait c’était de créer, et j’étais exaspérée de voir tout l’argent dépensé dans certains dispositifs alors que j’étais persuadée de pouvoir trouver des solutions poétiques et bien plus économiques ! Alors à la suite du stage, je me suis mise à mon compte. Depuis, en tant que directrice artistique, je crée les décors de 32 vitrines par mois, pour 15 boutiques Tartine et Chocolat en France, en Europe, et dans le monde.

Vue d’atelier.

 

Quelle place pour une créatrice dans le monde de l’entreprise ?

On représente une vraie valeur ajoutée. On arrive avec un regard différent, personnel, et on a un certain sens de la débrouillardise. On développe des compétences manuelles, un sens esthétique, une sensibilité à la couleur, aux matériaux, aux textures, et en ça, on y a vraiment notre place. Je travaille aussi pour d’autres types de commanditaires, pour une marque de lingerie, et depuis décembre 2019 pour la compagnie Air France. J’ai réalisé un décor pour l’espace international des salons Air France. C’était un travail qui touchait presque à l’architecture d’intérieur, et qui me demandait de composer avec un cahier des charges très différent, très normé. Et là aussi, c’est tout un autre monde, dans lequel on a aussi besoin de gens comme nous. J’étais surprise qu’ils soient séduits par un petit décor, léger et délicat comme je le pratique, et qu’ils s’y identifient. Ma proposition était en place pendant tout le mois de décembre, et on envisage de nouvelles collaborations.

 

La céramique, une pratique découverte à l’école et toujours développée depuis.

En quoi ton activité s’inscrit-elle dans une cohérence avec ton parcours à l’école d’art ?

Dans les écoles supérieures d’art, on apprend à être autodidacte, et à ne rien s’interdire. Si on veut créer une table, couler du goudron, on apprendra en expérimentant. Ce qui fait de nous des touche-à-tout. Quand je me suis installée comme créatrice indépendante, je me suis rendue compte que, seule, je pouvais faire une photo calibrée, j’étais capable de tailler un morceau de bois, de monter du placo, bref, j’étais un vrai couteau suisse, avec une culture du tout-terrain. Et ce travail là, je l’ai composé.

Des vitrines toujours conçues avec un an d’avance.

À quoi ressemble ton activité quotidienne ?

Mon quotidien s’organise entre Clermont et Paris. La majorité du temps, je travaille dans mon atelier, en centre-ville, à Clermont. Et deux fois par mois je vais trois ou quatre jours à Paris. L’équipe me présente les vêtements conçus par les stylistes, je propose une planche de tendances, des prototypes, et si ils sont validés, je rentre à Clermont et me lance dans la production. Une fois que les 32 décors sont prêts, on les emballe, on rédige un cahier technique et des consignes de montage, et les colis partent dans différentes boutiques à travers le monde. Tous les décors des boutiques France et monde de Tartine et Chocolat naissent dans mon atelier, à Clermont-Ferrand.

https://www.instagram.com/mariecamilledodat/