Conférence Philippe Mangeot

Une invitation du groupe de recherche des Exils

Philippe Mangeot enseigne la littérature. Il participe au milieu des années 90 à la fondation de la revueVacarme, qui a proposé pendant plus de vingt ans un espace d’expression et de réflexions aux croisements de la création, de la recherche en sciences humaines et sociales et de l’engagement politique. Cet intérêt pour les intrications entre l’éthique et de l’esthétique, la croyance en la construction d’une intelligence collective, Philippe Mangeot les éprouve quelques années plus tôt en rejoignant l’association de malades du sida, Act Up. C’est encore à plusieurs mains qu’il écrira le scénario du film120 battements par minutes retraçant ces années d’une lutte intime et médiatisée.

L’invitation faite par le programme de recherche Des Exils et plus particulièrement la conférence permettront de revenir sur ce parcours, sur ce qu’il peut nous éclairer aujourd’hui sur les liens possibles entre privé et politique, poétique et politique, affects et savoirs.

Portrait de diplômé·es / Andréa D’Amario

Après un Bac Pro menuisier-agenceur, Andrea D’Amario rentre à l’École supérieure d’art de Clermont Métropole à 21 ans. Cinq ans plus tard, il obtient le DNSEP (Diplôme National Supérieur d’Expression Plastique). Juste après le passage de son diplôme, il choisit de s’installer à Lima, au Pérou. Il y a vécu et y a enseigné le volume dans une école d’art pendant quatre ans. Il a participé durant son séjour à une dizaine d’expositions collectives et a présenté quatre expositions personnelles. À son retour en France, il s’est installé en Bretagne, dans le Morbihan.

Quel a été votre parcours avant d’entrer dans l’école ?

Juste après le collège, je suis allé dans un lycée général qui comprenait une option arts plastiques lourde. Je me suis rapidement aperçu que ça ne me convenait pas, je m’ennuyais. Je me suis dit qu’il valait mieux que je m’intéresse à un métier manuel pour assurer mes arrières. J’ai donc entamé un cursus BEP et BAC pro menuiserie, et ça a été décisif dans ma pratique. Le fait d’étudier dans un lycée technique donne une certaine vision de l’espace, un processus de fabrication, et ça permet d’avoir des notions concernant le volume. À ce moment-là, je savais que je ne resterai pas dans la menuiserie traditionnelle, car l’envie d’étudier aux Beaux-arts était déjà là. Mais cette formation technique m’a tout de même permis de travailler dans le milieu du décor de scène, à l’opéra Bastille, de faire des décors pour la télé, en employant mes compétences en menuiserie, mais aussi des compétences plus créatives.

Comment avez-vous employé ces compétences-là une fois à l’école ?

Quand je suis arrivé à l’école d’art, j’avais envie de faire de la peinture J’ai énormément voyagé en Italie quand j’étais petit, et à chaque voyage on visitait les musées. J’ai vu beaucoup de peintures, presque jusqu’à saturation. Je me suis passionné pour la peinture antique et les œuvres de la Renaissance. Très vite, je me suis rendu compte que ça ne serait pas ma pratique régulière, parce que la pratique de la peinture et le fait de revenir sans arrêt sur son travail, cette rigueur et cette obstination, l’enfermement dans un cadre, ne me correspondaient pas. Je sentais la nécessité de me développer dans l’espace, d’occuper de plus en plus de place. J’ai donc continué une pratique picturale, mais à la façon de la peinture murale. J’ai commencé à fabriquer mes propres outils. Je me suis réapproprié mes connaissances de la menuiserie traditionnelle pour les mettre au service de ma pratique. Par exemple, j’ai mis en œuvre la fabrication d’un compas géant. J’étais intéressé par les grands formats, le fait de mettre le spectateur face à une échelle qui lui correspond. J’ai commencé par du dessin géométrique, en noir et blanc, puis la couleur est arrivée.

Petit à petit j’ai migré vers le volume, la sculpture. J’avais suivi un des atelier de recherche et de création autour du paysage dans la réserve de Haute-Provence. C’est la première fois que je travaillais dans la nature. Et dans ce nouvel environnement, j’ai commencé à expérimenter des formes beaucoup plus légères, à intervenir sur des pierres, en dessinant des cercles comme des trous noirs dans la matière, disposés dans le paysage. Je cherchais à créer une atmosphère un peu onirique, comme dans les films de Hayao Miyazaki.

«Land Art », Digne-les-Bains, France, 2012.

Quels étaient vos territoires de questionnement à l’école, et quels sont-ils aujourd’hui ?

Je m’intéresse beaucoup à l’astrophysique, aux images de nébuleuses, aux planètes, aux mathématiques, à la physique quantique, etc. C’est un peu ma façon de comprendre la réalité, même sans avoir de bagage scientifique. Comment fonctionne le réel, qu’est ce que c’est, comment influe-t-on sur ce réel-là, qu’est-ce que produire des formes dans le réel.

Avec le travail autour des cercles géants que j’ai mené à l’école, j’explorais les fractales, que l’on retrouve beaucoup dans la nature. Je m’intéressais au fait qu’une forme infinie puisse exister dans des formes finies. L’école m’a permis de poser les bases de ma réflexion et le travail s’est transformé. Mais aujourd’hui ce sont toujours ces mêmes questions qui m’intéressent. 

Exposition « Barranco Open Studio » à La Casona Roja, Lima, avril 2017, Pérou.

Vous avez eu, très tôt après l’école, une expérience de l’enseignement de l’art à l’étranger. Pouvez-vous nous en parler ?

Ma femme est péruvienne, et nous avons passé plusieurs étés à Lima avant le diplôme. J’avais rencontré la directrice de l’école d’art de Lima et elle m’a proposé d’y travailler d’abord en tant qu’assistant, ensuite en tant qu’enseignant en volume. J’y suis resté quatre ans.

La perception de l’art au Pérou varie beaucoup selon l’endroit ou l’on se trouve. J’ai appris beaucoup sur la pédagogie. Cette école était la seule école à avoir une approche presque exclusivementcontemporaine au Pérou. Les autres forment des techniciens incroyables, très ancrés dans la matière, ce qui d’ailleurs manque un peu dans les écoles d’art française. À force de développer les concepts on en oublie parfois la technique. À mon sens, avoir les outils donne de nouvelles capacités à penser des projets. La menuiserie a été vraiment décisive dans l’évolution de ma pratique. Ça m’a permis de savoir lire et dessiner des plans, savoir penser une forme, et comment la réaliser, avec quels matériaux. Ça facilite grandement la mise en œuvre des projets. Pour ma dernière exposition, j’ai produit des pièces d’une grande taille, des volumes monumentaux, et dans l’élaboration du dossier, ça m’a donné une certaine assurance de pouvoir proposer un descriptif précis, technique. Il faut lutter contre l’idée selon laquelle les artistes ne fabriquent pas leurs pièces. J’aime montrer que je travaille. Et je prends autant de plaisir à la création qu’à la fabrication.

Avez-vous pu, parallèlement à l’enseignement, poursuivre votre vie d’artiste à Lima ?

J’ai eu plusieurs ateliers à Barranco, un quartier où travaillent beaucoup d’artistes. J’ai réalisé quatre expositions personnelles là-bas, dont une à l’Alliance française de Trujillo, au nord du pays. J’ai aussi participé à une exposition à l’Alliance Française de Lima. J’ai également travaillé avec la galerie Wu à Barranco. A Lima, le monde de l’art a des dynamiques différentes de celles que l’on connaît en France. Il n’y a, malheureusement, que très peu de soutiens public aux artistes contemporains. L’art est donc souvent entre les mains de gens puissants. Le rapport d’un artiste à la galerie est donc parfois plus difficile, j’ai quelquefois senti que les artistes étaient moins libre. C’est pour ça que j’ai préféré – et je tends toujours à cela – travailler avec des institutions. Ça tient aussi à la direction vers laquelle s’est orienté ma recherche. Bien que j’apprécie le travail avec les galeries,  je suis de plus en plus intéressé par la production in situ, c’est pourquoi je produis beaucoup moins d’objet et c’est souvent difficile pour moi de créer dans une optique purement commerciale. Travailler avec des musées et des institutions offre plus de liberté dans ma démarche. 

Quelle influence votre expérience à Lima a eu sur votre pratique ?

Il y a à Lima un quartier plein de petites échoppes dédiées à la vente de pièces détachées, des moteurs, des LED, etc. choses qui n’existent pas en France. Et j’ai commencé, grâce à ce matériel, à créer des systèmes, utiliser des moteurs, mettre des objets en mouvement, créer des faisceaux de lumière. Il s’agissait d’un travail plus proche du laboratoire, de l’expérimentation. Je fonctionne souvent comme ça, je fais de nombreux essais, ça se coagule pour créer une pièce qui sort du néant. Lima m’a permis cette expérience-là, à travers une pratique de flânerie, sans savoir ce que j’achetais, de monter des pièces ensemble et voir ce que cela produisait. Grâce à ça, j’ai ajouté du mouvement dans mes expositions. Avant c’était très statique, et avec le mouvement, je m’aperçois que j’arrive à créer d’autres effets. La réalité même de Lima, lorsque l’on vient d’un pays où tout est ordonné, réglé, m’a mis face à une sorte de liberté perdue. Les péruviens sont très débrouillards. Il y a une économie de la débrouillardise, du « faire soi même ». Ça m’a permis de réfléchir à une autre économie de travail, à une autre façon de trouver des matériaux.

L’esthétique même de la ville a influencé mon travail. Lima est proche de l’équateur donc les jours comptent douze heures de lumière et douze heures d’obscurité. Nous sommes sur le littoral, le soleil se couche dans la mer, les couleurs des éléments sont très changeantes, il y a des rouges flamboyants, des violets, et cette lumière est une chose que j’ai tenté de reproduire à l’atelier.

Après quatre ans de vie au Pérou, comment s’est passé votre retour en France ?

Rentrer en France pour être artiste après plusieurs années à l’étranger, ça demande beaucoup d’énergie. J’en suis venue à me demander si j’allais continuer. J’ai fait une formation en Angleterre pour apprendre à fabriquer des planches de surf en bois. Puis je me suis ressaisi, et je me suis de nouveau consacré à mes projets artistiques.

J’ai répondu à l’appel à projet de Vign’art, première édition d’un festival en Champagne Ardennes, inspiré d’Horizon Sancy, et j’ai été sélectionné. C’est la première fois que mon travail était montré en France. Et d’autres projets ensuite en ont découlé.

Pouvez-vous nous parler de vos projets en cours ?

De juin 2020 à mars 2021, l’exposition “Prisme, architecture boréale” est visible au Musée de La Cohue à Vannes. J’ai eu de la chance, car j’ai envoyé un dossier de candidature spontanée par hasard à un moment où ils cherchaient un artiste qui travaille avec la lumière. Le lieu est incroyable, et je me suis dit qu’il y avait vraiment quelque chose d’intéressant à faire dans ce contexte. J’ai proposé une forme qui créait une architecture lumineuse dans l’espace. 

La lumière a été un peu comme une évidence dans mon parcours. En 2015 à la Fundación Telefónica, j’avais travaillé essentiellement autour de ce sujet-là. Peu de temps avant, alors que j’étais en vacances en Italie, j’ai trouvé un carton plein de cristaux magnifiques issus d’un vieux lustre. J’ai ramené son contenu au Pérou sans savoir ce que j’allais en faire. Ça a donné l’exposition « Mystic of the optic ». 

Fin septembre j’ai aussi participé à la résidence des Arts en balade à la Visitation, à Clermont-Ferrand. J’ai de nouveau travaillé autour de la lumières, en employant des matériaux transparents, translucides. Les pièces lumineuses, blanches ou colorées ont été présentées dans un espace obscur. Certaines de ces œuvres étaient en projet depuis longtemps, d’autres sont réellement nées de la résidence. J’ai tenté de produire par mes propres moyens des images qui auraient pu être produites par ordinateur. C’est une illusion que j’aime renouveler dans mon travail, en produisant des images qui ont l’air digitales et qui en réalité sont analogiques.

www.andreadamario.com

Une exposition des costumes réalisés par les étudiant.e.s à l’espace Victoire

Retrouvez les costumes de la parade inaugurale du Festival International des Textiles Extraordinaires (FITE) à l’espace Victoire jusqu’au 27 septembre. Ils ont été réalisés par les étudiant.e.s de l’ÉSACM pendant une semaine de workshop accompagnés par les artistes Eddy Ekete et Shivay la Multiple. Mardi 22 septembre 2020, ils.elles ont paradé en costumes dans les rues de Clermont-Ferrand, pour l’inauguration du FITE.

Exposition ouverte tous les jours sauf le lundi matin, de 10h à 13h et de 14h à 18h. Espace Victoire, place de la Victoire, à Clermont-Ferrand. Entrée libre.

L’exposition des diplômé.e.s 2020 est à découvrir du 1er au 16 octobre

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Exposition des diplômé.e.s 2020, à découvrir du 1er au 16 octobre, dans le Grand atelier de l’ÉSACM. Vernissage le 6 octobre.
Une exposition à découvrir du lundi au vendredi, de 10h à 19h, à l’ÉSACM.

Avec :
ANTUNES Théo / ARNAUD Élise / BASIRI Niloufar / BEAUCOURT Antoine / BISSON Léa / CHOPY Jeanne / COMBRET Hortense / FERREIRA Stefan / FONTANIÉ Lola /LIÈVRE Jade / PAILLASSOU Maxime / PALLUY Clémentine / PRETTO Manon / SERIN-TUIKALEPA To’a /STORUP Frédéric / TORNAMBE Robin / VARIN Hippolyte / VILLATTE Élisa / YAHFOUFI Malak.

Le masque est obligatoire dans l’enceinte de l’établissement, et du gel hydroalcoolique sera mis à votre disposition.

Un workshop « Chœur de costumes », pour la parade inaugurale du FITE – Festival International des Textiles Extraordinaires

Cette semaine, une dizaine d’étudiant.e.s de l’ÉSACM participent au workshop « Chœur de costumes », accompagné.e.s par les artistes Shivay la Multiple et Eddy Ekete, sur une proposition de Camille Varenne et Philippe Eydieu.
À partir de la mise en mouvement des corps, des costumes seront pensés, individuels, collectifs, un chœur de costumes. Le workshop se terminera par une parade qui cheminera jusqu’au musée Bargoin, pour l’inauguration du FITE-Festival International des Textiles Extra Ordinaires, mardi 22 septembre, à 18h30 ! (RDV devant l’ÉSACM)

Les rendez-vous de l’ÉSACM pour le FITE :

– Parade inaugurale : mardi 22 septembre à 18h30 devant l’ÉSACM, 25 rue Kessler
– Participation des artistes Shivay la Multiple et Eddy Ekete au café / rencontre au Musée Bargoin mercredi 23 septembre à 10h30
– Participation des artistes Shivay la Multiple et Eddy Ekete à la causerie de la librairie Le Grin, « Poésie et incertitude, le love etc. Est un espace où il n’y a pas la solution », mercredi 23 septembre à 12h30

Portrait de diplômé·es / Marjolaine Turpin

Marjolaine Turpin a obtenu un DNSEP à l’ÉSACM en 2015. Artiste plasticienne, ses recherches s’articulent autour de questions liées au monde végétal, l’observation de la nature, et le rapport au geste. 

Pouvez-vous nous parler de votre travail plastique ?

Mon travail est lié au végétal, même si ce n’est pas forcément une matière première visible dans les œuvres. Les questions de lenteur, de formes endormies, de présences silencieuses et de croissance constituent une base sur laquelle je m’appuie beaucoup. Ensuite vient la question du geste qui est souvent intimement liée à la matière que j’utilise, comme par exemple dans ajour, qui se présente sous la forme d’un aplat enduit, qui est simplement lissé jusqu’à ce qu’il miroite dans l’espace. L’enduit est poussé au bout de sa fonction, et il révèle un dessin à toucher, très lisse, mat ou brillant selon les endroits. C’est une installation dont la réalisation est plutôt physique, elle nécessite beaucoup de couches à appliquer et à poncer pour arriver à cette brillance, mais ce qui me plaît, c’est que sa présence dans l’espace reste discrète et silencieuse, comme pourrait l’être une image de neige.

Ces derniers temps je travaille aussi le textile, j’ai notamment engagé un processus de broderie sur un grand format, paroi, qui continue d’évoluer et de se remplir depuis 2018. C’est une broderie dite « au poinçon » qui est une technique où le geste est très simple, et qui permet de ne jamais faire de nœuds, le fil et le tissu sont liés par des jeux de tensions. Le fait que rien ne soit noué, et que les fils et le tissu tiennent en équilibre l’un avec l’autre est un aspect qui me plaît beaucoup.

Depuis votre sortie de l’école, sur quels projets marquants avez-vous travaillé ? 

En 2018, l’ÉSACM m’a présentée au jury des Galeries Nomades, pour lesquelles j’ai été sélectionnée. C’est un programme de soutien à la jeune création de l’Institut d’art contemporain de Villeurbanne/Rhône-Alpes, qui m’a permis de réaliser une résidence à Moly-Sabata, une exposition personnelle à l’espace d’art contemporain Les Roches, et d’avoir un très beau texte sur mon travail par Mathilde Villeneuve dans la Belle Revue #9. C’est une expérience importante qui m’a permis de rencontrer des personnes bienveillantes vis à vis de ma pratique. Ces personnes ont suivi une grande partie du processus de travail pour cette exposition, et ça a créé des liens qui continuent à nourrir et influencer mon parcours deux ans plus tard.

D’ailleurs, en ce moment, je suis en train de préparer des projets qui découlent directement de cette expérience. Je prépare une exposition personnelle à l’espace Jean de Joigny, dans l’Yonne, sur l’invitation de Cécile Desbaudard qui a découvert mon travail dans La Belle Revue, ainsi qu’une résidence de production prévue en 2021 sur une invitation de l’IAC, qui continue à suivre mon travail.

En dehors des retombées directes de ces expériences, tout cela m’a aussi permis de vraiment prendre confiance en mon travail et de réussir à construire une pratique professionnelle.

Pouvez-vous nous parler du passage vers l’après-école ? 

À la sortie de l’école en 2015, j’ai commencé par m’assurer un travail alimentaire à La Poste. J’étais alors agent de tri à Lempdes, pendant presqu’un an, et en parallèle je participais à certains projets accompagnés par l’ÉSACM, comme l’exposition des diplômé.e.s, celle des Enfants du Sabbat au centre d’art du Creux de l’Enfer. C’était un moment de mutation et j’avais besoin de m’assurer un début de stabilité financière, que je n’avais pas pendant mes études. Mais cette expérience m’a permis de découvrir le monde du travail industriel, très différent du domaine culturel dans lequel j’avais évolué pendant ces cinq années à l’école.

Avez-vous intégré des processus ou des esthétiques issus du monde industriel dans votre pratique ?

Non, les enjeux du travail en industrie ne sont jamais devenus un sujet en soi dans mon travail, mais la question du geste par exemple, qui était déjà présente dans mon travail d’étudiante, a pris une place différente, devenant un mouvement plus contextualisé, chargé d’une persistance plus laborieuse. Je pense toutefois que cette expérience m’a permis d’influencer ma réflexion sur la question de l’adresse. À qui s’adresse une exposition d’art contemporain ? Sortir d’un contexte où la culture est un enjeu central, pour rencontrer tout un écosystème au sein duquel la culture est parfois vraiment secondaire, m’a permis de prendre le temps de réfléchir à la raison pour laquelle les arts plastiques sont importants pour moi, et ce qu’ils peuvent apporter d’un point de vue culturel et social. Je ne prétends évidemment pas avoir trouvé de réponses à ces questions-là, mais ça me permet au moins de les garder en tête dans les différents projets auxquels je participe, et de porter une attention particulière aux contextes dans lesquels j’inscris mon travail.

Pouvez-vous nous parler de vos engagements associatifs ?

J’ai eu la chance de faire partie d’une association qui s’appelait La Cabine, montée lorsque j’étais encore en 5e année, avec d’autres étudiant.e.s et jeunes diplômé.e.s. Nous avions un local commercial d’une centaine de mètres carrés où nous organisions des événements ponctuels (expositions, concerts, écoutes radiophoniques…), et dans lequel nous nous retrouvions pour travailler. Cet espace a été comme une passerelle entre l’école et la vie professionnelle. J’avais donc toujours un espace où travailler, et je pouvais continuer à partager des envies et des questionnements avec d’autres artistes.

La Cabine a fermé en 2016. L’association était entièrement autofinancée, et au bout de deux ans d’activité, certains membres avaient déménagé, et d’autres commençaient à être sollicités par de nouveaux projets.  Il a donc fallu choisir entre s’impliquer plus sérieusement pour réfléchir à un modèle viable financièrement, ou alors choisir de terminer en beauté cette expérience qui nous avait beaucoup appris à tou.te.s, et passer à autre chose. C’est ce qu’on a fait, et ça a été une belle fête de fermeture. La Cabine nous a permis de vivre une première expérience dans l’organisation d’événements artistiques, et de tisser des liens avec le milieu associatif clermontois.

Suite à ça, j’ai candidaté pour bénéficier d’un espace temporaire au sein de l’association Les Ateliers que j’ai intégrée quelques mois plus tard, ainsi que l’association Non-breaking space, à Clermont-Ferrand.

Non-breaking space a pris en charge la gestion et la programmation de l’espace de la Tôlerie début 2017 et elle a organisé des événements réguliers, tous les jours de pleine lune jusqu’à fin 2019.

L’association Les Ateliers a pour mission de fournir des espaces d’ateliers pour un loyer modique à ses membres et à des artistes du territoire ou d’ailleurs qui voudraient s’installer quelques temps à Clermont-Ferrand. J’y ai mon atelier, et quand je ne suis pas en résidence, j’y travaille de façon quotidienne pour faire évoluer mes travaux et recherches, et préparer les projets d’expositions.

Que retenez-vous de l’apprentissage en école d’art ?

L’apprentissage en école d’art a été assez déstabilisant pour moi au début. Il offre une grande liberté à ses étudiant.e.s., dans le sens où il diffère beaucoup du système universitaire, bien que cette autonomie soit bien sûr progressive, car en première année nous sommes très accompagné.e.s. Mais il m’a fallu beaucoup de temps pour comprendre que c’était à moi de définir ma pratique. Je me souviens que j’ai longtemps produit et présenté des productions qui imitaient et ressemblaient à l’idée que je me faisais d’une exposition, tout en ayant conscience que ça ne fonctionnait évidemment pas. Puis plusieurs expériences au sein de l’école m’ont permis de réévaluer et de décomplexer ma pratique. Je pense notamment au groupe de recherche l’Intercalaire, mis en place par Lina Jabbour, Philippe Eydieu et Julien Sallé, qui explorait la question de la latence et de l’ennui dans une dynamique de travail. Ces moments de partage et ces réflexions m’ont  permis d’accepter et d’intégrer dans mon processus de travail les périodes où les choses ont encore besoin d’infuser, où il n’est pas encore l’heure de les formuler. L’accompagnement pédagogique a aussi été fondamental pour l’évolution de ma pratique, et pour comprendre que les formes plastiques pouvaient être en travail, et surtout qu’elles pouvaient être partagées comme telles. D’ailleurs, cette idée constitue toujours une base solide de mes recherches.

Et aujourd’hui comment vivez-vous ce rapport aux attentes de ce que doit être une « exposition » ?

En fait, j’ai arrêté de réfléchir à ces questions, car je n’ai pas l’impression que ce soit le bon schéma de réflexion. Ce qui me pousse à continuer à produire, ce sont évidemment les questions qui me portent, mais aussi l’envie de partager mon travail. Il est donc forcément influencé, orienté, nourri par les différentes personnes avec qui j’ai le plaisir d’en discuter, qu’ils fassent partie du champ de l’art ou pas. C’est un cheminement dans lequel je ne suis pas du tout seule. Donc pour moi, une exposition, c’est trouver la meilleure façon, formellement, de partager avec les visiteurs des questionnements autour de gestes, de matières, de formes. Des questionnements qui sont évidemment intimement ancrés au sein de préoccupations qui m’appartiennent, comme la question de la persistance, du travail lent, de la non-rentabilité, du végétal…

Et ce rapport au travail, à la latence, comment l’abordez-vous aujourd’hui ?

En tant que jeune artiste, il y a des milliers de façon de s’y prendre pour pouvoir continuer à exercer sa pratique, participer à des projets, rencontrer des personnes qui pourront accompagner le travail, permettre une visibilité. Ça peut être très laborieux parfois. De mon côté, il peut se passer de longues périodes où je ne suis pas du tout productive. D’ailleurs je n’ai pas une pratique très prolifique. Ce rapport à la latence m’a permis d’accepter ça et de ne pas me mettre trop de pression si je ne me sens pas bien dans mon travail, de ne pas forcer une production, et en conséquence, de profiter aussi des moments où je me sens mieux portée par mes réflexions pour passer plus de temps à l’atelier, à expérimenter.

 

Quel regard portez-vous sur ces cinq dernières années ?

J’ai fait beaucoup d’expériences qui m’ont permis de rencontrer des personnes passionnantes depuis ma sortie d’école. Certaines concernent ma pratique, d’autres mon engagement associatif. J’ai eu la chance d’être vite entourée de personnes très bienveillantes au sein des Ateliers et de Non-breaking space, qui m’ont intégrée dans une dynamique de travail, d’échanges, et surtout de partage de connaissances et de conseils sur toutes les choses qui composent le quotidien d’une jeune diplômée (l’échange autour du travail, comment réussir à partager ses préoccupations plastiques, les portfolios et dossiers de candidature, etc.). Ça a beaucoup joué sur ma façon d’appréhender un début de vie professionnelle en tant qu’artiste, et ça m’a permis de me positionner sur des questions de fond comme le travail, l’art et ses modes de diffusion, des questions financières, etc.

Du 19 septembre au 10 octobre 2020, la proposition « C’était peut-être hier » de Marjolaine Turpin sera visible à Off the Rail, au 44 rue du Port, à Clermont-Ferrand. 

https://marjolaineturpin.fr/

 

Portrait de diplômé·es / Florent Poussineau

Florent Poussineau obtient un DNSEP à l’ÉSACM en 2015. Fils de pâtissier, il poursuit ensuite son cursus par une formation Design & Culinaire à l’ESAD de Reims. Aujourd’hui, il est artiste et propose, à travers diverses expositions collectives et personnelles en France et à l’étranger, un travail à la croisée de la performance, la vidéo et l’installation, traversé par des explorations culinaires et un attachement aux métiers de bouche.

Exposition « Esthétique éphémère » à la galerie Premier Regard.

Quels sont vos projets actuels ?

En raison de l’épidémie de COVID-19, mes projets sont quelque peu chamboulés. Ce qui devait être présenté au printemps est déplacé à l’automne ou reporté à l’année prochaine. Ma prochaine exposition personnelle, «Transmission», sera présentée en septembre à la Maison des arts d’Aime, en Savoie. Suivra, de novembre à janvier, une exposition personnelle, « Sensibilité idéale », à l’École municipale des Beaux-Arts de Châteauroux. Puis une résidence au Palais des paris à Tokyo est programmée en début d’année prochaine, ainsi qu’une résidence-mission, organisée par le Centre d’art le Lait, dans le centre pénitencier d’Albi.

Quelles étapes ont le plus compté dans votre parcours ?

Tout a compté. Toutes les étapes méritent de compter, les erreurs comme les réussites, mais avant tout ce sont les rencontres qui m’ont le plus marqué. Une première exposition personnelle dans une galerie est une expérience mémorable, en particulier dans le cas où elle est accueillie à la galerie Tator, à Lyon, où Marie Bassano, Laurent Lucas et Félix Lachaize proposent une programmation d’artistes émergents. J’ai aussi vécu une première exposition personnelle dans une galerie parisienne, grâce à l’accueil de Laurence Fontaine et Laurence Poirel à la galerie Premier Regard. Cette exposition m’a permis de travailler ensuite avec Catherine Baÿ à The Window. Les voyages à l’étranger apportent aussi leur lot d’apprentissage concret du monde artistique. J’ai réalisé une résidence dans le sud du Japon, une autre à Beyrouth, une exposition personnelle dans une galerie new-yorkaise et également une résidence en Hollande. Organisée en collaboration avec Tair-Pair et SIGN à Groningen, cette résidence m’a permis de rencontrer Klaas Koetje (artiste plasticien et dirigeant de SIGN), qui est pour moi un fidèle allié et maître artistique.

Exposition « Générosité égoïste » à la galerie Tator

À quoi ressemble votre quotidien de travail ?

C’est un quotidien changeant qui n’a rien de routinier. Mon travail se divise en plusieurs étapes avec des intensités différentes. Un temps de recherche et d’élaboration de dossiers afin de candidater à différents appels à projets, et un temps de réflexion et création à l’atelier. En ce moment, je suis résident à la Fileuse, une friche artistique à Reims, et ces résidences sont le moment où les pièces pérennes sont mises en forme avant d’être déplacées dans les futures expositions, ou livrées à des collectionneurs. Pour le reste du temps, soit environ la moitié de l’année, je suis en déplacement, dans le cadre de résidences artistiques à l’étranger ou en France, ou pour monter mes expositions. La durée du séjour est souvent plus longue qu’un simple montage car je fais beaucoup de médiation artistique autour de mon travail. Ayant bénéficié d’une formation « culture et santé » organisée par la Direction régionale des affaires cultruelles (DRAC) et l’Agence régionale de santé (ARS), je propose des ateliers à des publics enfants, adolescents et leurs parents, mais également à des résidents d’EPHAD et des personnes en situation de handicap physique et/ou mental.

Cette formation « culture et santé » a-t-elle influencé votre travail ? 

Suite à une résidence-mission, la DRAC et l’ARS ont invité différents acteurs de la médiation artistique à réfléchir ensemble aux questions de l’environnement et de la transmission liées à la santé. Ce n’est pas de l’art-thérapie. Il s’agit simplement d’associer un artiste à une équipe soignante, pour faciliter l’expression et la compréhension artistique. Ces propositions s’adressent à ce que l’on appelle « les publics empêchés » pour lesquels l’accès aux lieux de diffusion de l’art est difficile, voire impossible, pour des raisons physiques, financières ou symboliques.

Ces expériences ont surtout marqué le rapport que j’entretiens à mon travail en me contraignant à en parler différemment, car ce public n’a pas de repères face à l’art contemporain, l’abstraction, la performance, etc. C’est une situation souvent complexe mais ces échanges sont enrichissants pour tous, car ils remettent en question le beau, l’utilité de l’art, la philosophie, l’architecture d’une peinture, etc.

Comment avez-vous commencé à vous intéresser aux enjeux de la médiation ?

Simplement par étapes, d’intervention en intervention, dès le début de mes études en classe prépa où l’on m’a demandé d’intervenir auprès de centres aérés pour réaliser des fresques collectives dans la ville de Châteauroux.

Toutes les galeries et centres d’art ne se trouvent pas dans des grandes villes, et leur but dans ce cas est de rendre accessible la recherche artistique à un plus large public. En zone rurale, il est très facile d’être soutenu et engagé pour ce type d’actions. Dans les grandes villes, les préoccupations vont être de démocratiser l’art, à des endroits où il est parfois resté élitiste.

Comment s’est passée pour vous la transition entre le diplôme et la vie professionnelle ?

Plutôt simple à dire, moins à réaliser. Il faut utiliser l’environnement offert par une école pour un début de carrière artistique. L’école est d’abord un lieu d’apprentissage, mais les personnes qui la composent font partie d’un réseau qui permet de provoquer des opportunités et des rencontres. Pendant les études, il faut se rendre aux vernissages, aller voir des expositions, visiter des ateliers. Il faut pleinement tirer parti des opportunités offertes à un.e jeune étudiant.e. Suite au DNSEP à l’ÉSACM, j’ai consacré une année à travailler sur un dossier de candidature pour le post-diplôme Design & Culinaire à l’ESAD de Reims. Parallèlement je partageais l’atelier de Corentin Massaux aux Ateliers du Brézet et je montrais le résultat de ce travail à La Cabine (espace de monstration et atelier à Clermont-Ferrand, fermé depuis). À la fin du post-diplôme, j’ai intégré la pépinière de l’ESAD de Reims et j’ai quitté mon emploi alimentaire pour prendre le risque de vivre du métier pour lequel j’ai fait six années d’études.

En quoi votre activité fait écho ou non à votre parcours et à vos choix lorsque vous étiez étudiant à l’ÉSACM ?

Mon activité professionnelle est intimement liée à cette école. J’espère que c’est toujours le cas. Lorsque j’étais étudiant à l’ÉSACM, il était possible pour des personnes qui n’avaient pas le baccalauréat de pouvoir intégrer le cursus. Ayant arrêté mes études à 15 ans, les Beaux-Arts ont été une véritable opportunité. Grâce à une dérogation accordée par Muriel Lepage, la directrice en 2010, j’ai pu présenter le concours et faire des études supérieures.

C’est durant la troisièmes année aux Beaux-Arts que mes premières recherches artistiques liées au domaine culinaire se sont développées, pendant un cours de volume dispensé par Roland Cognet et Stéphane Tidet. Puis le budget qui nous était alloué  pour le DNAP (aujourd’hui le DNA, Diplôme national d’art, Ndlr) m’a permis de créer dans l’atelier volume deux colonnes d’éclairs au chocolat, avec 500 éclairs pour la première et 1000 pour la seconde.

 

Quel est le rôle d’un artiste pour vous ?

Un artiste plasticien met en forme, plastiquement, une recherche philosophique, poétique ou une pensée. À la manière d’un chercheur ou d’un scientifique, il doit avoir une bonne connaissance des travaux réalisés précédemment par ses pairs, pour tenter de faire évoluer l’art, de le transmettre au plus grand nombre. Le métier d’artiste plasticien est complexe et demande beaucoup d’énergie, mais désormais je ne peux et ne veux plus rien faire d’autre.

Quels sont vos projets pour la suite ?

Les envies sont variées. Ma préoccupation première est de continuer à produire une recherche artistique intéressante, continuer à rencontrer des personnes passionnantes et d’en apprendre plus sur les interactions sociales à travers le monde. En ce qui concerne les projets qui arriveront dans les prochaines années, il y a l’envie grandissante de devenir professeur en école d’art, et une série d’ouvrages en cours de rédaction. Ce ne sont pas les idées qui manquent et certaines envies qui deviennent concrètes procurent beaucoup d’émotions.

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Portrait de diplômé·es / Golnaz Payani

Golnaz Payani est née à Téhéran en 1986. Après une Licence en peinture obtenue à la Faculté d’art et d’architecture de Téhéran, elle entre à l’ÉSACM où elle obtient le DNSEP en 2013. Elle participe à des expositions personnelles ou collectives depuis 2011, en France (Paris, Clermont-Ferrand, Thiers, Toulouse, Châteauroux, Annemasse, Chanonat, Grenoble) et à l’étranger (Téhéran, Londres, New York, Turin).

Installée en France depuis 2009, elle développe une pratique ouverte où des médiums variés sont sollicités : film, vidéo, travaux sur tissus, installation, céramique, poésie.

Vue de l’exposition L’ombre des oasis, de Golnaz Payani à la galerie Praz-Delavallade Paris, du 14 novembre 2019 au 11 janvier 2020.

Quels sont vos projets ?

Ma première exposition personnelle à la galerie Praz-Delavallade à Paris s’est terminée début janvier. Cette galerie me représente depuis 2019. Je participe à une exposition collective en ce moment à la Manufacture, le musée de la broderie à Roubaix. Les autres projets sont suspendus à cause de la situation sanitaire actuelle.

Que vous a apporté cette première exposition personnelle ?

C’était une superbe expérience à plusieurs points de vue. J’ai bénéficié d’un vrai soutien de la part de presse, avec des articles dans Le Quotidien de l’art, Artforum, La République de l’art etc. J’aurais aimé faire plus de rencontres et avoir l’occasion d’échanger davantage avec les visiteurs, mais malheureusement cela n’a pas été possible à cause de la grève des transports qui a eu lieu pendant mon exposition.

Comment avez-vous été approchée par la galerie Praz-Delavallade ? À quelle occasion ces professionnels ont-ils découvert votre travail ?

En 2016, j’ai été sélectionnée pour participer au Salon de Montrouge, au Beffroi. Une exposition annuelle collective qui présente de jeunes artistes. C’est une exposition très importante, car elle est visitée par des professionnels du milieu de l’art contemporain, des galeristes et des collectionneurs. J’ai rencontré René-Julien Praz et Bruno Delavallade pour la première fois lors du vernissage de cette exposition. Nous avons échangé quelques mots et nos coordonnées.
Suite à cette rencontre, ils sont venus visiter mon atelier, et ils ont apprécié mon travail. Nous avons gardé contact et pendant deux ans ils m’ont régulièrement invitée aux vernissages des expositions organisées dans leur galerie. De mon côté je les invitais également à mes expositions. Puis en 2018 ils m’ont proposé de participer à une exposition collective dans leur galerie. Depuis nous travaillons ensemble.


Pouvez-vous nous parler de la relation entre un artiste et sa galerie ?

Comme dans beaucoup d’autres activités artistiques, ces types de coopération ne sont pas basées sur des lois écrites. Donc la relation d’un artiste avec sa galerie dépend avant tout des personnes. J’ai participé à quatre expositions avec cette galerie : deux collectives à Paris, une à Los Angeles, et une exposition personnelle à Paris. À chaque fois nous nous sommes très bien entendus, avec René-Julien Praz, Bruno Delavallade, et toute l’équipe de la galerie. Nous avons une belle relation professionnelle, amicale et courtoise.

Golnaz Payani à la galerie Praz-Delavallde en novembre 2019, en train de préparer l’exposition.
Oasis, 40 x 30 x 5 cm, papier, 2015.

À quoi ressemble votre quotidien de travail ?

Mon quotidien de travail ressemble exactement au confinement. Ce n’est sans doute pas le cas de tout le monde, mais pour moi c’est un métier solitaire. Parfois je ne vois personnes pendant plusieurs jours.
Je vais presque tous les jours à l’atelier, qui est en face de mon appartement, et j’y passe 7 à 8 heures par jour. À l’atelier, je travaille parfois à la mise en forme d’une idée, à des projets personnels pour lesquels je n’ai pas de date de présentation, mais qui font partie de mes recherches. Il y a donc souvent une part d’expérimentation dans ces projets. Parfois, je travaille sur un projet précis et concret, comme pour préparer une exposition. Mais il arrive aussi que pendant plusieurs jours je ne fasse qu’écrire des projets, des lettres de motivation et des dossiers de candidature.

L’atelier actuel de Golnaz Payani à Torcy

Pouvez-vous nous parler de l’après-école ? 

La transition pour moi s’est très bien passée.  J’ai eu la chance d’être soutenue par quatre organismes qui proposaient des appels à participation pour des expositions collectives réservées aux diplômés. Ces expositions ont été organisées à l’ÉSACM (Les  XV de France, Clermont-Ferrand, 2013), au BBB (Première, Toulouse, 2014), au Creux de L’enfer (Les enfants du Sabbat n°15, Thiers, 2014) et à Chanonat (Tropisme(S) #5, 2014).

Ces expositions m’ont permis de rencontrer des gens et de développer mon réseau professionnel. Mais ce qui m’a le plus accompagné dans cette progression, c’est ma motivation. Car il y a eu aussi des périodes creuses. Mais cela ne m’a pas empêché de continuer mon travail et de postuler à des projets d’expositions. C’est ce qui m’a permis de garder le moteur toujours allumé !
Bien entendu, même la meilleure volonté du monde ne suffit pas à payer les loyers parisiens ! J’ai aussi eu des jobs alimentaires.

Quels sont les liens entre votre pratique actuelle et votre parcours d’étudiante à l’école ?

Mon parcours est très cohérent avec la pratique que je développais à l’école. Je travaille sur les mêmes thématiques, je suis la même personne, avec la même volonté, les mêmes centres d’intérêts, les mêmes interrogations, mais avec sept ans d’expériences supplémentaires.

À mon avis, faire une école d’art est très important, voir primordial lorsque l’on a réellement la volonté d’exercer le métier d’artiste. Il y a beaucoup de débats à ce sujet, pour certains l’art ne s’apprend pas ! Mais selon moi, dans une école d’art nous apprenons surtout deux choses : à se situer dans l’histoire de l’art, et à se connaître, c’est-à-dire à comprendre de quoi nous avons besoin dans notre atelier, ce que nous pouvons faire lorsque nous n’avons plus d’idée, comment gérer le stress face aux présentations, etc. L’école est un plus, qui nous maintient sur les rails en même temps qu’elle accélère notre carrière.

Paysage avec du violet, vidéo, 15’27 », 2018. ( Conteur : Michel Cegarra. Musique : Nicolas Laferrerie)

Qu’est-ce qu’être artiste ?

Être artiste pour moi est un mode de vie. Celui qui me permet de rester curieuse. C’est comme un livre ouvert qui ne se ferme jamais. Mais cette ouverture à l’infini, si elle n’est pas pleinement consciente, peut devenir douloureuse. Pour la majorité des métiers, les gens candidatent pour un poste. Ils écrivent une lettre de motivation et un curriculum, et au bout de plusieurs essais, ils décrochent un travail. Le métier d’artiste ne permet pas de s’arrêter au bout de quelques essais. Le rapport au travail ne tend pas vers l’obtention d’un emploi, vers la stabilité. Il se renouvelle en permanence. C’est comme préparer une grande fête. C’est génial, excitant, enthousiasmant, mais il faut beaucoup d’énergie, de courage et d’ambition, avec le risque d’organiser beaucoup de fêtes ratées avant d’en réussir vraiment une.

Quels sont vos projets pour la suite ?

Travailler à l’atelier, répondre à des appels à projets, agrandir mon réseau, changer l’échelle de mon travail, trouver une résidence aux Etat-Unis, lire les livres de Didi-Huberman, connaitre mieux Derrida et son idée de la « déconstruction » … continuer à être curieuse!

Golnazpayani.com

Le cercle et la forêt, 90 x 64 cm, Tissu et bois, 2019