Portrait ancienne étudiante / Marion Jhöaner, réalisatrice

Marion Jhöaner est réalisatrice. Elle a passé ses deux premières années de DNA à l’École supérieure d’art de Clermont Métropole avant d’intégrer l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Paris et l’Edinburgh College of Arts en Écosse. Elle a réalisé plusieurs films documentaires en Scandinavie, mais aussi plusieurs courts-métrages de fiction. Elle vient d’obtenir le prix de la Liberté du 43e Festival du Court de Villeurbanne, en novembre 2022, avec la fiction Ce qui vient la nuit.

Ce qui vient la nuit, Batysphère production, 27’30 », 2022. 3 sélections en festival et le Prix de la Liberté au Festival du Film Court de Villeurbanne 2022 (voir le site de Marion Jhöaner)

Qu’attendiez-vous d’une école, et qu’est-ce qui motivait votre envie de vous investir dans un cursus artistique ?

Avant d’intégrer l’ÉSACM, je venais de terminer trois ans d’arts appliqués : j’étais donc déjà investie dans un cursus artistique depuis le lycée. J’avais choisi cette section parce que j’avais besoin de comprendre le monde à travers une approche plus sensorielle. Je pratiquais la photographie et l’écriture au quotidien et je ne me voyais pas rester assise toute la journée en classe sans pouvoir donner libre cours à mon imagination.

Ces trois années se sont révélées extrêmement riches et intenses, ce qui a soudé la promo dans laquelle j’étais. On attendait beaucoup de nous, aussi nous travaillions tout le temps, y compris la nuit à l’internat, même si nous n’avions pas le droit… Je n’ai pas le souvenir d’une vraie compétition entre les un·es et les autres, mais on était tou·tes porté·es par le désir de se surpasser, d’être toujours plus exigeant·es envers nous-mêmes. Il y avait aussi l’inquiétude du bac et des bons résultats dans les matières générales.

Au moment de choisir ma voie dans les études supérieures, cet environnement scolaire produisait une forte pression sur moi. Les noms des grandes écoles nationales revenaient en permanence avec le rêve d’y entrer. Et du côté de ma famille, on me poussait à intégrer une classe prépa dans le but d’entrer dans l’une de ces grandes écoles.

Mais pour ma part, j’étais épuisée de ces trois années de lycée et cette voie vers la prépa me semblait me précipiter, encore, vers une logique de concours et de productivité qui allait à l’encontre de la recherche intérieure dont j’avais besoin. Je sentais la nécessité de calmer le rythme, de réfléchir à la manière dont je souhaitais m’exprimer, identifier les pratiques artistiques que je voulais explorer. J’avais besoin de plus de liberté et c’est la raison pour laquelle j’ai tenté les Beaux-Arts de Clermont.

Dans une école d’art où il n’y a que l’option art, comment avez-vous nourri un projet de faire du cinéma ?

Je suis entrée à l’ÉSACM avec le désir de poursuivre la pratique photographique et vidéo que je cultivais déjà au lycée. Sans encore parler de cinéma, c’était la mise en scène qui m’intéressait, et les histoires qui découlaient de ces images, les atmosphères qu’elles suggéraient. J’ai développé mon goût pour le travail sonore également. Au départ, j’étais encore très tournée vers une recherche esthétique, au détriment du sens ; mais j’avais besoin d’en passer par là pour comprendre les thèmes qui m’animaient.

Mon parcours à l’ÉSACM a été déterminant en cela grâce à la rencontre d’un enseignant, Alex Pou et d’une chercheuse en particulier, Sarah Ritter. Ces discussions m’ont véritablement marquée. Il et elle ont aussi bousculé ma vision du travail, l’ont rendue moins rigide. En cernant mes préoccupations, ils m’ont dirigé vers le travail de cinéastes et d’artistes, souvent finlandais·es ou russes, qui sont toujours les piliers de mes inspirations aujourd’hui. C’est à ce moment-là que j’ai réalisé que j’étais profondément touchée et attirée par l’âme des pays nordiques et slaves.

Vous avez ensuite intégré l’EnsAD ?

Sur les conseils de Muriel Lepage, j’ai tenté le concours de l’EnsAD dès ma deuxième année, pour pouvoir avoir une chance de l’intégrer après ma licence, comme il est rare d’être retenu dès la première tentative. Toutefois, j’ai eu la chance d’être sélectionnée tout de suite et je suis entrée en deuxième année dans le département Photo/Vidéo.

Je souhaitais entrer à l’EnsAD depuis longtemps, c’était donc un rêve qui se réalisait. Malheureusement, la transition a été assez difficile. Contrairement à l’ÉSACM où le cheminement de l’étudiant·e est pris en compte de manière globale et où les enseignant.es forment un collectif, notamment au moment des bilans, l’EnsAD a un système très scolaire et moins familial, assez proche de celui du lycée, avec des notes, et des feuilles de présence, ce qui ne me correspondait pas du tout.

J’ai ressenti cela comme une méfiance à l’égard des étudiant·es, comme si l’on nous soupçonnait de ne pas avoir envie de travailler alors que nous nous étions battu·es pour entrer dans l’une des écoles d’arts les plus sélectives de France… Paradoxalement, on nous demandait de développer tout un travail personnel porté sur le monde extérieur, alors que l’on nous obligeait à rester dans l’école, en 2e et 3e année.

Cela a été très douloureux de constater que l’école rêvée n’était pas en adéquation avec mes attentes. Le fait d’être entrée en cours de cursus n’a probablement pas aidé à mon intégration, mais je ne me suis pas sentie très accompagnée.

J’ai eu davantage d’échanges fructueux en dehors de ma section, avec les professeur·es de Cinéma d’Animation qui m’ont guidée notamment pour mon mémoire – et ce malgré le fait que je n’ai jamais fait de projets d’animation. La transversalité est l’un des meilleurs aspects de cette école, tout comme les nombreuses options qui existent, par exemple, l’écriture de scénario où j’ai fait mes premiers pas. L’école dispose également de nombreux équipements, dans de nombreux domaines, ce qui reste un atout incroyable en tant qu’étudiante, notamment en vidéo puisque le matériel est très onéreux.

Mais c’est en dehors de l’EnsAD que j’ai commencé à réaliser des films de fiction, avec des collaborateur·rices et des mentors extérieurs à l’école. C’est donc en me professionnalisant que j’ai retrouvé une manière personnelle de tracer mon parcours, tout en me confrontant à la réalité du travail. J’ai intégré ces films à mon cursus, de manière un peu hybride, pour pouvoir poursuivre mes études jusqu’à mon diplôme. Il s’agissait de projets trop longs et trop conséquents pour être véritablement encadrés dans le système de l’EnsAD – du moins tel que l’école fonctionnait à l’époque, car il y a eu un changement de direction depuis. Je ne sais pas comment les choses ont évolué aujourd’hui.

 

Sur la Terre, des Orages, IKO productions, 2018. Acheté par TV5 Monde et Ciné+. 4 sélections en festivals et 4 prix dont celui du Meilleur film de fiction au Redline International Film Festival 2019, Toronto, Canada. (voir le site de Marion Jhöaner)

Votre séjour au sein du département cinéma d’Edinburgh était-il rendu possible par un accord Erasmus ?

La renommée de l’EnsAD est évidemment un atout dont j’ai bénéficié au moment de ma recherche de mobilité dans le cadre d’Erasmus. Le département cinéma de l’école d’art d’Edinburgh a accepté de m’accueillir et c’est là que j’ai véritablement développé ma pratique de cinéma documentaire avec Tracey Fearnehough et Itandehui Jansen. Elles m’ont poussé à sortir de l’école et à filmer, à surmonter l’appréhension de l’inconnu : un nouvel environnement, une nouvelle langue, un nouveau pays… J’ai donc réalisé Les vivants, les morts et les marins, un court documentaire qui se déroule sur un chalutier, et qui nous immerge dans le monde des pêcheurs que je découvrais pour la première fois.

D’un point de vue plus global sur l’enseignement, j’ai été extrêmement surprise de l’inversion des rapports entre professeur·es et étudiant·es. Les professeur·es étaient très soucieux de l’intérêt que les étudiant·es portaient au contenu de leurs cours, qu’ils et elles amélioraient en fonction de ce qui nous intéressait. Et les étudiant·es locaux, eux, n’hésitaient pas à exprimer ce qu’ils attendaient de ces cours. Cela me semblait très mature, égalitaire, à l’inverse d’un rapport plus pyramidal en France. Cette différence s’explique peut-être en partie par le fait que les études supérieures au Royaume-Uni sont payantes.

Bien sûr, ce séjour à Edinburgh m’a permis de m’ouvrir à un nouveau pays, de nouvelles cultures car le campus universitaire était très cosmopolite et pas seulement centré sur les arts. Je suis devenue bilingue aussi, ce qui a été extrêmement précieux pour mes projets documentaires suivants.

Vous étiez à Clermont-Ferrand la semaine dernière pour la projection du film Synti, synti (l’île écorchée). Pouvez-vous nous en parler ?

Synti, synti (l’île écorchée) est un documentaire qui poursuit mes recherches sur le rapport entre l’Homme et la nature. Il dresse un portrait des Îles Vestmann en Islande à partir d’une histoire tristement célèbre, celle d’un homme ayant miraculeusement survécu à un naufrage. Au-delà de ce récit emblématique, le film explore le quotidien des pêcheurs de manière sensorielle et délivre les histoires qui imprègnent le territoire de ces îles. C’est un documentaire que j’ai réalisé au cours de ma cinquième année à l’EnsAD, en 2018, et que j’ai donc choisi de développer dans le cadre de mon diplôme.

Cela comportait des avantages matériels conséquents mais, comme je le disais précédemment, il fait partie de ces projets que j’ai en grande partie développé en dehors de l’école. J’ai travaillé avec une productrice, Julia Fougeray (Azadi Productions), que j’avais rencontrée en 2017 sur le tournage de Sur la Terre des Orages, produit par IKO et soutenu par la région Grand Est – mon premier film de fiction complètement extérieur à l’école. C’est elle qui a trouvé les fonds nécessaires pour partir en Islande et organiser la post-production du film.

Comme le film devait répondre aux critères du diplôme, c’est à dire être terminé pour juin 2018, le développement s’est fait très rapidement et le tournage a été très court, ce qui est inhabituel pour un documentaire ! L’écriture du film s’est donc véritablement déroulée sur le tournage, et au moment du montage.

Synti, Synti (L’île écorchée), Azadi productions, 30’00 ». 11 sélections en festival et 4 prix (voir le site de Marion Jhöaner)

Quels sont vos projets en cours ?

Cette année (2022, ndlr), je viens de terminer mon troisième film de fiction, Ce qui vient la nuit, soutenu par la région Grand Est et le département des Vosges et produit par bathysphere. Le film commence à être sélectionné dans les festivals, notamment au festival du Film Court de Villeurbanne ce mois-ci.

J’écris également mon premier long-métrage de fiction, Sans sommeil, ainsi qu’un autre court-métrage de fiction sélectionné l’année passée à la résidence du Tilleul dans le Morvan. Je recherche une production pour ces deux projets.

Je développe également un projet de long-métrage documentaire, Nuna, qui s’intéresse à la communauté inughuit du Nord du Groenland. J’ai obtenu une bourse de la région de l’île-de-France qui m’a permise de me rendre sur place durant six semaines cet été, pour de premiers repérages. J’aborde donc l’écriture documentaire pour la première fois de façon plus traditionnelle, et je poursuis ce travail avec Azadi Productions.

Enfin, je travaille à la commande d’un scénario de long-métrage de science-fiction pour une importante société de production. Ce sont des projets très enthousiasmants, très différents, qui demandent tous énormément d’exigence, mais qui n’évoluent pas à la même vitesse.

Il faut s’adapter en fonction du projet à chaque fois, la méthode de travail est toujours différente. Comme je suis particulièrement attachée au collectif, je suis profondément touchée par cette symbiose avec l’équipe que l’on peut ressentir au moment de la préparation et du tournage. Mais j’aime tout autant la recherche et l’intériorité des périodes d’écriture, qui sont plus solitaires et plus longues.

Vous réalisez par ailleurs des missions de consultante et lectrice pour des institutions ?

Depuis cinq ans, je suis en effet lectrice de scénarios pour différentes sociétés et institutions. L’enjeu est un peu différent à chaque fois selon les activités de la société, mais il s’agit globalement de lire les scénarios dans un temps relativement court, d’en rédiger les synopsis et de développer une analyse en mettant en lumière les points forts et les fragilités des projets, soit pour aider les commissions à se positionner dans leurs sélections ou acquisitions, soit pour aider un·e producteur·rice à prendre du recul quant à la réception du projet par des personnes extérieures et rediriger l’écriture avec ses auteur·rices avant de débuter le financement. En tant que consultante, je suis parfois amenée à suggérer des pistes de réécriture en fonction des intentions des auteur·rices.

La fiction est un domaine extrêmement exigeant où la réception des spectateur·rices est fondamentale, même dans le cinéma d’auteur où les propositions se jouent parfois des codes narratifs. C’est ce lien fort avec le public et cette quête de l’émotion, qui circule de l’écran à la salle, qui me plaît tant dans le cinéma.

Teaser pour Les vivants, les morts et les marins : https://vimeo.com/320340537

Teaser pour Synti, synti : https://vimeo.com/307028286

Portrait ancien étudiant / Yann Lacroix

Diplômé du DNSEP à l’ÉSACM en 2010, Yann Lacroix a développé une pratique presque exclusive de la peinture depuis les premières années de sa formation. Il convoque des paysages sans figurant·es, dont l’échelle enveloppe le·la visiteur·se. Yann Lacroix a participé à de nombreuses résidences, en France et à l’étranger, comme à la Tars Gallery de Bangkok, ou à la Casa de Velasquez à Madrid.
Blue Lagoon, huile sur toile, 37 x 46 cm, 2017

Qu’attendiez-vous d’une école d’art ?

Je dessine depuis toujours, mais jusqu’au milieu de l’année de ma terminale je n’avais pas envisagé faire une école d’art. Un ami m’en a parlé un mois avant le concours, et c’est comme ça que je suis entré à l’ÉSACM. Mon expérience dans l’école a été très riche humainement et intellectuellement. Ça a été pour moi un lieu très stimulant, où j’ai trouvé les outils pour mettre en forme ce qui m’anime, me questionne et constitue même ma manière d’être. Comme tou·tes les autres étudiant·es, j’ai essayé le plus grand nombre de médiums possibles au cours des 1ère et 2e années. Mais la peinture a pris assez vite une place importante. Mon diplôme de 3e année était déjà presque exclusivement constitué de peintures.

On retrouve beaucoup de motifs végétaux et architecturaux dans vos toiles, et de grands formats. Quelle est votre méthodologie de travail ?

Je peins exclusivement en atelier. Je m’inspire et m’appuie sur des photos que je prends dans mon quotidien, que je sois ici ou là. Je photographie des espaces et des motifs pour leur potentiel pictural. Mais je pioche et collecte également des images et documents dans des livres, des documentaires, des films ou sur internet.

Je travaille sur plusieurs types de formats : petits, moyens, et grands. Les petits parce qu’il y a une dimension intimiste. J’ai commencé à travailler sur ces formats il y a plus de dix ans après avoir observé les petits formats de Camille Corot, peints lors de ses voyages en Italie, dans les années 1820-1830.  Il y a beaucoup de peinture, de perspective et de force sur une si petite surface. Les grands formats disposent d’une échelle physique, on les appréhende avec son corps entier. Ils sont proche du champ de vision humain. Au cours des années, j’ai également commencé à travailler sur des moyens formats, sur lesquels je peux développer des problématiques intéressantes.

India Song, huile sur toile, 185 x 160 cm, 2018

Où travaillez-vous et comment s’organise votre temps de travail ?

Mon atelier se trouve à Saint-Ouen. Je travaille tous les jours et ne prends que très peu de temps pendant lequel je ne suis pas en train de penser à mon travail, à la peinture, aux projets et aux expos.

Je pars souvent en résidence en France, mais aussi à l’étranger, comme à Bangkok, à la Casa de Velasquez à Madrid ou à Tunis. Le travail en résidence nourrit beaucoup ma pratique. Ces situations me permettent de réfléchir différemment, de prendre de la distance avec le quotidien, et de prendre soin de l’avenir en convoquant des questions vers lesquelles je ne serai pas allé en restant dans mes habitudes.

Nice place for good value and the swimming pool was clean, huile sur toile, 230×200 cm, 2016

Travaillez-vous avec des musées, des galeries ?

Je travaille avec la galeriste Anne-Sarah Bénichou depuis 2019. Anne-Sarah m’avait repéré au Salon de Montrouge en 2018 alors qu’elle faisait partie du jury. Nous étions en contact depuis quelques mois quand elle m’a contacté en juin 2019, à la fin de ma résidence à Madrid, pour me proposer une exposition personnelle dans sa galerie au mois de septembre suivant. J’ai poursuivi mon travail avec elle depuis.

Je travaille également avec la galerie Selma Feriani à Tunis et Londres. Je prépare en ce moment une exposition personnelle à la galerie Selma Feriani à Londres et une à la Fondation Fernet-Branca à Saint-Louis, pour 2023.

 

https://www.yannlacroix.com/

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https://www.arte.tv/fr/videos/081647-009-A/yann-lacroix/

Tennis Club, huile sur toile, 195 x 240 cm, 2018

Portrait ancien·ne étudiant·e / Leslie Pranal

Diplômée du DNSEP en 2014, Leslie Pranal poursuit son parcours au Laboratoire de Formation au Théâtre Physique à Montreuil, puis entre à la FAI-AR À Marseille, une formation supérieure d’art en espace public. Elle est interprête dans plusieurs compagnies de théâtre de rue, et travaille actuellement sur une performance cinématographique immersive pour l’espace public intitulée Grosse production.

Leslie Pranal par Philippe Lebruman

Tu as un parcours très marqué par la performance, la danse, le spectacle vivant. Est-ce que cette orientation était déjà visible ton cursus à l’école ?

Avant d’entrer à l’ÉSACM, j’ai fait un lycée d’arts appliqués à Saint-Géraud, à Aurillac. On étudiait le design d’espace, le design d’objet, le design de mode, le design de communication visuel, l’histoire de l’art, l’expression plastique, etc. Après mon bac, j’ai passé l’examen d’entrée pour intégrer l’école d’art. À l’époque, il y avait un dossier de productions à fournir pour être admissible, autour d’un thème donné. Le thème était le rythme. J’avais réalisé un happening hommage au futurisme : j’avais réuni des ami·es dans mon garage, vétu·es d’une combinaison jetable blanche. Ils et elles avaient un protocole, écrire des onomatopées et les dire face caméra.  J’ai filmé l’ensemble pour intégrer la vidéo au dossier de candidature.

Au lycée, en visitant différents espaces d’exposition, je me suis questionnée sur le rapport entre le·la regardeur·euse avec les œuvres. Comment dynamiser un espace d’exposition ?  Comment « faire de l’art en se bougeant » ? L’idée nous est venue de proposer aux visiteur·euses d’inventer un mouvement avec le corps qui résonne avec l’œuvre, et d’en faire une image photographiée. On a appelé ça l’« l’art sport ».

Avant même d’entrer à l’école, j’avais commencé à penser des actions, pour sortir du réel, par la vidéo ou la performance, sans nécessairement les nommer comme des actes artistiques.

Une fois dans l’école, comment as-tu employé ces intuitions-là ?

À l’école je me suis rapidement aperçue que les murs me faisaient peur. Le réflexe du « white cube » [espace exposition épuré dont le concept est apparu dans les années 1970, ndlr] me paraissait anxiogène. J’avais besoin de mouvement, de gestes qui ont une existence en eux-même. J ’ai développé ma pratique autour de la danse, de la performance, de la vidéo, etc. J’avais envie de rencontrer les personnes, investir des espaces plus vastes, et qui ont d’autres fonctions.

Ce rapport à l’espace public je ne le nommais pas encore. Mais je saisissais aussi souvent que possible l’occasion de montrer mon travail. Par exemple, j’ai proposé pendant mon parcours une chorégraphie en scooter dans l’allée de l’école. C’était ça qui m’intéressait, trouver par quel moyen on peut proposer une action festive et originale dans une école d’enseignement supérieur, et passer du réel vers l’irréel.

J’avais aussi été invitée à participer à une exposition dans un appartement du centre-ville de Clermont-Ferrand. Je ne savais pas quoi faire de cet espace-là, mais j’avais repéré un passage souterrain dans l’immeuble, qui m’avait fait penser à une grotte. J’avais une amie qui travaillait comme guide dans une véritable grotte, et je lui ai demandé de refaire la même visite, mot pour mot, avec les mêmes gestes et les mêmes contenus, mais dans le passage souterrain, en faisant imaginer aux spectateur·rices qu’ils et elles se trouvaient dans la grotte. Pendant qu’elle parlait, je déplaçais ma lampe torche au plafond pour simuler la présence d’éléments de cette grotte fictionnelle.

Voilà quelques exemples des sujets qui travaillaient mon imaginaire à l’école. J’y ai aussi acquis une méthode de travail, autour de l’expérimentation. Accepter les ratés, et en tirer des ressources nouvelles. Je pense, par exemple, à mon travail d’essai [mémoire de master 2, ndlr], pour lequel je me suis intéressée au personnage de Robinson. J’ai créée une embarcation pour quitter la terre, et j’ai filmé le processus de fabrication. On me voit découper des troncs à la tronçonneuse pour faire un radeau, puis couler avec. Mais l’important c’était ce qui se passait dans l’instant, l’intention, et la trace que j’en ai gardée.

Comment s’est passée ta sortie de l’école ?

À ma sortie de l’école en 2014, j’ai intégré les ateliers de la Cabine, lieu associatif situé au 16 rue du Port qui disposait d’ateliers partagés. J’allais voir beaucoup de spectacles et je me rendais compte que je préférais suivre des stages et des cours de danse et de théâtre, ou participer à des performances avec la Compagnie des Guêpes rouges, plutôt que travailler à l’atelier.
J’ai rejoint la Compagnie des Guêpes rouges pour une performance qui consistait en une lecture pour les droits des femmes. C’était la première fois que je jouais. Après ça, je les ai suivi pour deux ans de tournée.
Je participais aussi à un projet de danse qui s’appelait « Dancing museum », qui réunissait des danseur·euses amateur·rices pour danser dans les musées, au Mac Val, à la Briqueterie, au Grand palais.
Toutes ces expériences m’ont mené à intégrer le Laboratoire de Formation au Théâtre Physique à Montreuil, en 2017.

Au LFTP, on aborde la position de l’acteur·rice comme créateur·rice, l’interprétation en théorie et pratique, mais aussi la mise en scène, la régie lumière et son. Il est question d’apprendre à connaître son corps, pour être en mesure de prendre la parole. Un·e danseur·euse qui parle avec le corps est toujours juste.

Tu as enchainé avec une autre formation, la FAI-AR ?

La FAI-AR permet d’être auteur·rice de projets en espace public. C’est une formation professionnelle qui dure deux ans et qui permet de se pencher sur les enjeux de l’espace public et de développer un projet personnel de A à Z en termes de production, de création, d’interventions, de workshops, mais aussi sur les aspects administratifs, financiers et juridiques. On aborde tous les rôles liés au spectacle vivant et aux arts plastiques, pour être en mesure de porter des projets en autonomie. Le fait de suivre la formation permet d’avoir accès au statut d’intermittent·e.
À la fin de la formation, les apprenti·es présentent des « maquettes », de petites pièces de 20 minutes qui sont comme des « crash test » publics de notre projet personnel de création. Pendant ces deux années, il faut trouver des résidences, monter une équipe, faire des stages administratifs et des stages artistiques. C’est une formation publique, pendant laquelle les cours théoriques sont dispensés à l’université d’Aix-Marseille, ce qui m’a permis de valider un master Art et scène d’aujourd’hui. Comme dans la plupart des master, il m’a fallu rédiger un mémoire lié à mon projet personnel de création. Il prenait la forme d’un cahier d’avancée du projet, organisation, étapes, échecs, intentions, aspects philosophiques et théoriques de la création.
La FAI-AR était d’une certaine façon la synthèse de l’ÉSACM et du LFTP. J’avais jusqu’ici rencontré l’espace public malgré moi, et j’ai rejoint la FAI-AR pour comprendre cet espace particulier, comprendre le public, le grand public, réfléchir à l’accueil, sortir de l’entre-soi, et aller vers l’instantané, l’instant présent, l’impromptu.

Quel était ton projet de création à la fin de ces deux années à la FAI-AR ?

Mon projet personnel de création s’intitulait « Grosse production présente Tournage en cours ». Lors de mes performances, j’ai pour habitude de partir de la grande histoire pour aller vers la petite, du réel vers la fiction. Partir de l’espace public comme terrain de jeu c’était vertigineux. J’avais besoin d’un espace restreint pour m’appuyer contre. Je me suis imposée un espace : nous avons bloqué la rue. Mon équipe artistique a privatisé cette petite portion d’espace urbain, pour en faire un espace poétique, une performance cinématographique immersive et sans caméra. La consigne était partagée avec les passant·es : tout ce qu’on va faire ensemble va faire partie du film. Cette fiction, cet antidote au réel, se met à exister grâce à de la rubalise, avec une voix diffusée dans toutes les langues par un haut-parleur.

Ce projet-là a été déclenché par une expérience précédente, lorsque je travaillais comme assistante d’un réalisateur qui m’avait chargé d’absolument tous les aspects techniques en amont et pendant le tournage d’un film : régisseuse, chargée de casting, conceptrice de décors, de costumes, habilleuse, coiffeuse, cadreuse pour les temps de répétition. J’ai inventé la casquette d’assistante artistique, et ça m’a permis de voir l’envers du décor. J’avais envie de montrer ces coulisses-là au public, d’entrer dans le « méta-cinéma », la mise en abyme, en me demandant ce que donnerait un « méta-espace public ». Ça donne une vraie matière plastique, visuelle, poétique, avec des gestes techniques très chorégraphiques, comme, par exemple, la posture du perchiste. Mon mémoire s’est alors intitulé « LE MÉTA-ESPACE PUBLIC (ou comment fabriquer du réel à vue). » Ce projet a donné lieu à des ateliers, avec des habitant·es, des personnes de tous les âges.

Que fais-tu en ce moment ?

J’ai plusieurs projets en cours avec la compagnie AlixM. Nous avons joué début juin un spectacle de théâtre de rue intitulé Brèches ou faute de révolution nous appuierons sur la ville.
Nous travaillons parallèlement à une carte blanche de trois années sur les aires d’autoroute de l’A63. Il s’agit d’une carte blanche d’écriture, d’actions artistiques pour lier les routier·es et les patrouilleur·euses, avec des enjeux sociaux et de prévention, par l’art.

Je travaille aussi avec une compagnie suisse qui s’appelle Les Trois Points de suspension. Ce sont des scientifiques de l’absurde, qui détournent le réel à travers des théories scientifiques. Parmi différentes actions, on a déjà proposé une dégustation d’huîtres de Clermont-Ferrand, par exemple, pendant laquelle un plongeur va chercher des huîtres dans les égouts pour les déguster avec les passant·es.
Mais en ce moment on travaille sur Bains publics : une pièce autour de l’eau, des thermes mobiles, bains chauds, hamams, etc. Les passant·es se changent, on leur prête des maillots, des claquettes, des peignoirs, on leur demande de pleurer, de rire, pour récolter des larmes, que l’on appelle de l’huile essentielle de festivalier·es.

Cet été, j’ai aussi été sélectionnée pour participer à la table ronde des porteur·euses de projets de la journée professionnelle du Festival du Théâtre de rue d’Aurillac.

Je travaille avec une compagnie qui s’appelle KompleX KapharnaüM, pour une carte blanche pour la Ville d’Angers. Nous jouerons les 9 et 10 septembre à 22h dans les rues d’Angers dans le cadre du festival Les accroches-cœurs.

Je joue également le 6 octobre une performance subaquatique intitulée Fantastic drama et crée pour le FRAC Provence-Alpes-Côte d’Azur.

http://www.lesliepranal.com/

instagram : leslie_pranal

Compagnie AlixM « Aire d’un possible départ »

 

Portrait de diplômé·es / Bruno Silva

Mykiss, panneaux de polycarbonate, colle vinylique et poudre de talc, transfert d’impression jet d’encre, tubes en métal, pinces, 250×300 cm, 2021 – photo Vincent Blesbois

 

As-tu passé l’intégralité de ton cursus à l’école ? Quels étaient tes sujets d’intérêt, les expériences qui ont compté, pendant ta formation à l’école ?

Le début de mon parcours à l’ÉSACM a commencé dans le cadre d’un échange via Erasmus en 2010. A ce moment-là, j’étais en 4e année à la Faculdade de Belas Artes da Universidade do Porto. Au Portugal, les licences se font en 4 ans et non pas en 3 ans comme en France. J’étais donc dans ma dernière année de licence à Porto quand je suis venu via Erasmus à l’ÉSACM. À la fin des 5 mois d’échange, la question s’est posée : est-ce que je rentre ou est-ce que je reste à Clermont ?

J’ai donc décidé de passer une commission d’équivalence pour intégrer la phase projet et passer le DNSEP à l’école d’art de Clermont.

L’ÉSACM m’a plu par son approche pédagogique qui proposait un enseignement moins théorique qu’à Porto. Les deux systèmes pédagogiques, complémentaires, ont été importants pour moi car cela m’a permis de fabriquer des croisements et rencontres que je n’aurais jamais pu faire en étant seulement à Porto. Aucun des deux systèmes n’est mieux que l’autre, je le souligne, le croisement des deux a enrichi les choses au travers d’un empilement d’expériences.

Pendant les deux années à l’école d’art de Clermont je me suis intéressé à la transformation de l’existant à travers des documents, des images, à leur archivage et à leur détournement. J’ai pris mes études comme un temps de recherche et non pas de production. Comme une sorte de moment d’errance, un temps de dérive. Cela était visible dans mon travail au travers de formes non nommées, fragiles et souvent éphémères. Comme une expérience qui amène à une autre et comme une autre encore poursuit la précédente.

 

Bruno Silva, Vitrail #1, feuille de caoutchouc, colle blanche, talc, transfert impression jet d’encre, dimensions variables / Tom Castinel, Branches, béton, 2021

 

Peux-tu dire quelques mots de ta pratique aujourd’hui, de ta façon de travailler et de ton champ d’activités ?

Ma pratique a bien sûr évolué. Je me suis plus investi dans la matérialité des formes. Cependant, la façon dont je réfléchis le travail est restée la même. Je me base sur des ressources existantes, des objets résiduels, trouvés, usagés, consommés, jetés, modifiés, les images et les résidus d’une rencontre. Je m’entoure de formes marquées par le temps qui parlent d’expériences personnelles, de traces et d’usages humains.

Une forme d’errance persiste dans le dialogue entre les corps, dérivant entre les médiums, suivant leurs flux et jouant avec la nature des choses. Comme une chorégraphie entre une idée et son image, réelle ou fictionnelle, mon travail circule entre la présence et l’absence, l’apparence et la substance, entre le mouvement et l’attente.

Depuis peu, je m’intéresse à l’alliage entre le synthétique et le naturel : une collaboration entre artefacts et phénomènes naturels. La peau, la pellicule, l’habillage, la surface, sont ainsi des éléments que je m’attache plus particulièrement à relever. Étant la première strate travaillée par le temps, la surface conserve les marques de son exposition à l’érosion provoquée par la lumière, la température ou l’usage humain.

Mon travail est double. Il parle de fonctionnement et de dysfonctionnement, il essaie de relier le vivant et l’inerte. Les formes que je produis sont des formes momifiées, voire « zombifiées », elles parlent de vie et de mort à la fois. Elles s’incrustent parfois dans l’architecture d’un lieu, influençant la façon dont on le perçoit et lui attribuant une atmosphère entropique.

 

Quelles ont été tes expériences à la sortie de l’école ? Est-ce à ce moment-là que tu as intégré les Ateliers ?

À la sortie de l’école j’ai eu une année creuse et pleine de questionnements, comme la plupart des diplômé·es. J’ai décidé de m’inscrire dans un master de médiation culturelle à l’Université Clermont Auvergne que j’ai fini par abandonner au bout d’un an. Cependant, ce master m’a été utile car j’avais un stage obligatoire à réaliser et je l’ai fait auprès de l’association Artistes en résidence. Ce stage m’a permis de me rapprocher de la scène artistique clermontoise et d’entrer au cœur des activités associatives. À ce moment-là, fin 2013, j’ai intégré le collectif Les Ateliers qui était en train de se former et de rejoindre des locaux au Brézet. Ce groupe d’artistes posait la question des ateliers d’artistes et défendait la création d’un lieu à Clermont, soutenus par les collectivités territoriales. Appuyés par le Conseil départemental du Puy-de-Dôme et l’ÉSACM, et plus tard par Clermont Auvergne Métropole, nous avons autogéré les locaux pendant 7 ans et organisé des expositions, des concerts, des performances et des rencontres. Nous y avons accueilli une cinquantaine d’artistes en rotation, chacun disposant de son atelier. L’association Les Ateliers a récemment déménagé à la Diode, pôle d’arts visuels municipal, dans des locaux entièrement neufs et équipés dont la réalisation et le financement sont portés par Clermont Auvergne Métropole.

Cette expérience a été très importante pour ma pratique artistique, ainsi que dans la fabrication des outils et expériences qui m’ont amené à une pensée collective et à travailler avec les autres. Sans forcément intégrer constamment le collectif dans ma pratique artistique, je trouve ma place avec les autres en proposant des formes de rencontre, en invitant d’autres artistes à exposer, à collaborer.

En tant qu’artiste, je pense que nous ne sommes pas obligés de tout mélanger, nous pouvons avoir plusieurs activités artistiques, personnelles et/ou collectives.

 

Ossos, support de bidet en métal, fil métallique, feuille artificielle, 50x60x33cm, 2020

 

Peux-tu parler de ton implication dans Artistes en résidence ?

Artistes en résidence a peut-être été le moment le plus important jusqu’à présent dans mon parcours.

Comme je l’évoquais précédemment, j’ai commencé par être en stage, puis bénévole pendant quelques années jusqu’à devenir salarié de l’association il y a 3 ans. Martial Déflacieux, le fondateur d’Artistes en résidence, a été un excellent « formateur » car nous avons beaucoup échangé autour de ce qu’est « être dans l’art ». Il m’a permis de connaître la réalité du fonctionnement associatif dans les arts visuels. Et j’ai pu rencontrer une centaine d’artistes, avec des pratiques très différentes, avec des points de vue très différents sur la place d’un artiste dans l’art et dans la société. Cela m’a forcément enrichi et forgé. Je suis actuellement chargé de la co-coordination de l’association Artistes en résidence avec Isabelle Henrion qui en est la directrice.

Employé à mi-temps, je bénéficie d’un revenu minimum stable, j’ai du temps pour ma pratique artistique et en même temps, je reste dans le milieu et je continue à m’enrichir avec de belles rencontres.

Dixie, terre cuite, colle vinylique et poudre de talc, 50x36x27cm, 2021 – photo Vincent Blesbois

 

Peux-tu parler de la création de « home alonE » ?

home alonE est né dans le but de créer un lieu d’exposition dans un espace domestique — chez moi et Romane Domas, à l’époque —, au départ principalement pour y inviter des artistes clermontois. En 2014, année de création de home alonE, il existait très peu d’espaces de diffusion pour les artistes à Clermont-Ferrand. Disons que la scène clermontoise de l’époque se faisait voir ailleurs, donnant rarement l’occasion de voir ce que chacun de nous faisait. Les artistes partaient plus souvent qu’aujourd’hui car ils avaient peu d’opportunités pour partager leur travail à Clermont.

Le projet est donc né dans ce sens-là : donner un petit coup de visibilité aux artistes du territoire et leur donner la possibilité de s’implanter localement.

Nous recevons le soutien de la DRAC Auvergne-Rhône-Alpes depuis quelques années ce qui nous permet de soutenir économiquement les artistes, à notre échelle, dans leurs productions.

Parallèlement, j’étais intéressé par le fait de cohabiter avec des œuvres, de les traverser dans mon quotidien ou de boire un café devant un dessin, de faire vivre les œuvres.

Comme quand on invite quelqu’un chez nous, j’ai toujours essayé de faire en sorte que les artistes invités se sentent comme chez eux en leur proposant des cartes blanches. Ils font ce qu’ils souhaitent, que ce soit une production spécifique pour l’espace ou l’exposition d’œuvres déjà existantes.

Je vous invite à lire l’article sur home alonE dans la Belle Revue pour en savoir plus : https://www.labellerevue.org/fr/focus/2020/home-alone

Quand le projet a commencé, je n’imaginais pas qu’il durerait aussi longtemps. C’est arrivé naturellement, tant que les énergies restaient éveillées. Mais les énergies se renouvellent. Depuis sa création, je projet a évolué et de nouvelles personnes ont ouvert des espaces d’exposition dans leur maison en gardant le nom du projet home alonE.

Le premier home alonE existe toujours au 6 place Saint-Pierre avec Romane Domas, locataire de l’appartement. Il y a aussi les home alonE chez moi au 53 rue Drelon, chez Hervé Brehier à Saint-Pierre-Le-Chastel et chez Clara Puleio, qui est en train de déménager.

Une franche réussite (rires) !

 

SITES / LIENS :

www.bruno-silva.eu

www.artistesenresidence.fr

www.lesateliers.eu

www.homealone.tk

 

Portrait de diplômé·es / Camille Varenne

Tu vis entre Clermont-Ferrand et Ouagadougou. Peux-tu nous parler de ton histoire avec cette ville ?

Je viens de Brioude, mais ma mère, Rosalie Dametto, a grandi au Maroc et au Nigéria. Mes grands-parents étaient ouvriers à la SGT-E, entreprise de travaux publics rachetée par Vinci. Mon grand-père a participé à la création du premier barrage hydraulique suite à l’indépendance du Maroc. C’est une histoire familiale qui est reliée au continent africain et à l’histoire coloniale de la France. Mon enfance et mon imaginaire ont été bercés de récits sur l’Afrique.

Lors de ma 4e année à l’ÉSACM, j’ai décidé d’aller faire un stage à Manivelle Productions, une maison de production audiovisuelle basée à Ouagadougou. J’ai découvert l’effervescence des cinémas africains, rencontré les réalisateurs burkinabè et me suis immergée dans ce réseau. C’est vraiment là-bas que j’ai affirmé la vidéo comme étant mon médium de prédilection.

Faire des films étaient avant tout un moyen de rencontrer les gens, passer du temps avec elleux, partager des moments de vie. En parallèle, j’ai entamé une démarche de décolonisation de mon propre regard en m’imprégnant de références des mondes afro-diasporiques et en fréquentant de près l’émergence de la nouvelle scène artistique afrodescendante française. J’avais été très émue par les films du réalisateur burkinabè Gaston J-M Kaboré. J’ai appris qu’il avait fondé une école de cinéma, l’Institut Imagine de Ouagadougou, et j’ai demandé à intégrer sa formation.

Gaston Kaboré travaillait également au FESPACO (Le Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou), et j’ai été à ses côtés coordinatrice des colloques du festival. Cette expérience a été une vraie école pour saisir les enjeux politiques des cinémas africains, tout en me permettant de m’intégrer dans un tissu culturel local.

En parallèle de cette expérience à Ouagadougou, tu avais entamé un parcours de DSRA (Diplôme National Supérieur de Recherche en Art) à l’ÉSACM ?

Oui je suis entrée à la Coopérative de recherche de l’ÉSACM en 2015, après mon DNSEP. La Coopérative de recherche était comme une caisse de résonance où je pouvais amplifier et partager mon expérience vécue au Burkina Faso. J’ai aussi expérimenté des pratiques de travail en collectif. C’était un moment où les pensées décoloniales prenaient de l’ampleur, et j’essayais au sein de l’école de créer des temps de rencontres entre des acteurs culturels du Burkina Faso que je côtoyais et des artistes français travaillant avec ces questions. Cette démarche a donné lieu à l’événement Surexpositions, qui s’est tenu en mai 2017 à l’ESACM.

J’ai aussi développé une recherche sur les cinémas africains comme espaces de « transculturation », avec un corpus de films de westerns africains. Je m’intéressais particulièrement à la façon dont les artistes descendants des peuples colonisés s’appropriaient les codes de la culture dominante pour en faire des espaces d’affirmation, une subversion qui affirmait une vivacité. C’est ainsi que je me suis intéressée aux westerns africains qui proposent une nouvelle cartographie du monde où les cow-boys africains quittent la marge pour devenir l’épicentre de l’émancipation des imaginaires. Chimère libératrice, les cowboys africains s’approprient le mythe américain conquérant pour questionner leur propre histoire et inventer leur devenir. Le premier western africain a été réalisé par Moustapha Alassane en 1966. « Le retour d’un aventurier » raconte sur des rythmes de blues le conflit entre cosmogonie animiste et modernité occidentale. Les personnages traversent ce tiraillement au grand galop et ont inspiré mon film « Blakata » réalisé avec des cavaliers du Burkina Faso.

Tu as toi-même réalisé un western au Burkina ?

Oui, j’ai réalisé le film « Blakata » au sein d’une communauté de cavaliers qu’on appelle « les guerriers », et qui incarnent la tradition équestre ancestrale des royaumes de la région. Cette communauté est importante à Ouagadougou. Ce sont des centaures urbains, à la présence spectaculaire qui suscitent crainte et fascination. Je vis avec les chevaux depuis mon enfance, je leur ai confié mon âme comme dirait les Guerriers… Le cheval étant l’emblème du Burkina Faso, ce fut une porte d’entrée pour moi. J’ai arpenté les artères de la capitale à cheval avec « les guerriers », participant aux grandes cérémonies et partageant leur quotidien. J’ai noué une relation intime avec cette communauté, ce qui m’a permis de faire ce film avec eux. L’idée de faire un western a été amené par Issouf Bah, protagoniste principal de mon film, plus connu sous le nom de Wayne John…

« Blakata » qui signifie en langue Bambara « lâcher prise » est une autofiction où « les guerriers » s’inventent en cowboys et jouent leur propre rôle. Devant la caméra, ils s’inventent et laissent apercevoir leurs frustrations, leurs désirs, leurs rêves.

Quel type de cinéma travailles-tu ?

Mon travail c’est de faire des films, comme des prétextes pour passer du temps avec les gens, et créer des aventures collectives pendant lesquelles on invente un petit monde ensemble, le temps du tournage. Mon projet est de pratiquer ainsi, ensemble, de nouvelles subjectivités politiques, décoloniales et féministes.

La catégorisation de mes films dépend ensuite davantage des financements et des lieux de monstration, que d’une décision personnelle. Par exemple, « Blakata » a été diffusé dans des festivals de cinéma documentaire, il a reçu le prix Jeune Public du festival Corsicadoc tout en étant présenté comme installation au Salon de Montrouge. Le film « Pedra e Poeira » est aussi un bon exemple de ce phénomène. J’ai tourné ce film à Fordlândia au Brésil en 2018, dans le cadre de mon DSRA, via une invitation du collectif Suspended spaces. Ce film a été à la fois montré comme installation à Jeune Création et diffusé sur la plateforme Tënk en tant que documentaire.

Comment as-tu exploré et développé cette pratique de la vidéo et du cinéma au sein d’une école d’art option art ?

Le fait de suivre une formation à l’école d’art m’a permis une grande liberté de forme, dans la mise en scène, en espace, dans la façon de travailler, d’expérimenter.

Je crois que j’y ai aussi acquis une méthode de travail assez décomplexée. Par exemple, « Blakata » est un film que j’ai commencé à tourner sans financement, sans matériel professionnel, et toute seule. Dans une école de cinéma on apprend davantage à travailler en équipe et à intégrer des circuits de financements qui verrouillent la forme du film. Mon parcours à l’école m’a émancipé de ces formes de narration, qui peuvent être assez inhibantes.

En revanche, ces deux dernières années je travaille à la réalisation d’un nouveau film en étant cette fois accompagnée par la maison de production The Kingdom fondée par Marie Odile Gazin et accompagnée par Julien Sallé. J’apprends à écrire un scénario. C’est intéressant aussi, et ça me permet de toucher à un autre registre.

Pendant mes études à l’école d’art, j’ai aussi participé au « Film Infini », un groupe de recherche qui travaillait sur l’articulation entre le cinéma et le travail, le travail du cinéma et le cinéma du travail, ce qui m’a permis de collaborer avec des historiens, des sociologues, d’avoir un éveil vers les sciences sociales. Ça a été mon point de départ entre travail de recherche et vidéo.

Peux-tu revenir sur ce projet de film en cours ?

Il s’agit d’un projet de documentaire-fiction, qui s’appelle « Wolobougou » et sera tourné dans une maternité au Burkina. Wolobougou veut dire en Bambara « le lieu de la naissance ». C’est le nom de la petite maternité de brousse fondée par la sage-femme Honorine Soma. Honorine veut révolutionner la place de la femme dans la société burkinabè. Pour donner un accès aux soins aux femmes de milieu rural et affirmer son indépendance, elle a créé sa propre clinique. Elle soigne les corps mais veut aussi soigner les âmes. Pour cela, elle a créé des groupes de paroles féministes qui ont donné lieu à une pièce de théâtre. Aujourd’hui, elle veut remonter sa troupe de théâtre féministe au sein même de sa clinique. Elle peut compter sur l’aide de Bawa, ancienne cantatrice du ballet national du président révolutionnaire Thomas Sankara. Honorine veut convaincre les femmes du village de l’importance de prendre la parole pour changer la société. Malgré le poids des silences et des pressions sociales, vont-elles réussir à affirmer ensemble leur puissance ? En renouant avec la cosmogonie locale et en puisant dans l’histoire politique du pays, Honorine est prête à affronter ces obstacles pour partager son chemin vers l’émancipation.

Tu es également très investie dans le tissu culturel clermontois ?

Pour l’instant, la réalisation de films n’est pas rémunératrice, et je n’ai pas le statut d’intermittent mais d’artiste-auteure. Alors en parallèle, à la fois pour des questions de rémunération et pour tisser des liens qui nourrissent ma pratique, je donne des cours à l’Université Clermont Auvergne.

Je propose depuis trois ans un cours sur le lien entre cinéma et arts plastiques, et j’anime également un atelier du Service Université Culture qui s’appelle « Ciné tract ».

Je suis aussi sélectionneuse pour le Festival du Court Métrage. Je participe donc à la sélection des films, de mai à décembre, depuis trois ans.

Tu proposes en ce moment une installation au Centre international d’art et du paysage de Vassivière.

L’exposition s’appelle « La sagesse des lianes », et est visible jusqu’au 9 janvier 2022. Elle réunit une vingtaine d’artistes des mondes afrodiasporiques, réunis par le philosophe Dénètem Touam Bona qui curate l’exposition.

J’y présente une installation vidéo intitulée « Sankara et nous » coréalisée avec Galadio Kiswendsida Parfait Kaboré.

J’ai rencontré Galadio à l’Institut Imagine, ce lieu de formation et de réflexion autour du cinéma, à Ouagadougou, où j’ai étudié. « La sagesse des lianes » a été pour nous l’occasion de travailler ensemble sur une pièce commune. Le curateur, Dénètem Touam Bona, nous a invité à produire in situ, sur le plateau de Millevaches. Une région qui a une histoire militante forte, avec un tissu associatif très dense.

Galadio Kiswendsida est membre du Balai citoyen, un mouvement militant issu de la société civile au Brukina. Nous avons souhaité travailler sur la mise en regard de ces deux histoires militantes. Nous sommes partis du constat de la méconnaissance des mouvements militants en Afrique, une méconnaissance qui relève davantage du déni que de la simple ignorance. Nous souhaitions travailler cet angle mort, interroger cette zone d’ombre.

Nous avons posé la parole de Thomas Sankara, ancien président révolutionnaire burkinabé, assassiné en 1987, pour la mettre en résonance avec le plateau. Puis nous avons interviewé plusieurs personnes du territoire, en leur proposant de réagir à ses discours.

http://www.camillevarenne.com/

Instagram : @varennecamille

Image : « Sankara et nous », extrait d’installation vidéo 4 écrans, 90 minutes, réalisée avec Galadio Kiswendsida Kaboré, pour l’exposition « La sagesse des Lianes » au Centre international d’art et du paysage de Vassivière.

Portrait de diplômé·es / Clélia Barthelon

Diplômée en 2018, Clélia Barthelon a une pratique artistique tournée vers la sculpture, la vidéo et l’installation. Elle participe, à sa sortie de l’école, à la création de l’association somme toute, qui réunit des artistes clermontois.es et propose une programmation d’expositions, conférences, performances, concerts, etc. Quelques mois après son diplôme, elle devient coordinatrice du festival Les Arts en Balade, à Clermont-Ferrand, et initiatrice de résidences d’artistes portées par cette association.

Peux-tu nous parler de tes missions dans le cadre du festival des Arts en Balade ? 

Je suis coordinatrice des projets de l’association depuis décembre 2018. Les Arts en Balade organise tous les ans depuis 1995, au mois de mai, une manifestation de trois jours qui permet aux artistes puydômois d’ouvrir leurs ateliers. Dans ce cadre-là, je m’occupe de la mise en place de la manifestation : inscriptions, règlement de participation et contrats des artistes invité.es, journée de sélection, communication, graphisme et création des supports de communication, recherche de locaux pouvant accueillir des artistes et des expositions, recherches de partenariats et de financements publics, ou encore mise en place de la médiation pour le public scolaire avec l’aide de bénévoles.

Après l’édition des Arts en Balade de mai 2019, c’est-à-dire ma première expérience de la manifestation en tant que coordinatrice, nous avons fait le constat que certains lieux investis par les artistes dans le cadre du festival n’étaient pas adaptés pour un travail in situ dans un temps court (chapelles, chantiers, lieux patrimoniaux, excentrés, etc.), mais auraient été intéressants à investir pour des résidences un peu plus longues.  En parallèle, l’association formulait le souhait de s’adresser à des artistes plus professionnel.les. C’est à ce moment-là que l’idée de résidences adressées à des artistes du territoire a vu le jour. Ce projet permet également de soutenir les artistes locaux.ales en rémunérant chaque résidence à hauteur de 1 500 euros pour un mois de travail.

Une fois les financements trouvés, nous avons expérimenté ces résidences lors des Arts en Balade 2020 (repoussés en septembre à cause de la crise sanitaire). Depuis, nous avons renouvelé l’expérience plusieurs fois, avec à chaque fois trois ou quatre résidences en parallèle dans des lieux très différents (hôtels, chantiers, maisons vides, anciens cloîtres, musées etc.).

Quelle a été ton expérience avec l’association somme toute ? Est-ce que ce monde associatif te paraît un terrain propice à l’épanouissement des jeunes artistes au niveau local ?

somme toute est une association crée initialement par des jeunes artistes issu.es de l’ÉSACM, dont beaucoup appartenaient, comme moi, à la promotion des diplômé·es du DNSEP 2018. Mais l’association compte aussi des artistes issu.es d’autres écoles, jeunes diplômé.es, ou étudiant.es, plasticien.nes, ou même issu.es de l’univers du spectacle vivant. Cette association est née en prévision de notre sortie de l’école d’art, à la fois pour nous permettre d’avoir des ateliers sous la forme d’espaces communs, de mutualiser du matériel et nos connaissances, mais aussi pour nous permettre de proposer une programmation d’expositions, conférences, performances, concerts, etc. Il y avait aussi, je crois, la crainte d’être seul.es à la sortie. Nous souhaitions en grande partie rester à Clermont-Ferrand, là où nous avions l’impression que nous pouvions être force de proposition (à l’instar de ce que pouvait faire Les Ateliers, La Tôlerie, home alonE, etc.) et où les loyers nous permettaient de trouver un local sans faire appel à des subventions publiques.

L’association a vu le jour en avril 2018, quand la majorité de ses membres étaient encore étudiant.es et nous avons souhaité prendre contact avec les institutions publiques que sont la mairie, la métropole, le département et la DRAC, non pas pour obtenir des financements, mais avec l’idée de nous ancrer dans un réseau. Ces contacts ont été facilités par le fait que certain.es membres de somme toute étaient à l’époque représentant.es des étudiant.es au Conseil d’administration de l’ÉSACM, dans lequel toutes ces institutions étaient présentes. Aujourd’hui nous connaissons bien nos interlocuteur.rices et pouvons poursuivre notre projet commun, voir même le développer grâce à des soutiens publics. Nous finançons nous-mêmes notre local avec des cotisations mensuelles que chaque membre verse en fonction de ses moyens, ce qui nous contraint en termes d’espace, de matériel et de mobilier, mais nous avons fait le choix de consacrer nos subventions à la rémunération des artistes que nous invitons tout au long de l’année.

Je pense que le monde associatif est un très bon outil pour les artistes, car c’est un statut juridique qui permet d’avoir une structure identifiable et modulable selon ses besoins. Mais il fait aussi la part belle au bénévolat. Il faut donc garder en tête que cela doit être un plaisir avant tout.

Tu endosses très facilement ces missions de gestion et de coordination de projets. Est-ce que cette dimension-là était déjà présente pendant ton parcours à l’école ?

Pendant mes études à l’école d’art, j’ai été déléguée quatre années de suite, et je me suis beaucoup investie dans la représentation des étudiant.es (représentante des étudiant.es au Conseil scientifique, pédagogique et de la vie étudiante (CSPVE) et au Conseil d’administration, et élue étudiante à l’Association nationale des écoles supérieures d’art (ANdÉA). Ces expériences m’ont permis de m’apercevoir que j’aime porter la parole des autres et la défendre. Quand j’occupe un poste de coordination ou que je gère un projet, je fais les choses comme j’aimerais qu’elles soient faites pour servir au mieux la cause des artistes, je fais ce que j’aimerais que l’on fasse pour moi. Je le vois comme un geste militant.

Comment s’est passée ta sortie de l’école ?

C’était une sortie d’école très active et dense, et ce rythme n’a pas changé depuis. Une fois le diplôme en poche, je me suis beaucoup investie dans tous les aspects logistiques de la création de l’association somme toute : recherche de lieu, création de dossier, gestion administrative, parce que je suis très à l’aise dans ces missions-là. J’ai intégré l’association des Arts en Balade et pris le poste de coordinatrice quelques mois plus tard.

Je poursuis une pratique artistique en parallèle également, ce qui signifie que j’ai sacrifié beaucoup de vacances et de week-ends. J’ai eu la chance de participer à des expositions et résidences qui m’ont permis de créer de nouvelles pièces. Beaucoup de ces invitations sont liées à somme toute qui, même si ce n’était clairement pas le but premier, agit comme un tremplin pour nous. En revanche mes missions de coordinatrice m’ont contrainte à réduire le travail d’atelier axé sur l’expérimentation. Je réfléchis beaucoup aux pièces que je souhaite produire, bien en amont, et quand je trouve le temps, je les réalise. Mais j’ai pu installer récemment un véritable atelier à mon domicile, ce qui va me permettre de renouer avec l’expérimentation.

Mon travail est principalement sculptural, parfois performatif et tourné vers la vidéo. J’aime beaucoup l’idée du bibelot, cet objet purement décoratif que nous chargeons tou.tes de souvenirs. Cet attachement est dû à ma situation familiale, où il ne reste plus personne. J’aime réutiliser des objets souvenirs, les transformer ou les réinterpréter, pour que ma mémoire ne me fasse jamais défaut. Ces objets qui me sont propres deviennent la représentation d’une mémoire collective, liée à ma génération et mon origine sociale campagnarde, voire paysanne. Adossées à ces objets, je raconte des histoires pour partager mes expériences qui, là encore, deviennent collectives. J’ai aussi une pratique vidéo autour de vlogs (blogs vidéos), qui peuvent être des vlogs de voyage par exemple. Je me filme, silencieuse, au milieu d’un paysage. C’est un geste que j’associe à l’utilisation des réseaux sociaux comme vitrine d’une vie fantasmée, pleine d’aventures, à la différence que mes vidéos sont marquées par l’inactivité, et que je cache la moitié du paysage avec mon visage. Une démarche qui produit de l’agacement chez beaucoup de spectateur.rices, mais qui invitent d’autres à me suggérer de nouveaux paysages qui sont souvent des lieux liés à leur mémoire et expérience personnelle. La boucle est ainsi bouclée.

http://www.cleliabarthelon.com/

https://www.youtube.com/channel/UCe6KobzXtuJZnCp2qU9-_Dg

Image : Come on, Vlog : Compilation de printemps 2018, vidéo projetée, 13’15 », capture d’écran

Portrait de diplômé·es / Justine Emard, par Manon Pretto

Justine Emard a obtenu un DNSEP à l’ÉSACM en 2010. Son travail explore les nouvelles relations qui s’instaurent entre nos existences et la technologie. Cet entretien a été mené par Manon Pretto, diplômée du DNSEP à l’ÉSACM en 2020.

Comment définirais-tu ta pratique ?

Ma pratique est en perpétuelle évolution. Je n’ai pas de médium prédéfini mais je crée des dispositifs qui me permettent d’explorer à la fois le monde d’aujourd’hui et les perspectives du futur.
Mon travail se situe à la croisée de la robotique, des neurosciences, de l’intelligence artificielle et de la vie organique. En associant ces domaines de recherche, je crée des liens entre notre humanité et la technologie. Je suis toujours inspirée par le présent, les avancées du monde, et je collabore avec des laboratoires scientifiques, au Japon, en France, ou au Canada.

Avais-tu envisagé la science et les technologies comme sujet de ton parcours professionnel avant d’entrer à l’école d’art ?

J’ai toujours voulu créer des images et des formes. J’étais à l’aise dans les domaines littéraires, tout en ayant un attrait pour les sciences et le vivant. J’ai découvert l’informatique et internet, qui étaient alors à l’aube d’une révolution dans notre appréhension du monde. Les scientifiques sont constamment en train de redéfinir ce qu’est le monde, en proposant des outils pour mesurer les choses et les comprendre. Et c’est aussi ce que fait l’artiste, qui met en place des protocoles, fait des expériences, pour en extraire la poésie latente et l’exposer.

Dirais-tu que ton travail tend à rendre accessibles les sujets scientifiques et parfois complexes dont tu t’empares ? Peut-on parler d’un travail de traduction ?

Un des rôles de l’artiste est, selon moi, de poser un regard singulier sur ce qui l’entoure, et d’en proposer une interprétation. J’aime rassembler des informations, des données, des témoignages, des expériences, et les mettre à l’épreuve du réel dans une forme différente. Cette notion de traduction traverse ma pratique, en abordant aussi la question du langage, la façon d’envisager l’autre et d’appréhender le monde. C’est un chemin vers l’autre et vers ce que l’on ne connaît pas. J’aime chercher le meilleur médium pour véhiculer ma pensée et inventer de nouveaux langages. 

Soul Shift, 2019, Mori Art Museum, Tokyo © Justine Emard, Adagp, 2021

Comment, en sortant d’une école d’art, as-tu réussi à approcher cet univers scientifique ?

 Tout part toujours simplement de mon intérêt pour un domaine de recherche, un ensemble de travaux, un sujet. Je peux aborder ces questionnements selon une démarche qui n’est pas scientifique mais plastique, ce qui me laisse une grande liberté.

Dernièrement, j’ai travaillé avec le Laboratoire des systèmes perceptifs de l’ENS à Paris, autour de la matérialisation des rêves. J’ai créé un protocole, entre neurosciences et sculpture, pour imprimer des rêves en 3D grâce à un bras robotique industriel. Il s’agissait de produire des formes en céramique à partir de signaux enregistrés au plus profond de notre inconscient, et de révéler une architecture mentale. Cette expérience propose de construire la forme à partir du réservoir émotionnel que sont les rêves.

Impressions 3D en atelier, 2020 © Justine Emard, Adagp, 2021

Tu es souvent en déplacement, en France ou à l’étranger, pour des expositions ou des résidences. Peux-tu nous parler de ces expériences et de la façon dont tu organises ton quotidien de travail ?

En réalité, mon quotidien c’est le mouvement. Je suis souvent en déplacement, et ces moments de transition sont pour moi un espace privilégié pour penser, loin de la routine. Il m’arrive d’être en résidence dans des pays étrangers, en étant inspirée par le dépaysement. Il m’arrive aussi de travailler dans mon atelier à Paris, ou encore de collaborer avec des musiciens, des compositeurs, des danseurs dans un espace scénique. La scène est un champ de possibles qui m’attire.

J’aime être un jour en tournage sur une île japonaise, et le lendemain travailler avec des artisans sur une pièce unique. Dominique Gonzalez-Foerster, plasticienne et réalisatrice française a dit : « L’éparpillement me resserre. » J’adhère à cette idée, se fondre dans le monde pour en concentrer l’essence. Ce dépaysement me plaît. Il active des systèmes de pensée et met les choses en mouvement.

Parmi mes expériences à l’étranger, je viens de terminer une résidence au ZKM, le Centre d’art et médias de Karlsruhe en Allemagne. J’ai créé une installation intitulée Supraorganism, animée par un système conçu pour observer puis prédire les comportements des essaims d’abeilles. Les équipes de ce centre d’art travaillent sur la recherche muséale en rapport avec l’intelligence artificielle, et il était précieux pour moi de pouvoir échanger avec eux et de mettre en commun nos pratiques.

Supraorganism, 2020, Résidence au ZKM, Karlsruhe et à la Maison de la Musique de Nanterre © Justine Emard, Adagp, 2021
Supraorganism, 2020, Résidence au ZKM, Karlsruhe et à la Maison de la Musique de Nanterre © Justine Emard, Adagp, 2021

Quel a été ton parcours à l’intérieur de l’école ?

Je m’intéressais déjà à l’image, à ses mécanismes d’apparition. J’étais captivée par la technologie de l’image et sa matérialité. Ce travail était en quelques sortes l’archéologie de mon travail actuel. Je me rappelle avoir été initiée à la 3D par Virginie Sebbagh, intervenante à l’ÉSACM, qui modélisait des décors pour les tout premiers jeux vidéos en 3D sur ordinateur. Travailler avec elle a été une expérience féconde qui m’a aidée à renouveler mon regard. Je trouve qu’il y a une belle continuité entre ma pratique à l’école et ma pratique artistique actuelle.

Comment s’est passée la transition avec le monde professionnel après le diplôme ?

La transition s’est faite naturellement parce que je participais déjà à des résidences, des expositions, ou des scénographies pour le spectacle vivant. J’ai été sollicitée tout de suite pour une résidence expérimentale dans un laboratoire de réalité virtuelle à Clermont-Ferrand, et c’est à ce moment-là que j’ai découvert l’étendue des moyens de simulation de la réalité. J’ai eu l’envie d’apprendre à coder, à m’emparer de ces outils, tout en gardant une distance critique vis-à-vis de leurs usages. Cette immersion dans l’univers de l’informatique m’a permis de créer ma première pièce en réalité augmentée : Screencatcher, en 2011, avec l’aide du CNC (Centre national de la cinématographie), alors que cette technique n’était pas du tout utilisée dans l’art à cette époque. En écho à l’idée des « dreamcatchers » (les attrapeurs de rêves), Screencatcher révèle des images à la surface de dessins d’écrans abandonnés.

Screencatcher, 2011, Exposition au Musée d’Art Roger Quilliot (2017) © Justine Emard, Adagp, 2021

Après mon diplôme, j’ai fait de chaque expérience un rebondissement. J’ai obtenu un master en conduite de projets culturels, où j’ai appris à manipuler des budgets prévisionnels, monter des projets, négocier des partenariats afin d’acquérir une grande autonomie dans ma pratique et sa production. 

Pendant plusieurs années après l’école, il s’agit d’apprendre à être artiste. Explorer et se développer au contact de l’inconnu. Mes créations scénographiques pour le spectacle vivant m’ont amenée à la performance. La réalisation et le montage de films pour d’autres artistes et institutions (Hiroshi Sugimoto, Ange Leccia, Susanna Fritscher, Le Palais de Tokyo…) m’ont apporté des connaissances et une technicité supplémentaires dans la création de mes œuvres. 

Puis j’ai été invitée pour mes premières expositions personnelles en Norvège, en Suède, en Corée, en Colombie, au Japon, jusqu’à la Nouvelle-Zélande et le Canada.

J’ai été sélectionnée pour la Biennale de Moscou (2017). Mes œuvres ont été exposées à la Cinémathèque Québécoise à Montréal (2019), lors d’expositions collectives au Mori Art Museum ainsi qu’au MOT Museum of Contemporary Art à Tokyo (2019 et 2020) et au Frac Franche-Comté à Besançon (2020).

En 2017, j’ai été sélectionnée pour la résidence Hors les murs de l’Institut Français et la résidence internationale Tokyo Wonder Site, qui m’ont permis de vivre à Tokyo pendant plusieurs mois. Ce long temps de travail m’a procuré une stabilité précieuse dans mes relations avec mes collaborateurs au Japon. Les œuvres Reborn, Co(AI)xistence, Soul Shift et Symbiotic Rituals ont émergé de ces temps d’expérimentation et de création avec le monde de la robotique, entre 2017 et 2019.

Quelles sont tes actualités ?

Je travaille en ce moment sur un projet de commande publique pour le CNAP, Image 3.0, autour des images du futur. Un projet passionnant, pour lequel je m’intéresse aux mécanismes du neurofeedback.

J’ai plusieurs performances prévues en février 2021, avec la pièce Supraorganism et l’ensemble musical TM+, à la Maison de la musique de Nanterre, puis à la Scène musicale, à Paris.

Je participe prochainement à une exposition produite par le Barbican Center de Londres, AI—More than Human et qui sera en janvier au World Museum, à Liverpool. Il s’agit d’une exposition de grande envergure, qui explore les développements créatifs et scientifiques autour de l’intelligence artificielle, en montrant son potentiel à révolutionner nos vies. De la machine à calculer de Blaise Pascal jusqu’aux derniers développements de l’intelligence artificielle.

Co(AI)xistence, 2017, Vue d’exposition “AI more than Human” au Groningen Forum
. © Stella Dekker

www.justineemard.com

instagram :  justineemard

Crédit photo portrait de Justine Emard ©  Jean-François Robert pour Télérama

Portrait de diplômé·es / Alex Chevalier

Diplômé d’un DNSEP obtenu à l’ÉSACM en 2013, Alex Chevalier participe à de nombreuses expositions, à la fois en tant qu’artiste et en tant que commissaire d’exposition. Fondateur des éditions exposé.e.s ainsi que de la revue Kontakt, il explore les différents moyens de diffusion d’un projet artistique.

Comment les pratiques artistiques, curatoriales et éditoriales sont-elles associées dans votre travail ?

Dans un premier temps, j’ai ressenti le besoin de dissocier ces pratiques, de les travailler indépendamment afin de me positionner, d’affirmer mes choix mais aussi, d’une certaine façon, afin de me faire reconnaitre par mes pairs. Comme un besoin de légitimer mes recherches. Aujourd’hui, je ne fais plus cette distinction, parce qu’en réalité, ma pratique correspond davantage à une recherche générale sur la façon de diffuser et de montrer un contenu artistique.

Cette question de la diffusion s’est posée très tôt dans mon parcours. D’abord par des actions dans l’espace public, sous la forme de collages urbains notamment, puis par un travail éditorial. Au début de la 4e année aux Beaux-arts, avec un camarade de promotion, nous avons créé Di Spuren, un journal d’esthétique et de contestation, que nous éditions à l’école. Nous avions pris le parti d’inviter aussi bien des artistes dont nous estimions le travail que des étudiant.e.s qui étaient alors libres de répondre à notre invitation de la façon qu’ils.elles souhaitaient. Nous empruntions des textes et des images qui nous semblaient faire sens à ce moment-là en prenant de grandes libertés ! J’ai ensuite poursuivi ce projet, seul, pendant deux ans, entre la 4e et 5e année ; en tout, il y a eu six numéros et deux hors-séries. 

La revue Kontakt a été créée en parallèle, au début de la 5e année. La genèse du projet se trouve dans un voyage à Berlin avec le même camarade de promotion : nous visitions les musées, et dans l’un d’entre eux, il y avait une collection incroyable de tracts, d’affiches et de pamphlets dadaïstes. Mon père étant un ancien punk, les photo-collages, les tracts et les affiches ont toujours été très présents dans mon environnement. J’étais donc face à une double histoire qui répondait en de nombreux points à mes préoccupations. Suite à cette visite, en une vingtaine de minutes, j’ai dessiné ce qui serait le graphisme de Kontakt. Nous en sommes aujourd’hui au numéro 48, et ce design n’a pas changé. C’est une revue apériodique, un feuillet recto-verso, noir et blanc de format A4 pour lequel chaque invité.e est libre de contribuer de la façon dont il.elle le souhaite dans l’espace de la page. Chacun.e peut ensuite reproduire et diffuser librement chaque numéro qui est en téléchargement libre sur un blog dédié. S’il s’agissait au départ d’un projet éditorial, il s’est progressivement imposé comme étant également un projet curatorial, un espace d’exposition. Une évidence, finalement, pour moi au vu des recherches que je mène autour de l’histoire du commissariat d’exposition, et en particulier, de la figure du marchand et éditeur américain Seth Siegelaud : son célèbre Xerox Book (1968) étant un livre de photocopies qui se donne comme l’exposition et l’espace même de l’exposition. Aujourd’hui encore, Kontakt est un espace que je propose en tant que tel, avec ses contraintes, aux artistes, activistes et auteur.e.s que j’invite.

Comment se déploie votre travail plastique à proprement parler ?

Je participe régulièrement à des expositions dans lesquelles je peux présenter mon travail de dessin et d’installation. Les matériaux que j’utilise comme supports sont généralement récoltés dans l’espace public ; ainsi, plaques de placoplâtre, parpaings, cartons et autres planches en bois constituent le répertoire de formes et de supports à partir desquels je travaille. Bien qu’ils soient rendus muets par leur recouvrement intégral au graphite ou au stylo bille, ces objets m’intéressent, non seulement parce qu’ils comportent leur propre histoire que je viens faire taire, mais aussi parce qu’en les récoltant et en les exposant dans l’espace de la galerie, s’opère un renversement constitutif de ma démarche : l’espace public infuse dans la galerie, alors que le travail d’édition, lui, par l’intermédiaire d’actions de collages sauvages et de tractages, va venir pirater l’espace public.

J’ai également une pratique quotidienne de la photo, que je fais à partir de mon smartphone, des images de mon environnement immédiat, qui deviennent comme des notes visuelles, personnelles : des matériaux de construction, des rebuts de meubles sur un trottoir, des tags recouverts, etc. Ces images collectées sont archivées dans des dossiers dédiés où je vais piocher au gré des projets que je mène… Mais je dois avouer qu’il m’a fallu des années avant de réussir à montrer et assumer ces images.

C’est un voyage de recherche à Détroit – rendu possible par l’obtention, en 2015, d’une bourse de la DRAC Limousin – qui est à l’origine de mon envie d’exploiter cette matière accumulée depuis des années. Ce voyage, fondateur dans mon parcours, m’a réellement fait prendre conscience des gestes artistiques que je posais et de la manière dont ils s’articulaient entre eux.  Par exemple, sur place, j’ai voulu participer symboliquement à la renaissance de la ville en rangeant les espaces désaffectés que je visitais, pratique que j’avais déjà en France, mais dont je ne faisais rien – peut-être parce que je n’en mesurais pas l’importance ?

Une anecdote qui m’amuse, à propos de ces actions de rangement d’ailleurs : un jour, j’ai regroupé et empilé les pneus dispersés dans tout un quartier autour d’une usine Continental désaffectée ; j’ai filmé, je suis parti. Le lendemain, en retournant sur place pour faire d’autres photos, je me suis aperçu que les gens du quartier avaient pris la suite, et avaient continué à ranger… Un dialogue muet s’était instauré avec eux.

En 2018, j’ai consacré une exposition à ce travail mené à Détroit, au Lieu Minuscule, à Reims ; j’y montrais une vidéo et une série de photographies. Même si j’étais content de l’exposition, j’ai vite pris conscience du fait que ces photographies accrochées au mur ne me convenaient pas. Quelques temps après j’ai été invité à Rennes pour participer à une exposition répartie dans plusieurs lieux de la ville. Un de ces lieux, Lendroit Éditions est une librairie dédiée à l’édition d’artiste. J’ai rencontré le directeur et lui ai parlé de mon envie de faire une édition de cet ensemble de photographies. Situations a ainsi vu le jour. Depuis, trois éditions ont été publiées, la première par Lendroit Éditions, les suivantes en mon nom.

Présenter vos images par le biais du livre vous convient davantage que l’exposition ?

Oui, le livre est très important pour moi. Dans un entretien que j’ai réalisé avec l’artiste et activiste américain Josh MacPhee, il me confiait qu’il préférait toucher cent personnes avec une œuvre à 10 dollars, qu’une seule avec une œuvre à 1000 dollars. Une approche du travail dont je me sens très proche, tant cela permet également de démocratiser la pratique artistique et de la diffuser dans tous les contextes. Par ailleurs, le livre est un support qui m’intéresse aussi parce qu’il instaure un rapport plus direct et intime à l’œuvre. Le livre, on le garde, on le manipule, on l’annote. Cette relation à l’objet est devenue très importante pour moi et constitutive de ma pratique éditoriale.

En parallèle, il vous arrive aussi d’intervenir en tant qu’invité dans les écoles d’art ?

Oui, j’ai participé à différents ateliers dans plusieurs écoles, notamment pour parler de mes pratiques éditoriales ainsi que de mon approche du commissariat. Par exemple, en 2019, j’ai travaillé avec les diplômé.e.s de 5e année de l’IsdaT, à Toulouse, à la réalisation d’une exposition collective. S’est rapidement posée la question du catalogue d’exposition présentant le travail de chacun.e. Nous sommes parti.e.s du constat que les catalogues d’exposition sont souvent inutiles pour les jeunes artistes qui doivent présenter leur travail dans le cadre d’un appel à projet par exemple. Les envoyer par courrier coûte très cher, et souvent les diplômé.e.s ne disposent que de quelques pages à l’intérieur qui leur sont consacrées. J’ai donc proposé aux étudiant.e.s de faire un catalogue sous la forme d’une enveloppe japonaise, dans laquelle chaque diplômé.e disposait d’un format A3 recto/verso. Avec la complicité d’un trio de graphistes issu de cette même promotion et formé pour l’occasion, nous avons travaillé sur une forme unique à chacun.e où ils.elles pouvaient présenter leur travail.

Comment se sont passés les premiers temps de la sortie de l’école pour vous ?

Lorsque je suis sorti diplômé de l’ÉSACM, j’ai participé à plusieurs expositions consacrées aux jeunes artistes issu.e.s des écoles d’art de la région, comme l’exposition Première, qui exceptionnellement cette année-là s’est déroulée au BBB à Toulouse, ou Les enfants du Sabbat au Creux de l’enfer à Thiers. J’avais déjà un réseau, grâce à mes revues notamment, et je mettais énormément d’énergie dans le travail. Quand on sort des Beaux-arts, il faut se déplacer, aller voir les gens, aller voir des expositions, visiter les lieux où se trouve l’activité artistique, se mettre en mouvement. Je ressentais pour ma part une certaine urgence à agir. J’ai un caractère assez impatient, je voulais que les choses se fassent. J’ai fait le choix à ce moment-là de ne pas avoir d’atelier intégré à mon lieu de vie, pour m’assurer une certaine mobilité justement. Je n’ai d’ailleurs jamais vraiment compris l’intérêt de produire des œuvres sans savoir s’il allait être possible de les montrer à un moment ou à un autre ! D’autant plus que, mon travail se construisant en fonction des particularités des espaces dans lesquels il est montré, il ne fait pas sens pour moi à ce moment-là d’avoir un atelier et de m’y enfermer.

L’été qui a suivi mon diplôme, je suis parti à Berlin, puis suis rentré et ai fait de la maison familiale en Haute-Corrèze mon camp de base pour quelques années, ce qui me permettait de pouvoir bouger, accepter des projets et voyager comme je l’entendais. Mon réseau se consolidant et les projets se multipliant, il était devenu nécessaire pour moi de me rendre à Paris au moins une fois par mois.  Quand je n’étais pas sur les routes, à monter des projets, rencontrer des gens, l’essentiel de mon travail devait être celui de la diffusion de ce dernier. Aussi j’ai commencé à répondre à des appels à candidatures. Et si au début je faisais ça timidement, j’en suis vite venu à répondre à une soixantaine d’appels à candidatures par an. Cela me permettait, entre autres, de concevoir des projets et de les mûrir, même s’ils étaient refusés, en les repensant pour d’autres lieux/contextes.  Je réponds toujours à des appels à candidatures, mais beaucoup plus rarement et pour des projets que je choisis avec plus de précision.

Ce qui a changé pour moi depuis l’école, c’est aussi ma temporalité de travail. À l’école j’étais un bourreau d’atelier, j’y étais du matin au soir, je profitais des équipements mis à disposition et appréciais de pouvoir bénéficier du suivi des enseignant.e.s également. J’étais accompagné par les enseignant-e-s qui travaillent la peinture et l’image, comme Jean Nanni, Cécile Monteiro-Braz ou Lina Jabbour. Ils.elles m’ont guidé dans mes choix plastiques.

Aujourd’hui, je travaille très différemment, je ne dessine plus tous les jours comme c’était le cas à cette époque. Je rédige des protocoles, imagine des projets que j’active selon les contextes dans lesquels je suis invité à exposer. Et bien qu’il y ait toujours de la place pour la réalisation de dessins, de peintures ou autres projets, mon travail passe désormais davantage par l’écrit.

Le fait d’être autonome dans ma pratique est très important pour moi. L’autonomie m’apparaît presque comme un devoir d’artiste, une façon d’appréhender le travail, son économie et son rapport à l’autre. J’aime que toutes les étapes d’un travail artistique puissent être réalisées par une seule personne.

Silence, 2018, ensemble de dessins sur carton d’emballage, graphite sur carton contre-collé sur carton gris, 75 x 400 cm
image : vue de l’exposition Art On Paper, BOZAR, Bruxelles, 2018

Sur quoi travaillez-vous actuellement ?

Je travaille depuis plusieurs années avec le Centre des livres d’artistes (CDLA) à Saint-Yrieix-La-Perche, qui dispose de l’un des fonds les plus importants de livres d’artistes en France. C’est un lieu qui a une politique très ouverte et accueillante sur les questions éditoriales. Depuis 2017, année pendant laquelle j’y ai fait une résidence de recherche, je collabore avec Didier Mathieu, le directeur du CDLA, sur différents projets. En 2018, nous avons proposé une exposition sur le groupe Crass, groupe punk basé à Londres, avec la collection d’ouvrages et de documents de mon père associée à celle du CDLA (CRASS-DIY).

En 2019, avec François Trahais, qui est historien de l’art, nous avons monté un projet qui s’est déroulé au CDLA ainsi qu’au CAPC de Bordeaux, autour des éditions d’Edward Ruscha, Seth Siegelaub et Marcel Duchamp, acteurs et précurseurs de l’édition d’artiste comme elle est pratiquée par les artistes de l’art conceptuel, et de l’impact qu’ils ont eu sur la création contemporaine (#after, de l’édition à l’exposition). Depuis plusieurs mois, je travaille sur un projet d’exposition qui réunirait entre autres les collections du CDLA et du FRAC Bretagne, mais le travail étant encore en cours de construction, je préfère ne pas trop en dire pour le moment.

En parallèle, je m’attelle toujours à la diffusion de mon travail plastique sous la forme d’expositions, dont une doit d’ailleurs avoir lieu au printemps prochain, à Paris.

http://dda-aquitaine.org/fr/alex-chevalier/dossier.html

https://www.instagram.com/_alexchevalier/

Portrait de diplômé·es / Andréa D’Amario

Après un Bac Pro menuisier-agenceur, Andrea D’Amario rentre à l’École supérieure d’art de Clermont Métropole à 21 ans. Cinq ans plus tard, il obtient le DNSEP (Diplôme National Supérieur d’Expression Plastique). Juste après le passage de son diplôme, il choisit de s’installer à Lima, au Pérou. Il y a vécu et y a enseigné le volume dans une école d’art pendant quatre ans. Il a participé durant son séjour à une dizaine d’expositions collectives et a présenté quatre expositions personnelles. À son retour en France, il s’est installé en Bretagne, dans le Morbihan.

Quel a été votre parcours avant d’entrer dans l’école ?

Juste après le collège, je suis allé dans un lycée général qui comprenait une option arts plastiques lourde. Je me suis rapidement aperçu que ça ne me convenait pas, je m’ennuyais. Je me suis dit qu’il valait mieux que je m’intéresse à un métier manuel pour assurer mes arrières. J’ai donc entamé un cursus BEP et BAC pro menuiserie, et ça a été décisif dans ma pratique. Le fait d’étudier dans un lycée technique donne une certaine vision de l’espace, un processus de fabrication, et ça permet d’avoir des notions concernant le volume. À ce moment-là, je savais que je ne resterai pas dans la menuiserie traditionnelle, car l’envie d’étudier aux Beaux-arts était déjà là. Mais cette formation technique m’a tout de même permis de travailler dans le milieu du décor de scène, à l’opéra Bastille, de faire des décors pour la télé, en employant mes compétences en menuiserie, mais aussi des compétences plus créatives.

Comment avez-vous employé ces compétences-là une fois à l’école ?

Quand je suis arrivé à l’école d’art, j’avais envie de faire de la peinture J’ai énormément voyagé en Italie quand j’étais petit, et à chaque voyage on visitait les musées. J’ai vu beaucoup de peintures, presque jusqu’à saturation. Je me suis passionné pour la peinture antique et les œuvres de la Renaissance. Très vite, je me suis rendu compte que ça ne serait pas ma pratique régulière, parce que la pratique de la peinture et le fait de revenir sans arrêt sur son travail, cette rigueur et cette obstination, l’enfermement dans un cadre, ne me correspondaient pas. Je sentais la nécessité de me développer dans l’espace, d’occuper de plus en plus de place. J’ai donc continué une pratique picturale, mais à la façon de la peinture murale. J’ai commencé à fabriquer mes propres outils. Je me suis réapproprié mes connaissances de la menuiserie traditionnelle pour les mettre au service de ma pratique. Par exemple, j’ai mis en œuvre la fabrication d’un compas géant. J’étais intéressé par les grands formats, le fait de mettre le spectateur face à une échelle qui lui correspond. J’ai commencé par du dessin géométrique, en noir et blanc, puis la couleur est arrivée.

Petit à petit j’ai migré vers le volume, la sculpture. J’avais suivi un des atelier de recherche et de création autour du paysage dans la réserve de Haute-Provence. C’est la première fois que je travaillais dans la nature. Et dans ce nouvel environnement, j’ai commencé à expérimenter des formes beaucoup plus légères, à intervenir sur des pierres, en dessinant des cercles comme des trous noirs dans la matière, disposés dans le paysage. Je cherchais à créer une atmosphère un peu onirique, comme dans les films de Hayao Miyazaki.

«Land Art », Digne-les-Bains, France, 2012.

Quels étaient vos territoires de questionnement à l’école, et quels sont-ils aujourd’hui ?

Je m’intéresse beaucoup à l’astrophysique, aux images de nébuleuses, aux planètes, aux mathématiques, à la physique quantique, etc. C’est un peu ma façon de comprendre la réalité, même sans avoir de bagage scientifique. Comment fonctionne le réel, qu’est ce que c’est, comment influe-t-on sur ce réel-là, qu’est-ce que produire des formes dans le réel.

Avec le travail autour des cercles géants que j’ai mené à l’école, j’explorais les fractales, que l’on retrouve beaucoup dans la nature. Je m’intéressais au fait qu’une forme infinie puisse exister dans des formes finies. L’école m’a permis de poser les bases de ma réflexion et le travail s’est transformé. Mais aujourd’hui ce sont toujours ces mêmes questions qui m’intéressent. 

Exposition « Barranco Open Studio » à La Casona Roja, Lima, avril 2017, Pérou.

Vous avez eu, très tôt après l’école, une expérience de l’enseignement de l’art à l’étranger. Pouvez-vous nous en parler ?

Ma femme est péruvienne, et nous avons passé plusieurs étés à Lima avant le diplôme. J’avais rencontré la directrice de l’école d’art de Lima et elle m’a proposé d’y travailler d’abord en tant qu’assistant, ensuite en tant qu’enseignant en volume. J’y suis resté quatre ans.

La perception de l’art au Pérou varie beaucoup selon l’endroit ou l’on se trouve. J’ai appris beaucoup sur la pédagogie. Cette école était la seule école à avoir une approche presque exclusivementcontemporaine au Pérou. Les autres forment des techniciens incroyables, très ancrés dans la matière, ce qui d’ailleurs manque un peu dans les écoles d’art française. À force de développer les concepts on en oublie parfois la technique. À mon sens, avoir les outils donne de nouvelles capacités à penser des projets. La menuiserie a été vraiment décisive dans l’évolution de ma pratique. Ça m’a permis de savoir lire et dessiner des plans, savoir penser une forme, et comment la réaliser, avec quels matériaux. Ça facilite grandement la mise en œuvre des projets. Pour ma dernière exposition, j’ai produit des pièces d’une grande taille, des volumes monumentaux, et dans l’élaboration du dossier, ça m’a donné une certaine assurance de pouvoir proposer un descriptif précis, technique. Il faut lutter contre l’idée selon laquelle les artistes ne fabriquent pas leurs pièces. J’aime montrer que je travaille. Et je prends autant de plaisir à la création qu’à la fabrication.

Avez-vous pu, parallèlement à l’enseignement, poursuivre votre vie d’artiste à Lima ?

J’ai eu plusieurs ateliers à Barranco, un quartier où travaillent beaucoup d’artistes. J’ai réalisé quatre expositions personnelles là-bas, dont une à l’Alliance française de Trujillo, au nord du pays. J’ai aussi participé à une exposition à l’Alliance Française de Lima. J’ai également travaillé avec la galerie Wu à Barranco. A Lima, le monde de l’art a des dynamiques différentes de celles que l’on connaît en France. Il n’y a, malheureusement, que très peu de soutiens public aux artistes contemporains. L’art est donc souvent entre les mains de gens puissants. Le rapport d’un artiste à la galerie est donc parfois plus difficile, j’ai quelquefois senti que les artistes étaient moins libre. C’est pour ça que j’ai préféré – et je tends toujours à cela – travailler avec des institutions. Ça tient aussi à la direction vers laquelle s’est orienté ma recherche. Bien que j’apprécie le travail avec les galeries,  je suis de plus en plus intéressé par la production in situ, c’est pourquoi je produis beaucoup moins d’objet et c’est souvent difficile pour moi de créer dans une optique purement commerciale. Travailler avec des musées et des institutions offre plus de liberté dans ma démarche. 

Quelle influence votre expérience à Lima a eu sur votre pratique ?

Il y a à Lima un quartier plein de petites échoppes dédiées à la vente de pièces détachées, des moteurs, des LED, etc. choses qui n’existent pas en France. Et j’ai commencé, grâce à ce matériel, à créer des systèmes, utiliser des moteurs, mettre des objets en mouvement, créer des faisceaux de lumière. Il s’agissait d’un travail plus proche du laboratoire, de l’expérimentation. Je fonctionne souvent comme ça, je fais de nombreux essais, ça se coagule pour créer une pièce qui sort du néant. Lima m’a permis cette expérience-là, à travers une pratique de flânerie, sans savoir ce que j’achetais, de monter des pièces ensemble et voir ce que cela produisait. Grâce à ça, j’ai ajouté du mouvement dans mes expositions. Avant c’était très statique, et avec le mouvement, je m’aperçois que j’arrive à créer d’autres effets. La réalité même de Lima, lorsque l’on vient d’un pays où tout est ordonné, réglé, m’a mis face à une sorte de liberté perdue. Les péruviens sont très débrouillards. Il y a une économie de la débrouillardise, du « faire soi même ». Ça m’a permis de réfléchir à une autre économie de travail, à une autre façon de trouver des matériaux.

L’esthétique même de la ville a influencé mon travail. Lima est proche de l’équateur donc les jours comptent douze heures de lumière et douze heures d’obscurité. Nous sommes sur le littoral, le soleil se couche dans la mer, les couleurs des éléments sont très changeantes, il y a des rouges flamboyants, des violets, et cette lumière est une chose que j’ai tenté de reproduire à l’atelier.

Après quatre ans de vie au Pérou, comment s’est passé votre retour en France ?

Rentrer en France pour être artiste après plusieurs années à l’étranger, ça demande beaucoup d’énergie. J’en suis venue à me demander si j’allais continuer. J’ai fait une formation en Angleterre pour apprendre à fabriquer des planches de surf en bois. Puis je me suis ressaisi, et je me suis de nouveau consacré à mes projets artistiques.

J’ai répondu à l’appel à projet de Vign’art, première édition d’un festival en Champagne Ardennes, inspiré d’Horizon Sancy, et j’ai été sélectionné. C’est la première fois que mon travail était montré en France. Et d’autres projets ensuite en ont découlé.

Pouvez-vous nous parler de vos projets en cours ?

De juin 2020 à mars 2021, l’exposition “Prisme, architecture boréale” est visible au Musée de La Cohue à Vannes. J’ai eu de la chance, car j’ai envoyé un dossier de candidature spontanée par hasard à un moment où ils cherchaient un artiste qui travaille avec la lumière. Le lieu est incroyable, et je me suis dit qu’il y avait vraiment quelque chose d’intéressant à faire dans ce contexte. J’ai proposé une forme qui créait une architecture lumineuse dans l’espace. 

La lumière a été un peu comme une évidence dans mon parcours. En 2015 à la Fundación Telefónica, j’avais travaillé essentiellement autour de ce sujet-là. Peu de temps avant, alors que j’étais en vacances en Italie, j’ai trouvé un carton plein de cristaux magnifiques issus d’un vieux lustre. J’ai ramené son contenu au Pérou sans savoir ce que j’allais en faire. Ça a donné l’exposition « Mystic of the optic ». 

Fin septembre j’ai aussi participé à la résidence des Arts en balade à la Visitation, à Clermont-Ferrand. J’ai de nouveau travaillé autour de la lumières, en employant des matériaux transparents, translucides. Les pièces lumineuses, blanches ou colorées ont été présentées dans un espace obscur. Certaines de ces œuvres étaient en projet depuis longtemps, d’autres sont réellement nées de la résidence. J’ai tenté de produire par mes propres moyens des images qui auraient pu être produites par ordinateur. C’est une illusion que j’aime renouveler dans mon travail, en produisant des images qui ont l’air digitales et qui en réalité sont analogiques.

www.andreadamario.com

Portrait de diplômé·es / Florent Poussineau

Florent Poussineau obtient un DNSEP à l’ÉSACM en 2015. Fils de pâtissier, il poursuit ensuite son cursus par une formation Design & Culinaire à l’ESAD de Reims. Aujourd’hui, il est artiste et propose, à travers diverses expositions collectives et personnelles en France et à l’étranger, un travail à la croisée de la performance, la vidéo et l’installation, traversé par des explorations culinaires et un attachement aux métiers de bouche.

Exposition « Esthétique éphémère » à la galerie Premier Regard.

Quels sont vos projets actuels ?

En raison de l’épidémie de COVID-19, mes projets sont quelque peu chamboulés. Ce qui devait être présenté au printemps est déplacé à l’automne ou reporté à l’année prochaine. Ma prochaine exposition personnelle, «Transmission», sera présentée en septembre à la Maison des arts d’Aime, en Savoie. Suivra, de novembre à janvier, une exposition personnelle, « Sensibilité idéale », à l’École municipale des Beaux-Arts de Châteauroux. Puis une résidence au Palais des paris à Tokyo est programmée en début d’année prochaine, ainsi qu’une résidence-mission, organisée par le Centre d’art le Lait, dans le centre pénitencier d’Albi.

Quelles étapes ont le plus compté dans votre parcours ?

Tout a compté. Toutes les étapes méritent de compter, les erreurs comme les réussites, mais avant tout ce sont les rencontres qui m’ont le plus marqué. Une première exposition personnelle dans une galerie est une expérience mémorable, en particulier dans le cas où elle est accueillie à la galerie Tator, à Lyon, où Marie Bassano, Laurent Lucas et Félix Lachaize proposent une programmation d’artistes émergents. J’ai aussi vécu une première exposition personnelle dans une galerie parisienne, grâce à l’accueil de Laurence Fontaine et Laurence Poirel à la galerie Premier Regard. Cette exposition m’a permis de travailler ensuite avec Catherine Baÿ à The Window. Les voyages à l’étranger apportent aussi leur lot d’apprentissage concret du monde artistique. J’ai réalisé une résidence dans le sud du Japon, une autre à Beyrouth, une exposition personnelle dans une galerie new-yorkaise et également une résidence en Hollande. Organisée en collaboration avec Tair-Pair et SIGN à Groningen, cette résidence m’a permis de rencontrer Klaas Koetje (artiste plasticien et dirigeant de SIGN), qui est pour moi un fidèle allié et maître artistique.

Exposition « Générosité égoïste » à la galerie Tator

À quoi ressemble votre quotidien de travail ?

C’est un quotidien changeant qui n’a rien de routinier. Mon travail se divise en plusieurs étapes avec des intensités différentes. Un temps de recherche et d’élaboration de dossiers afin de candidater à différents appels à projets, et un temps de réflexion et création à l’atelier. En ce moment, je suis résident à la Fileuse, une friche artistique à Reims, et ces résidences sont le moment où les pièces pérennes sont mises en forme avant d’être déplacées dans les futures expositions, ou livrées à des collectionneurs. Pour le reste du temps, soit environ la moitié de l’année, je suis en déplacement, dans le cadre de résidences artistiques à l’étranger ou en France, ou pour monter mes expositions. La durée du séjour est souvent plus longue qu’un simple montage car je fais beaucoup de médiation artistique autour de mon travail. Ayant bénéficié d’une formation « culture et santé » organisée par la Direction régionale des affaires cultruelles (DRAC) et l’Agence régionale de santé (ARS), je propose des ateliers à des publics enfants, adolescents et leurs parents, mais également à des résidents d’EPHAD et des personnes en situation de handicap physique et/ou mental.

Cette formation « culture et santé » a-t-elle influencé votre travail ? 

Suite à une résidence-mission, la DRAC et l’ARS ont invité différents acteurs de la médiation artistique à réfléchir ensemble aux questions de l’environnement et de la transmission liées à la santé. Ce n’est pas de l’art-thérapie. Il s’agit simplement d’associer un artiste à une équipe soignante, pour faciliter l’expression et la compréhension artistique. Ces propositions s’adressent à ce que l’on appelle « les publics empêchés » pour lesquels l’accès aux lieux de diffusion de l’art est difficile, voire impossible, pour des raisons physiques, financières ou symboliques.

Ces expériences ont surtout marqué le rapport que j’entretiens à mon travail en me contraignant à en parler différemment, car ce public n’a pas de repères face à l’art contemporain, l’abstraction, la performance, etc. C’est une situation souvent complexe mais ces échanges sont enrichissants pour tous, car ils remettent en question le beau, l’utilité de l’art, la philosophie, l’architecture d’une peinture, etc.

Comment avez-vous commencé à vous intéresser aux enjeux de la médiation ?

Simplement par étapes, d’intervention en intervention, dès le début de mes études en classe prépa où l’on m’a demandé d’intervenir auprès de centres aérés pour réaliser des fresques collectives dans la ville de Châteauroux.

Toutes les galeries et centres d’art ne se trouvent pas dans des grandes villes, et leur but dans ce cas est de rendre accessible la recherche artistique à un plus large public. En zone rurale, il est très facile d’être soutenu et engagé pour ce type d’actions. Dans les grandes villes, les préoccupations vont être de démocratiser l’art, à des endroits où il est parfois resté élitiste.

Comment s’est passée pour vous la transition entre le diplôme et la vie professionnelle ?

Plutôt simple à dire, moins à réaliser. Il faut utiliser l’environnement offert par une école pour un début de carrière artistique. L’école est d’abord un lieu d’apprentissage, mais les personnes qui la composent font partie d’un réseau qui permet de provoquer des opportunités et des rencontres. Pendant les études, il faut se rendre aux vernissages, aller voir des expositions, visiter des ateliers. Il faut pleinement tirer parti des opportunités offertes à un.e jeune étudiant.e. Suite au DNSEP à l’ÉSACM, j’ai consacré une année à travailler sur un dossier de candidature pour le post-diplôme Design & Culinaire à l’ESAD de Reims. Parallèlement je partageais l’atelier de Corentin Massaux aux Ateliers du Brézet et je montrais le résultat de ce travail à La Cabine (espace de monstration et atelier à Clermont-Ferrand, fermé depuis). À la fin du post-diplôme, j’ai intégré la pépinière de l’ESAD de Reims et j’ai quitté mon emploi alimentaire pour prendre le risque de vivre du métier pour lequel j’ai fait six années d’études.

En quoi votre activité fait écho ou non à votre parcours et à vos choix lorsque vous étiez étudiant à l’ÉSACM ?

Mon activité professionnelle est intimement liée à cette école. J’espère que c’est toujours le cas. Lorsque j’étais étudiant à l’ÉSACM, il était possible pour des personnes qui n’avaient pas le baccalauréat de pouvoir intégrer le cursus. Ayant arrêté mes études à 15 ans, les Beaux-Arts ont été une véritable opportunité. Grâce à une dérogation accordée par Muriel Lepage, la directrice en 2010, j’ai pu présenter le concours et faire des études supérieures.

C’est durant la troisièmes année aux Beaux-Arts que mes premières recherches artistiques liées au domaine culinaire se sont développées, pendant un cours de volume dispensé par Roland Cognet et Stéphane Tidet. Puis le budget qui nous était alloué  pour le DNAP (aujourd’hui le DNA, Diplôme national d’art, Ndlr) m’a permis de créer dans l’atelier volume deux colonnes d’éclairs au chocolat, avec 500 éclairs pour la première et 1000 pour la seconde.

 

Quel est le rôle d’un artiste pour vous ?

Un artiste plasticien met en forme, plastiquement, une recherche philosophique, poétique ou une pensée. À la manière d’un chercheur ou d’un scientifique, il doit avoir une bonne connaissance des travaux réalisés précédemment par ses pairs, pour tenter de faire évoluer l’art, de le transmettre au plus grand nombre. Le métier d’artiste plasticien est complexe et demande beaucoup d’énergie, mais désormais je ne peux et ne veux plus rien faire d’autre.

Quels sont vos projets pour la suite ?

Les envies sont variées. Ma préoccupation première est de continuer à produire une recherche artistique intéressante, continuer à rencontrer des personnes passionnantes et d’en apprendre plus sur les interactions sociales à travers le monde. En ce qui concerne les projets qui arriveront dans les prochaines années, il y a l’envie grandissante de devenir professeur en école d’art, et une série d’ouvrages en cours de rédaction. Ce ne sont pas les idées qui manquent et certaines envies qui deviennent concrètes procurent beaucoup d’émotions.

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