Portrait ancienne étudiante / Marina Guyot

Marina Guyot est plasticienne et créatrice textile et de bijoux. Elle a obtenu son DSNEP en 2014 à l’ÉSACM, après un passage à l’école des beaux arts de Nîmes. Lauréate du programme Bains d’Huile, elle occupe un des 3 ateliers-logements mis à disposition de la Ville de Clermont, depuis 2022.

Le scolopendre, 2024

Quel a été ton parcours à l’école ?

J’ai fait mes deux premières années de Beaux-Arts à Nîmes, puis je suis arrivée à l’ÉSACM en troisième année. J’ai commencé à développer assez tôt des questionnements autour de l’aménagement de l’espace, de l’urbanisme. Ça a commencé par des photos de lotissements, dans le village de mes parents, reporter des parcelles, puis j’ai commencé à dessiner, de façon de plus en plus abstraite, pour aboutir à des quadrillages, qui ne me quittent plus depuis, et résonnent avec mon travail de tissage. Je me suis intéressée à la répétition du geste, aux cycles perpétuels, au préfabriqué, au monde du bâtiment.

Après le diplôme j’ai intégré la Coopérative de recherche pendant un an, à partir de septembre 2014 et les Ateliers du Brézet en avril 2015. J’ai pu travailler là-bas pendant plusieurs sessions de 3 mois, soit dans un atelier seule soit partagé avec Zohreh Zavareh ou Claire Goncalves (nous étions dans la même promo aux Beaux-Arts). Ensuite nous avons cherché un autre atelier avec Claire et nous nous sommes installées rue de l’Abbé Girard (début 2016) dans l’ancien espace d’exposition d’Artistes en résidence, avec une 3ème personne qui a changé au cours du temps (Louma Morelière, Samira Ahmadi Ghotbi, Clara Puleio). Cet atelier disposait d’un tout petit espace de travail de 15m carré avec un espace de stockage. C’était assez peu cher car géré par l’Ophis, mais pas du tout entretenu (pas d’eau chaude, pas de chauffage fixe et une porte qui laisse passer l’eau en cas d’orage). Mais il était situé en centre-ville et ça m’a permis de faire les premiers essais d’ouverture d’atelier lorsque j’ai commencé à fabriquer des bijoux. On y a aussi organisé quelques expositions.

Tu postules au programme d’ateliers logements des ateliers Bains d’Huile en 2022, et fais partie des 3 artistes sélectionné·es pour 3 ans.

J’ai postulé à ce programme pour bénéficier d’un atelier un peu plus grand. On était 3 à se partager l’espace rue de l’Abbé Girard à ce moment-là, et je commençais à être limitée dans ma pratique pour cette raison. J’avais le projet de travailler le tissage. Arrivée ici (au 18 rue de l’Oratoire), j’ai pu installer deux métiers à tisser, dont un qui permet de faire de grands formats, que j’ai simplement trouvé sur Leboncoin. Il a fallu apprendre, trouver comment le remonter, faire tous les réglages, et se lancer.

Comment as-tu amorcé cette pratique textile ?

J’ai découvert LAINAMAC, à Felletin, un centre de formation près d’Aubusson qui revalorise la filière laine dans le Massif Central. Chaque année LAINAMAC organise Les journées de la laine. J’ai rejoint une de leurs formations en tissage en 2021.  Ça durait un mois. Au bout d’une semaine j’avais déjà largement les bases, mais au départ c’est une pratique assez paralysante de par le nombre de réalisations possibles ne serait-ce qu’avec deux couleurs de fil. Je passe beaucoup de temps à faire des tests. Par exemple ces derniers temps j’ai fait des planches de motifs. Je passe d’abord par le dessin, au crayon à papier. Je visualise mieux en noir et banc. Et puis ensuite je fais des échantillons. Quand tu croises des fils, ça donne des effets de couleurs qui peuvent être soit très beaux soit complètement éteins, et c’est difficile à anticiper. J’utilise un logiciel qui s’appel Bronze, pour tester les associations de couleurs et motifs une fois mêlés, et aiguiller mes tests.

Tu as aussi monté une marque de bijoux qui s’appelle Tatami, tu peux m’en parler ?

J’ai commencé à créer des bijoux en 2019.  Au début, ce n’était pas très probant. Je me rendais compte qu’il fallait composer avec des contraintes techniques particulières puisqu’on est sur un objet porté à même la peau. Il ne fallait pas que ce soit irritant, pas que ça se prenne dans un pull. Je ne travaille désormais que le laiton, dont je teste encore différentes épaisseurs. Finalement, je revenais à mon travail de dessin, autour de la ligne et la surface.

Pour l’instant je fabrique tout à froid, donc le matériel est assez limité : pinces, limes, un dremel pour les découpes et perçages, un marteau et une petite enclume pour le martelage. Il n’y a pas de soudure, ce qui m’oblige à trouver des astuces pour que les parties tiennent entres elles. J’aime bien les moments de recherches pour des pièces un peu compliquées où il faut trouver le meilleur moyen d’assemblage et faire en sorte que l’objet soit portable (question de poids, d’équilibre, de toucher, etc.)

Je viens d’acheter une mini fonderie, à l’origine pour un moulage pour une expo qui court en ce moment, mais il se peut qu’à l’avenir elle me serve aussi pour réaliser des pièces de bijoux avec les chutes de laiton.

Tatami, autant avec les bijoux et le tissage, me permet aussi de générer un revenu annexe. Je produis des pièces en prévision des marchés de créateurs auxquels je participe, l’été, et dans le cadre de marchés de Noël aussi.

Beaucoup de gens me conseillent de vendre mes pièces par instagram ou internet. Mais d’abord je n’ai pas instagram. Et je préfère travailler avec une échéance, en prenant de l’avance et prévoyant du stock, plutôt qu’en flux tendu pour vendre à tout moment.

J’ai toujours eu plusieurs jobs. J’ai fait de l’intérim pendant un temps. En arrivant à Bains d’huile, j’ai cherché à avoir une activité qui assure un fixe tous les mois, donc je travaille dans un lycée 2 nuits par semaine, ce qui me laisse du temps pour travailler le reste.

Qu’as tu développé grâce à cet atelier cette dernière année et demi ?

J’ai postulé à Bains d’huile pour mon projet de tissage. Là je suis à mi-parcours et je trouve que je n’ai pas assez travaillé le textile. Mais finalement j’ai développé plusieurs projets en collaborations, j’ai travaillé avec différentes personnes. Par exemple récemment j’ai travaillé à une série de kimonos avec Julie Kieffer, qui est plasticienne. J’ai réalisé des pièces tissées qu’elle est venue assembler. On a aussi travaillé ensemble sur un projet de bijoux en résine d’après un moule qu’elle avait réalisé pour une pièce en bronze, un pantalon de motocross.

J’ai aussi travaillé avec l’illustratrice et céramiste Cécile Gambini, qui m’a proposé des éléments en porcelaine que j’ai bricolé pour faire des bijoux. Elle les expose et les met en vente dans son atelier boutique (2 rue Blaise Pascal).

Et puis dans les projets plus « plastiques », j’ai des pièces exposées en ce moment chez le plasticien Hervé Bréhier, dans le cadre de l’exposition « Burnt » de Home Alone, jusqu’au 30 juin 2024. Elle a lieu à Bonnabaud (Saint-Pierre-le-Chastel). L’espace en question est une ancienne pièce d’habitation où l’on voit les traces d’une cheminée (suie, etc) qui a été le point de départ pour la construction de l’exposition.

Avec cette expo on est plus sur des formes qui puissent créer un lien entre elles, et générer un propos. Les bijoux et le tissage sont des objets du quotidien on va dire. Parfois je passe même plus de temps sur ces objets-là. J’ai surtout toujours aimé faire des choses manuelles, bricoler.

Tu fais aussi partie du duo Mezzanine.

Mezzanine c’est un duo qu’on porte avec David Blasco. À la base on avait un projet d’édition, sur lequel on travaille encore.

Dernièrement on a été sélectionnés par la programmation des Arts en Balade pour réaliser un projet éphémère qu’on a appelé « Ici prochainement », au 122 rue de la République, sur le mur extérieur d’une parcelle qui est en cours de destruction. Un projet pour lequel on a eu tout à faire en un mois.

À la rentrée on interviendra dans un collège de Nevers, en partenariat avec le Parc Saint-Léger, Centre d’art de Pougues, sur un projet d’affiches entre espace et architecture.

marinaguyot.wixsite.com

Portrait ancien étudiant / Clément Murin

Clément Murin a été diplômé du DNSEP à l’ÉSACM en 2012.
Pendant sa formation il développe une pratique du volume, tout en poursuivant en parallèle une pratique de l’illustration. Aujourd’hui il vit et travaille depuis Clermont-Ferrand sur divers projets liés à la calligraphie, la typographie, l’illustration, la scénographie et les arts imprimés, avec des partenaires comme Vuitton, Saint Laurent, Hermès, RadioFrance, Institut Français de la mode, Netflix, Le slip Français ou encore Saint Laurent et Dior.

– Sur votre site vous êtes identifié comme un « créatif », pouvez-vous nous donner une idée du faisceau de vos activités ?

Mes pratiques sont en effet assez variées, c’est une volonté que j’ai toujours eu pour ne pas m’ennuyer et ne jamais faire les même choses.
Mes projets actuels sont principalement en direction artistique / graphisme / calligraphie & illustration, mais j’ai navigué dans différents autres domaines comme : le design textile (dessins de motifs), le décor de cinéma (fresques ou graphisme), la peinture en lettres, l’édition, le web design ou la sérigraphie.

Et en effet aujourd’hui encore c’est assez problématique pour moi de me définir avec toutes ces pratiques, le terme « créatif » est un peu un adjectif par défaut, par dépit de ne pas trouver de terme adéquat qui me convienne , le terme de « designer » ne m’a jamais emballé car fourre-tout et peu clair, « graphiste » un peu trop limitatif de mes pratiques, et « artiste » je l’associe à un peintre, sculpteur, photographe etc. qui vend ses œuvres et ne fait pas de commandes ou de prestations.

– Pour revenir un peu en arrière, pouvez-vous me parler de la raison pour laquelle vous avez souhaité entrer en école d’art ?

Honnêtement, je suis rentré à l’ÉSACM à la sortie du lycée à 17 ans, et je pense que j’étais très jeune pour avoir une vision définie et mature d’un parcours quel qu’il eût été. Je pense que j’ai voulu rentrer en école d’art pour me perfectionner techniquement dans le spectre des pratiques artistiques. Il s’avère que cela n’a pas du tout été le cas à mes yeux, et j’ai souffert d’un manque d’apprentissage technique duquel moi et d’autres élèves étaient très demandeur·euses. C’était peut-être une fausse idée de l’enseignement d’une école d’art ou bien une spécificité qui dépend de l’école vers laquelle on se tourne en France. J’avais en tête l’imaginaire collectif ancien du Maître dans sa pratique qui enseigne ses techniques d’érudit pour que l’on puisse nous perfectionner et les réinvestir dans nos projets.

Mais je définirais plutôt l’ÉSACM (de mon époque) comme une école de la pensée artistique, qui développe la manière de réfléchir autour d’une œuvre, faire ses recherches et défendre son point de vue ; la technique quant a elle doit être apprise majoritairement en autodidacte sur le tas. Il est alors plus compliqué de créer et de se projeter dans des projets quand on n’a pas les connaissances pratiques pour faire (souder, tendre une toile, peindre à l’huile etc.).
En revanche cela m’a appris à me débrouiller pour trouver des solutions aux problèmes que je rencontre, peut-être parfois plus bancales mais qui fonctionnent. C’est ce qui m’a aussi amené à diversifier mes pratiques sans la peur de ne pas savoir faire, car je pouvais toujours apprendre à faire.

– Quelle était la nature de votre travail dans l’école ? Qu’est ce qui a marqué votre pratique actuelle ?

À partir de la fin de 3e année je me suis spécialisé dans une pratique de la sculpture à base d’assemblage de bois, métal et verre, évoquant des reliques de structures architecturales. Cette pratique est née de recherches de petites maquettes de papier et de balsa que je réalisais ensuite à plus grande échelle si la construction paraissait viable. L’idée d’en faire des formats monumentaux n’est venue que dans un second temps de ce qui n’était que des expérimentations à l’image d’un jeu de construction, avant d’y trouver un fil rouge de sujet de créations multiples qui faisait sens.

Ma pratique actuelle est constamment impactée par mon apprentissage à l’école, majoritairement intellectuellement où je pense que l’école d’art amène à traiter tout projet avec un regard transversal, qui peut amener à des propositions originales hors des sentiers battus. Cela peut plaire sur des projets créatifs mais m’a aussi desservi lorsque je montrais mon portfolio aux agences de graphisme/communication où la majorité de leurs projets sont plus corporate et où le profil trop créatif effraie, j’imagine par peur d’un manque de réalisme dans les réalisations.

– Aujourd’hui vous travaillez dans des domaines très différents notamment liés au graphisme, au design, etc. Comment avez-vous développé cette pratique dans une école d’art option art ?

Ces pratiques graphiques diverses étaient en effet déjà un peu présentes lorsque j’étais à l’école. L’illustration notamment, a été assez vite été refoulée par le corps enseignant car elle n’avait pas sa place pour eux dans une école option art (c’est en tout cas mon ressenti). Je peux le comprendre mais c’est dommage car cette appétence pour l’illustration aurait pu être encouragée et reconnue pour sa valeur artistique. Il s’avère que j’ai continué de mon côté pour mon plaisir en dehors du cadre de l’école, telle une activité parallèle de débouchés potentiels, ce qui m’a permis de me faire la main pour ensuite participer à des concours (Hermès) ou des appels à candidature (Robinson-les-Bains, Chromatic Festival) qui m’ont fait rentrer dans le monde de la mode.

– Pouvez vous nous parler de vos projets de calligraphie ?

À l’école je m’étais beaucoup penché sur les mots, leurs sens et perception, pour mon diplôme de 3e année j’avais présenté mes premières sculptures tautologiques à base de mots. L’idée étant de représenter le mot physiquement et que sa représentation emphase sur tout ce qu’évoque ce mot – par exemple avec « ICE » rappelant formellement un iceberg abstrait fait à base d’une plaque de métal pliée peinte en blanc et bleu ciel ou « KLANG » l’onomatopée évoquant le bruit du métal frappé, comme extrudée du sol, en métal peint en vert de gris tel les toits parisiens fait de cuivre. Mon mémoire traitait des enseignes et l’affiche publicitaire dans l’art contemporain, et mon DNSEP imaginait des structures architecturales évoquant les panneaux publicitaires évidés de leurs affiches et donc messages, laissant à voir ce qui se trouve derrière les images. En soi le travail autour de la lettre me trotte depuis longtemps dans la tête.

La calligraphie est un développement de ma pratique du dessin. J’ai découvert une complexité de construction et de justesse très exigeante dans le dessin de lettres : un nouveau challenge. Cela venait compléter un travail d’illustration où dessin et typographie/ calligraphie étaient complémentaires. Je ne me suis professionnalisé que bien plus tard, autour de 2016 lorsque j’ai déménagé à Montreuil pour me rapprocher de l’effervescence artistique. Sur place j’ai rapidement été confronté au coûts de la vie parisienne et que les opportunités artistiques ne tombaient pas forcément du ciel si facilement, surtout en ayant une personnalité plutôt réservée comme la mienne. Je suis tombé sur une annonce d’agence à la recherche de calligraphes freelance, à laquelle j’ai postulé alors que je ne maîtrisais pas tellement le sujet. Mais en m’entrainant quelques semaines/mois j’ai pu être opérationnel pour partir en mission chez les premiers clients ou à l’agence pour écrire des dizaines ou centaines de cartons, enveloppes, sitting cards, etc. Depuis je ne travaille plus qu’occasionnellement avec les agences où les conditions de travail ne sont pas très équitables pour le calligraphe. Je me suis fait mon portefeuille de clients en direct qui font confiance à mon travail pour leur défilé ou évènements.

C’est dans les faits un travail peu créatif qui demande de ré-écrire des pages de tableaux Excel de listings de noms mais dans un milieu privilégié qui estime la belle écriture, je me sens plus artisan qu’artiste sur cette pratique.

– Vous avez aussi été amené à concevoir des motifs pour de nombreuses marques de textile, notamment Rue Begand, Le Slip français ou encore Hermès, quel est votre processus de travail sur ce type de projet ?

La conception de motifs textiles est pour moi un travail d’illustration au même titre qu’une affiche ou une couverture de livre mais devant s’adapter aux contraintes propres au support textile (raccords du motif, gammes colorées textile, trame du tissu etc.)
Le processus est un travail de commande où soit on me donne un thème général dans lequel j’ai carte blanche, je fais mes recherches d’idées de motifs que je propose au directeur artistique qui choisit sa sélection que je peux retravailler ensuite, soit le DA a une idée précise de visuels et on travaille ensemble pour que j’illustre avec ma patte les idées qu’il a en tête.
Je peux autant travailler en illustration digitale qu’en illustration traditionnelle ou en collage numérique intégrant des gravures de la Renaissance ou d’atlas animaliers.
Le déroulement est généralement assez long et les motifs sont souvent créés un an avant la sortie réelle dans les collections, et c’est toujours plaisant de voir un produit fini physique avec ses créations sortir d’un atelier de confection.

– Comment ces marques (LVMH, Netflix, etc), qui sont des entreprises d’une autre échelle, arrivent-elles jusqu’à vous ? En temps que créateur quels sont les leviers que vous avez activé pour faire connaitre votre travail ?

En réalité je pense avoir eu une grande partie de chance dans mes rencontres et opportunités, ce qui ne dénigre pas le travail que j’y ai mis depuis toutes ces années, c’est un mélange des deux qui fait mon parcours. Je suis très mauvais côté relationnel et commercial et je n’ai jamais su me vendre ou démarcher proprement. Les projets sont souvent venues à moi naturellement petit à petit.
Pour les marques dans la mode et le luxe, ce sont des clients pour lesquels j’ai travaillé d’abord en agence et qui ont pu me rappeler après. Un réseau se créer sur le temps long et la confiance vient ensuite quand les projets se passent bien. Ceci dit dans ces milieux rien n’est jamais acquis, le comportement et le travail doivent toujours être exemplaires et compétitifs au niveau des tarifs, malgré les moyens dont disposent ces entreprises.

Pour les travaux de décors pour le cinéma et les séries, c’est l’heureux hasard d’un copain qui était en école d’architecture (en face de l’ESACM à l’époque) qui a bifurqué dans la déco et qui des années après l’école m’a proposé de participer à plusieurs projets très chouettes, on ne peut pas du tout prévoir quelles rencontres passées vont amener à des débouchés à l’avenir. J’ai aussi souvent essayé de rencarder des amis sur des projets que je voyais passer lorsque je les pensais compétents, c’est un échange de bons procédés qui tire tout le monde vers le haut si on essaye de s’entraider.

Donc je n’ai pas tant de leviers, c’est surtout maintenant mon réseau qui me ramène des projet. Je suis encore aujourd’hui en recherche pour améliorer ma visibilité pas excellente, je mise sur Instagram comme vitrine et depuis 1 an ou 2 je commence à avoir des personnes ou entreprises qui me contacte depuis mon site internet.

– En parallèle vous gardez sur certains projets une approche plasticienne, par exemple avec cette installation à la cité de la Mode pour le festival Chromatic en 2015. Est-il difficile ou au contraire naturel d’évoluer avec des pratiques plurielles ?

En effet, cette année j’ai été invité à participer à l’exposition « Anatomie du Labo » qui propose à des artistes de faire une œuvre en rapport à un court-métrage pendant la période du festival, j’ai été très content de pouvoir re-produire dans un cadre artistique sans la contrainte d’un client. Mais ce travail je n’arrive pas vraiment à le faire tout seul lorsque j’ai des creux entre 2 projets pro, sans cadre précis auquel je me suis habitué, je me perds dans mes idées et mes pratiques diverses et n’arrive pas à aboutir à des créations qui me satisfassent. J’ai aussi un degré d’exigence très élevé avec moi-même et j’estime devoir sortir des projets « parfaits » au vu de mon expérience et je me met une certaine pression de productivité qui est aussi symptomatique de la société aujourd’hui.

Dans l’idéal je souhaiterais vraiment trouver une forme artistique qui mêle les différents médiums que je pratique et pourquoi pas partager mon temps à 50/50 entre créations personnelles et travail de commande, c’est encore un axe d’amélioration auquel j’aspire.

– Sur quoi travaillez-vous actuellement ?

Je travaille actuellement sur la refonte de l’identité visuelle de Maison Vieillard, un chocolatier historique de Clermont datant de 1781. Mi-juin je calligraphie pour le défilé Dior Homme pour la collection été 2025, et normalement un déplacement pour un défilé croisière à Hong Kong avec eux se profile également dans le courant d’année. Autrement je travaille sur des recherches pour des projets personnels de sérigraphie et de linogravure. J’ai peu de visibilité à moyen terme sur le travail dans les mois à venir, c’est un des défauts du métier où il est assez dur de se projeter à long terme.

  Je suis aussi membre à l’atelier Amicale Graphique, qui est mon bureau au quotidien, c’est un regroupement de free-lance/graphistes où nous produisons aussi de la sérigraphie, gravure, letterpress et céramique, et nous  visons à developper plus de projets communs d’arts graphiques et d’expositions collectives.

https://clementmurin.com/work

Portrait ancien étudiant / Anthony Duranthon

Anthony Duranthon a été diplômé du DNSEP en 2009. Entre photographie et peinture, il travaille à des objets hybrides qui questionnent les notions d’identité, de généalogie, travaille le corps comme motif. Après son DNSEP il ajoute à son bagage un Diplôme Universitaire en Art Thérapie qui le conduit à travailler avec des adolescent·es hospitalisé·es en centres médico psychologiques, ou des adultes touchés par des lésions cérébrales. Un parcours qui entremêle pratique artistique, transmission, et métiers du soin.

 

Quelles étaient tes attentes quand tu as intégré l’école d’art ?

Je suis passé par les Beaux-Arts de Lyon avant d’intégrer l’école de Clermont. La première année de Beaux-Arts à Lyon ça a été comme une classe prépa pour moi. J’ai découvert les techniques, touché un peu à tout. Je savais que j’étais intéressé par le fait de travailler dans ce corpus de métiers, de travailler avec l’image. L’art est communicatif. J’avais l’idée de travailler au contact de tout ça.

Je ne suis pas issu d’une famille très axée sur la culture, mais au lycée je suivais une option arts plastiques. Et à ce moment-là je travaillais déjà des portraits, j’explorais la peinture, la gravure, la photo, la sérigraphie. Une fois dans l’école j’ai beaucoup travaillé au contact d’enseignant·es comme Christelle Familiari, qui avait une pratique de la vidéo, la performance, le corps/action ; mais aussi Jean Nanni, peintre ; et Christophe Cuzin qui pratiquait la peinture espace. Jean Nanni par exemple m’a amené à considérer les encres, et les travailler en transparence. Il me manque des savoirs faire techniques, mais j’ai pu développer et formuler ma démarche en tant qu’artiste.

Tu ne t’es pas arrêté au DNSEP ?

J’ai enchaîné avec une formation en Art thérapie, un Diplôme Universitaire qui était délivré par l’Université de Médecine de Grenoble. Dans ce cadre-là je me suis retrouvé à faire un stage au centre médico psychologique de Clermont-Ferrand auprès d’adolescent·es hospitalisé·es. Ces patient·es vivaient des situations marquées par des questions d’identité, qui sont des questions qui traversaient aussi mon travail plastique. J’ai aussi travaillé à l’Hôpital Sainte-Marie à Clermont-Ferrand, et auprès de personnes cérébro-lésées. Après ces expériences-là je suis reparti à Lyon, et j’ai essayé de combiner l’art et le soin. J’ai suivi une formation pour être AESH (accompagnants d’élèves en situation de handicap) dans une école lyonnaise, et intégré le Centre social pour proposer de l’aide aux devoirs à de nouvelles·aux arrivant·es. Ces expériences-là faisaient encore partie de mon apprentissage. Jusqu’ici j’ai beaucoup travaillé avec le jeune public. Dans l’avenir j’aimerais me rapprocher des EHPAD et travailler autour de la mémoire. Je pense à créer une sorte de dispositif mobile qui permettent à ces personnes d’expérimenter le cyanotype, car ce processus ne demande aucune compétence préalable.

Depuis 2022 tu as intégré les ateliers Bains d’Huile, un dispositif d’ateliers-logements proposé par la Ville de Clermont dans le cadre d’un partenariat avec l’OPHIS. La ville prend en charge une partie du loyer, avec l’idée de garder sur le territoire des artistes qui contribuent à la création contemporaine. Peux-tu nous en parler ?

J’ai candidaté trois fois avant d’être sélectionné. Les ateliers Bains d’Huile mettent à disposition ces ateliers logements pour 3 artistes et pour 3 ans. On a chacun un espace dédié à notre pratique. Pour moi, intégrer les ateliers ça représente un engagement. J’ai quitté Lyon, mis de côté mes activités professionnelles autres, un certain confort financier, et je vois ça comme une période d’expérimentation. C’est un gros coup de boost pour ma pratique. Je n’ai pas encore fait tout ce que j’aurais aimé faire pendant cette expérience. Sur la dernière année qui me reste, je lève le pied sur les appels à candidature et je vais vraiment me consacrer à la création.

Pour financer mon matériel j’ai accepté plusieurs contrats et vacations, et je m’étais dit que je ne voulais travailler que dans le milieu de la culture. Donc j’ai proposé des ateliers, contribué à des mises en espace d’expositions, fait du gardiennage d’expo, et là aussi d’une certaine façon je suis encore en formation. J’apprends du travail des autres. J’ai pu travailler avec l’ITSRA (l’Institut du Travail Social de la Région Auvergne), et proposé des ateliers à Mille formes par exemple. Ces expériences nourrissent aussi mes sujets de peinture, et leur accessibilité.

Tu travailles la peinture, en lien avec la photographie. Peux-tu nous parler de ta pratique ?

La photo pour moi c’est un outil, jamais une fin en soi. J’ai besoin qu’il y ait un geste, un ajout qui soit manuel. Retravailler, redigérer ces images, à ma façon. Je travaille sur toile, sur papier, en couleur ou en noir et blanc, j’essaie de faire des choses hybrides.

Mon processus de création commence en général par le fait de travailler numériquement sur une base photographique afin d’obtenir des zones de couleur, similaires aux figurés utilisés en cartographie. Ensuite, ces zones sont redéfinies à travers le dessin.
Lorsque le dessin est transféré sur la toile ou le papier, je travaille à plat en utilisant des lavis d’encre successifs pour couvrir et recouvrir les zones délimitées. Les bordures respectives font réapparaître le dessin, tandis que le séchage à plat permet une sédimentation des pigments.

Tu travailles beaucoup le portrait, des personnages seuls, mais aussi en groupe ?

Oui j’ai développé plusieurs peintures autour de la notion de groupe en me demandant comment le corps peut faire motif.  J’ai même encore la photo d’un grand format que j’avais peint pour fêter l’installation des Beaux-Arts dans cette nouvelle école de la rue Kessler (voir ESACC, 2009, encre et acrylique sur toile)

 

J’ai aussi besoin de questionner l’individu au sein d’un groupe. La peinture « Grey Pride », qui était exposée au Centre Camille-Claudel dans le cadre de l’exposition « Impulsions collectives » le mois dernier s’inscrit dans cette logique.  C’est une peinture à l’encre de Chine sur toile, qui émerge d’une photo prise à la Gay Pride de Lyon. Un individu, coiffé d’un chapeau, tente de téléphoner tout en se bouchant les oreilles au cœur de la parade. Ce qui m’intéressait dans cette image était d’explorer l’individualité au sein de la célébration collective.

Tu as réalisé je crois une série de peintures inspirées des portraits présidentiels ?

En fait cette série des présidents s’est formée au fil des expositions. En 2010, j’ai réalisé le portrait de Nicolas Sarkozy comme une mise en abîme de la photographie officielle qui devait rester dans l’espace d’exposition à la mairie de Chanonat.
En 2015, j’ai été invité à participer au dispositif « Plasticiens en territoire » et à exposer dans une autre mairie à Mons. J’ai décidé de réaliser le portrait de François Hollande, qui a été présenté aux côtés de la photographie officielle.
J’ai réalisé le portrait de Emmanuel Macron suite à son élection pour présenter cette série dans l’espace d’exposition « La Passerelle » à Avermes.
La comparaison de la construction des images avec leurs différents symboles et postures témoigne d’un certain climat historique.

Ton travail aborde la question de l’identité et je crois que tu t’es intéressé aussi à ta généalogie dans le cadre de ton travail plastique ? 

Oui j’ai participé à 3 workshops à Stary Sacz, en Pologne, dont ma famille est originaire.

La première fois c’était en 2014. J’ai travaillé autour de l’omniprésence du Pape Jean Paul II sur les murs de la ville, et de la présence de nombreuses clarisses sur la place du village. Durant ce workshop, j’ai appris à poser de la feuille d’or (autour du portrait de Jean Paul II) avec une technique japonaise enseignée par l’artiste Komoko Hisamitsu.
En 2018, deuxième workshop, j’ai peint les portraits de Marian Nowinski qui est un affichiste polonais qui était à l’origine du workshop, décédé l’année précédente, et de sa femme Teresa Plat.
En 2022, j’ai profité d’un nouveau workshop pour rencontrer ma famille polonaise. J’ai décidé d’y développer des portraits de mes grands-parents en cyanotype pour symboliquement laisser leur image dans leur pays d’origine.

 

Quelles sont tes projets en cours ?

Dans le cadre des ateliers Bains d’Huile j’ai été accueilli en résidence plusieurs mois à Regensburg en Allemagne, l’été dernier. Chaque année un artiste des ateliers est en échange avec un artiste allemand, qui sera ensuite accueilli à son tour au chalet Lecoq. Là-bas j’ai rencontré Barbara Muhr avec qui je proposerais une exposition intitulée « I’ll be your mirror ».  C’est une proposition qui s’intègre dans l’évènement « Le mois de la créativité » du réseau CréArt. Elle sera visible du 17 au 20 mai 2024, pendant le weekend des Arts en balade.

https://anthonyduranthon.wordpress.com/

Portrait diplômée / Salomé Aurat

Salomé Aurat obtient un DNSEP en 2017. Lors de son parcours à l’école, elle développe une pratique de la peinture et du dessin déployée sur des grands formats, et s’investit au sein de la Coopérative de recherche en participant au programme Léviathan. En 2018, elle rejoint le programme de recherche Création et Mondialisation de l’Ecole Offshore à Shanghai, Chine, avec l’ENSA de Nancy. Nourrissant sa pratique artistique de différents modes de rencontres avec le public, Salomé Aurat vient d’intégrer les maisons de quartier d’Evry Courcouronnes en tant que coordinatrice culturelle.

Comment t’est venu le projet d’entrer dans une école d’art ?
Le projet de faire une école d’art est venu un peu par hasard. Originaire d’un milieu très rural dans l’Allier, j’ai très peu eu accès à des institutions artistiques ou des centres d’art contemporain. Naturellement je n’avais en sortant du lycée qu’une idée assez floue de ce qu’était une école d’art, et pourtant j’y suis rentrée dès l’obtention du baccalauréat. En revanche, j’ai toujours beaucoup dessiné et peint. J’ai eu accès à la culture de la BD, du manga, du film d’animation. J’ai eu la chance d’avoir une peintre dans mon village, qui menait des ateliers de dessin, de peinture, de modelage auprès de différents publics et auquel j’ai pu assister, ce qui a jeté les bases de ma technique actuelle. J’ai aussi suivi les options théâtre et arts plastiques de mon lycée. Mais globalement, la situation géographique des territoires où j’ai vécu et la méconnaissance du milieu de l’art ne m’ont pas aidée à faire un choix réellement éclairé. Je savais seulement que je voulais faire de l’art. C’est une fois rentrée à l’ÉSACM que j’ai perçu les raisons pour lesquelles je voulais rester dans cette voie. J’avais le sentiment -et j’ai eu raison !- que l’ÉSACM me fournirait un enseignement artistique solide dans les disciplines que je connaissais, mais aussi des ouvertures à d’autres formes, d’autres approches et sujets, ce qui était très intéressant pour ma pratique.

Quels ont été les sujets, les médiums, ou les territoires que tu as exploré pendant ton cursus à l’école ?
J’ai été très intéressée dès le début de mon parcours par la question du paysage, qui était particulièrement travaillée à ce moment-là à l’ÉSACM. Il y a eu de nombreuses conférences sur ces questions, et j’ai participé à plusieurs ARC (Ateliers de recherche et de création, format qui a disparu des maquettes pédagogiques depuis 2021, ndlr) dédiés au paysage, qui ont chacun marqué un tournant dans ma pratique. De façon générale, mon travail est poreux aux territoires dans lesquels je me situe. L’ÉSACM était une école d’art qui organisait de nombreux déplacements. Je me souviens, dès la première année, d’un ARC Paysage en Auvergne, où j’avais testé mes premières peintures sur bâches installées dans le paysage, d’un autre ARC  à Brest, ou encore en Ardèche. À chaque fois, je faisais des installations. En deuxième cycle, j’ai également participé à une résidence à Cotonou au Bénin. Ce qui devait être une exploration du paysage s’est avéré un grand chamboulement intime. J’avais toujours été touchée par des problématiques afrodiasporiques, sans avoir osé travailler sur ce sujet jusque-là. Cotonou a été le véritable élément -violement- déclencheur de ma réflexion sur les histoires et l’identité noire, métisse et/ou racisée dans différents territoires (français, rural, béninois, étasunien, chinois…), et le début d’une réflexion sur ma propre expérience, en tant que jeune femme, artiste, racisée, rurale, et mes propres savoirs situés.

Récemment tu as contribué à l’ouvrage Wild Rumors, restitution de plusieurs années de travail mené par la Coopérative de recherche de l’école dans laquelle tu t’étais investie, autour de l’histoire de la ville de Détroit, entre autres. Tu avais pris part au voyage de recherche à Détroit, avec une partie des chercheureuses, en 2018. Peux-tu me parler de cette expérience-là ?
J’ai là aussi vécu une expérience forte à Détroit, peut être plus intime que pour les autres chercheureuses. Dans mon texte pour Wild Rumors, je parle de mon expérience du monde en tant que métisse, de mon savoir situé de personne rurale et racisée. Aller à Détroit, après Cotonou, c’était pour moi partir sur les traces des déportés d’Afrique de l’Ouest et du commerce triangulaire. Lesdits esclaves déportés étaient transporté·es jusqu’au Sud des États-Unis, puis leurs descendant·es ont fuit et voyagé par des voies souterraines (the underground railroad) jusqu’à Détroit. Je me suis intéressée au marronnage, aux forêts, cela faisait échos à l’histoire des Antilles, mais également de la Creuse et de l’Allier dont je suis originaire. C’était un labyrinthe de liens dans lequel je me suis allégrement perdue. Après Détroit, j’ai eu la conviction profonde que je devais partir à la recherche de cela, du savoir situé dont je disposais sans m’en rendre compte, ou peut être en m’en rendant compte mais en ne le croyant pas légitime. Les dessins de la série Bouchures // Boundaries parus dans Wild Rumors sont le résultat de ce cheminement, des recherches et de mes réflexions sur les histoires et révoltes afrodiasporiques cachées dans le paysage rurale français de l’hexagone.

Sans titre I, 2021, 36x50cm, gouache sur papier

À ta sortie de l’école tu as été sélectionnée pour l’école OFFSHORE de Shanghai, programme « Création
et mondialisation » pour un an. Peux-tu me parler de ton expérience là-bas ?
En effet, j’ai été sélectionnée pour le programme de recherche Offshore à Shanghai, promotion 2018-2019, piloté par l’École Nationale Supérieure d’Art de Nancy et l’artiste et enseignant Paul Devautour. Le but de ce programme est de réunir chaque année une petite dizaine de jeunes artistes diplômé·e d’écoles d’art. Nous confrontons nos pratiques à cette mégalopole internationale qu’est Shanghai et participons à des séminaires, des rencontres, des workshops en réflexion autour de ce qu’est et devient le monde de l’art dans une société qui est traversée par la mondialisation. À Shanghai, nous côtoyons et nous nous intégrons à une société ultra connectée, ultra surveillée, ultra dématérialisée. C’est extrêmement futuriste et déroutant pour de jeunes artistes occidentales·aux.

Ma pratique s’est retrouvée dématérialisée· Mes dessins sont devenus des gifs (Désapparitions, 2019), que je distribuais par cartes postales et QR codes. Le QR code est ultra présent dans la vie chinoise, chaque citoyen passe son temps à payer, se connecter en scannant. Mes peintures sont devenues des vidéos en stop motion (La série des Aquariums, 2018-2019). C’était une expérience riche et très intéressante. J’ai pu travaillé avec énormément d’artistes, ou encore organiser une exposition dans un appartement Shanghaien (Huāng Yín Guān Lín à la H27 Gallery, Shanghai, mai 2019).

Peux-tu revenir également sur ton parcours d’enseignante ainsi que tes projets d’éducation artistique ?
J’ai toujours travaillé au contacts de différents publics. D’abord par le biais de l’animation, avec des enfants, adolescent·es, adultes, des publics atteints de handicaps, etc. J’ai également été surveillante. Puis j’ai eu mes affectations deux années de suite dans deux collèges et un lycée du Livradois-Forez, autour de Thiers. Il faut savoir que quand on a un diplôme en école d’art, et d’autant plus un DNSEP, on peut prétendre à devenir enseignant.e contractuel.le. Il n’est pas obligatoire de passer le CAPES ou l’agrégation, à moins que l’on veuille se stabiliser et avoir des affectations à coup sûr chaque année. J’ai pour ma part choisi de ne pas passer le CAPES, car je voulais me garantir une liberté de mouvement pour mon métier premier : artiste.
Je considère que je suis 35h par semaine au travail, mais 24h/24 artiste. Quand j’étais enseignante, je me sentais presque comme une infiltrée. Ma pratique personnelle et ma recherche me permettaient de ne pas être timide dans mes propositions à mes élèves, de leur proposer un maximum de pratiques, d’être ambitieuse pour elles·eux, et de sortir de la ronde des artistes «incontournables à voir absolument» au collège pour leur proposer d’autres noms, plus inclusifs, plus proches d’eux, notamment des femmes, des personnes racisées, etc. J’aimais également leur proposer la venue d’autres artistes, de médiateur·rices de centre d’arts tels que le Creux de l’Enfer, pour les mettre au contact de ce qu’est le monde de l’art et de l’art contemporain.

Bouchures // Boundaries,
collage, dessin au fusain et peinture acrylique sur papier, 230×380 cm.

Comment articules-tu cette activité avec ta pratique artistique ?
Le contact avec différentes populations, autre que le milieu de l’art, m’est indispensable pour travailler. J’ai besoin de rester connectée à la culture populaire, de me laisser imprégner par ses savoirs situés, ruraux ou urbain. C’est un aller et retour permanent qui me permet aussi de garder un recul sur mon travail. Ces moments hors de l’atelier, sur le chemin du travail par exemple, me permettent d’absorber beaucoup d’informations. Je prends des notes sur lequel je reviendrai, je peux prendre des photos qui deviendront peut être un support de travail plus tard. Il est souvent arrivé que je peigne des portraits d’enfants (d’après des images issues de ces archives, ou de vieilles photos de familles ou d’amis). Il me semble que l’enfance est une période très clairevoyante de la vie, même si ce n’est pas le moment où l’on sait le mieux s’exprimer.

 

Tu évoquais une transition vers une nouvelle expérience professionnelles. Concerne-t-elle aussi le champ de l’enseignement ?
Je n’en suis pas si éloignée. J’ai rejoint, depuis moins d’un mois, deux maisons de quartiers de la ville d’Evry Courcouronnes en tant que coordinatrice culture. J’ai encore très peu de recul sur mon rôle, qui va être large, mais avec des missions plus sociales que d’enseignement. Je vais faire le lien entre diverses institutions culturelles et les habitant·es et usage·res de mes quartiers, en organisant des évènements, des ateliers, des expositions. Ce nouveau rôle m’intéresse déja, car il s’inscrit dans un autre rapport avec le public. Contrairement à l’enseignement, les usage·res ont toujours le choix, ne sont pas noté·es, ne rendent pas de comptes. Le dialogue avec elles·eux sera alors, je pense, simple et naturel.

Quels sont tes projets en cours ?
J’ai quitté Clermont-Ferrand après quasiment 10 ans (dont une interruption d’un an à Shanghai) pour déménager en Essonne, à Bretigny-sur-Orge très précisément, pour des raisons personnelles mais aussi professionnelles. J’ai fais le choix de me rapprocher des institutions parisiennes, et je me laisse un peu de temps pour absorber la culture qu’elles apportent. Travailler à l’atelier et saisir les opportunités qui se présentent avant de me mettre à la recherche active d’expositions et de résidences. En ce moment, je travaille beaucoup à la peinture à l’huile et au dessin au fusain, sur différents formats. J’ai toujours travaillé grâce à des banques d’images, précieusement stockées sur mon disque dur externe.
J’entame une série de portraits en réfléchissant autour du terme «woke» («éveillé») et les abus de langage autours de celui-ci. Je peins des portraits d’individus au réveil, dans cet état flottant, le visage groggy par le sommeil plus ou moins bon qui a précédé. Cet état est pour moi assez représentatif de l’ambiance générale de la population, politique et sociale. Je me lance également dans différentes séries d’objets représentatifs de l’actualité, à première vue inoffensifs si on les regarde sans clé.

https://salomeaurat.wixsite.com/site

https://www.instagram.com/salomeaurat/

Portrait ancienne étudiante / Marion Jhöaner, réalisatrice

Marion Jhöaner est réalisatrice. Elle a passé ses deux premières années de DNA à l’École supérieure d’art de Clermont Métropole avant d’intégrer l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Paris et l’Edinburgh College of Arts en Écosse. Elle a réalisé plusieurs films documentaires en Scandinavie, mais aussi plusieurs courts-métrages de fiction. Elle vient d’obtenir le prix de la Liberté du 43e Festival du Court de Villeurbanne, en novembre 2022, avec la fiction Ce qui vient la nuit.

Ce qui vient la nuit, Batysphère production, 27’30 », 2022. 3 sélections en festival et le Prix de la Liberté au Festival du Film Court de Villeurbanne 2022 (voir le site de Marion Jhöaner)

Qu’attendiez-vous d’une école, et qu’est-ce qui motivait votre envie de vous investir dans un cursus artistique ?

Avant d’intégrer l’ÉSACM, je venais de terminer trois ans d’arts appliqués : j’étais donc déjà investie dans un cursus artistique depuis le lycée. J’avais choisi cette section parce que j’avais besoin de comprendre le monde à travers une approche plus sensorielle. Je pratiquais la photographie et l’écriture au quotidien et je ne me voyais pas rester assise toute la journée en classe sans pouvoir donner libre cours à mon imagination.

Ces trois années se sont révélées extrêmement riches et intenses, ce qui a soudé la promo dans laquelle j’étais. On attendait beaucoup de nous, aussi nous travaillions tout le temps, y compris la nuit à l’internat, même si nous n’avions pas le droit… Je n’ai pas le souvenir d’une vraie compétition entre les un·es et les autres, mais on était tou·tes porté·es par le désir de se surpasser, d’être toujours plus exigeant·es envers nous-mêmes. Il y avait aussi l’inquiétude du bac et des bons résultats dans les matières générales.

Au moment de choisir ma voie dans les études supérieures, cet environnement scolaire produisait une forte pression sur moi. Les noms des grandes écoles nationales revenaient en permanence avec le rêve d’y entrer. Et du côté de ma famille, on me poussait à intégrer une classe prépa dans le but d’entrer dans l’une de ces grandes écoles.

Mais pour ma part, j’étais épuisée de ces trois années de lycée et cette voie vers la prépa me semblait me précipiter, encore, vers une logique de concours et de productivité qui allait à l’encontre de la recherche intérieure dont j’avais besoin. Je sentais la nécessité de calmer le rythme, de réfléchir à la manière dont je souhaitais m’exprimer, identifier les pratiques artistiques que je voulais explorer. J’avais besoin de plus de liberté et c’est la raison pour laquelle j’ai tenté les Beaux-Arts de Clermont.

Dans une école d’art où il n’y a que l’option art, comment avez-vous nourri un projet de faire du cinéma ?

Je suis entrée à l’ÉSACM avec le désir de poursuivre la pratique photographique et vidéo que je cultivais déjà au lycée. Sans encore parler de cinéma, c’était la mise en scène qui m’intéressait, et les histoires qui découlaient de ces images, les atmosphères qu’elles suggéraient. J’ai développé mon goût pour le travail sonore également. Au départ, j’étais encore très tournée vers une recherche esthétique, au détriment du sens ; mais j’avais besoin d’en passer par là pour comprendre les thèmes qui m’animaient.

Mon parcours à l’ÉSACM a été déterminant en cela grâce à la rencontre d’un enseignant, Alex Pou et d’une chercheuse en particulier, Sarah Ritter. Ces discussions m’ont véritablement marquée. Il et elle ont aussi bousculé ma vision du travail, l’ont rendue moins rigide. En cernant mes préoccupations, ils m’ont dirigé vers le travail de cinéastes et d’artistes, souvent finlandais·es ou russes, qui sont toujours les piliers de mes inspirations aujourd’hui. C’est à ce moment-là que j’ai réalisé que j’étais profondément touchée et attirée par l’âme des pays nordiques et slaves.

Vous avez ensuite intégré l’EnsAD ?

Sur les conseils de Muriel Lepage, j’ai tenté le concours de l’EnsAD dès ma deuxième année, pour pouvoir avoir une chance de l’intégrer après ma licence, comme il est rare d’être retenu dès la première tentative. Toutefois, j’ai eu la chance d’être sélectionnée tout de suite et je suis entrée en deuxième année dans le département Photo/Vidéo.

Je souhaitais entrer à l’EnsAD depuis longtemps, c’était donc un rêve qui se réalisait. Malheureusement, la transition a été assez difficile. Contrairement à l’ÉSACM où le cheminement de l’étudiant·e est pris en compte de manière globale et où les enseignant.es forment un collectif, notamment au moment des bilans, l’EnsAD a un système très scolaire et moins familial, assez proche de celui du lycée, avec des notes, et des feuilles de présence, ce qui ne me correspondait pas du tout.

J’ai ressenti cela comme une méfiance à l’égard des étudiant·es, comme si l’on nous soupçonnait de ne pas avoir envie de travailler alors que nous nous étions battu·es pour entrer dans l’une des écoles d’arts les plus sélectives de France… Paradoxalement, on nous demandait de développer tout un travail personnel porté sur le monde extérieur, alors que l’on nous obligeait à rester dans l’école, en 2e et 3e année.

Cela a été très douloureux de constater que l’école rêvée n’était pas en adéquation avec mes attentes. Le fait d’être entrée en cours de cursus n’a probablement pas aidé à mon intégration, mais je ne me suis pas sentie très accompagnée.

J’ai eu davantage d’échanges fructueux en dehors de ma section, avec les professeur·es de Cinéma d’Animation qui m’ont guidée notamment pour mon mémoire – et ce malgré le fait que je n’ai jamais fait de projets d’animation. La transversalité est l’un des meilleurs aspects de cette école, tout comme les nombreuses options qui existent, par exemple, l’écriture de scénario où j’ai fait mes premiers pas. L’école dispose également de nombreux équipements, dans de nombreux domaines, ce qui reste un atout incroyable en tant qu’étudiante, notamment en vidéo puisque le matériel est très onéreux.

Mais c’est en dehors de l’EnsAD que j’ai commencé à réaliser des films de fiction, avec des collaborateur·rices et des mentors extérieurs à l’école. C’est donc en me professionnalisant que j’ai retrouvé une manière personnelle de tracer mon parcours, tout en me confrontant à la réalité du travail. J’ai intégré ces films à mon cursus, de manière un peu hybride, pour pouvoir poursuivre mes études jusqu’à mon diplôme. Il s’agissait de projets trop longs et trop conséquents pour être véritablement encadrés dans le système de l’EnsAD – du moins tel que l’école fonctionnait à l’époque, car il y a eu un changement de direction depuis. Je ne sais pas comment les choses ont évolué aujourd’hui.

 

Sur la Terre, des Orages, IKO productions, 2018. Acheté par TV5 Monde et Ciné+. 4 sélections en festivals et 4 prix dont celui du Meilleur film de fiction au Redline International Film Festival 2019, Toronto, Canada. (voir le site de Marion Jhöaner)

Votre séjour au sein du département cinéma d’Edinburgh était-il rendu possible par un accord Erasmus ?

La renommée de l’EnsAD est évidemment un atout dont j’ai bénéficié au moment de ma recherche de mobilité dans le cadre d’Erasmus. Le département cinéma de l’école d’art d’Edinburgh a accepté de m’accueillir et c’est là que j’ai véritablement développé ma pratique de cinéma documentaire avec Tracey Fearnehough et Itandehui Jansen. Elles m’ont poussé à sortir de l’école et à filmer, à surmonter l’appréhension de l’inconnu : un nouvel environnement, une nouvelle langue, un nouveau pays… J’ai donc réalisé Les vivants, les morts et les marins, un court documentaire qui se déroule sur un chalutier, et qui nous immerge dans le monde des pêcheurs que je découvrais pour la première fois.

D’un point de vue plus global sur l’enseignement, j’ai été extrêmement surprise de l’inversion des rapports entre professeur·es et étudiant·es. Les professeur·es étaient très soucieux de l’intérêt que les étudiant·es portaient au contenu de leurs cours, qu’ils et elles amélioraient en fonction de ce qui nous intéressait. Et les étudiant·es locaux, eux, n’hésitaient pas à exprimer ce qu’ils attendaient de ces cours. Cela me semblait très mature, égalitaire, à l’inverse d’un rapport plus pyramidal en France. Cette différence s’explique peut-être en partie par le fait que les études supérieures au Royaume-Uni sont payantes.

Bien sûr, ce séjour à Edinburgh m’a permis de m’ouvrir à un nouveau pays, de nouvelles cultures car le campus universitaire était très cosmopolite et pas seulement centré sur les arts. Je suis devenue bilingue aussi, ce qui a été extrêmement précieux pour mes projets documentaires suivants.

Vous étiez à Clermont-Ferrand la semaine dernière pour la projection du film Synti, synti (l’île écorchée). Pouvez-vous nous en parler ?

Synti, synti (l’île écorchée) est un documentaire qui poursuit mes recherches sur le rapport entre l’Homme et la nature. Il dresse un portrait des Îles Vestmann en Islande à partir d’une histoire tristement célèbre, celle d’un homme ayant miraculeusement survécu à un naufrage. Au-delà de ce récit emblématique, le film explore le quotidien des pêcheurs de manière sensorielle et délivre les histoires qui imprègnent le territoire de ces îles. C’est un documentaire que j’ai réalisé au cours de ma cinquième année à l’EnsAD, en 2018, et que j’ai donc choisi de développer dans le cadre de mon diplôme.

Cela comportait des avantages matériels conséquents mais, comme je le disais précédemment, il fait partie de ces projets que j’ai en grande partie développé en dehors de l’école. J’ai travaillé avec une productrice, Julia Fougeray (Azadi Productions), que j’avais rencontrée en 2017 sur le tournage de Sur la Terre des Orages, produit par IKO et soutenu par la région Grand Est – mon premier film de fiction complètement extérieur à l’école. C’est elle qui a trouvé les fonds nécessaires pour partir en Islande et organiser la post-production du film.

Comme le film devait répondre aux critères du diplôme, c’est à dire être terminé pour juin 2018, le développement s’est fait très rapidement et le tournage a été très court, ce qui est inhabituel pour un documentaire ! L’écriture du film s’est donc véritablement déroulée sur le tournage, et au moment du montage.

Synti, Synti (L’île écorchée), Azadi productions, 30’00 ». 11 sélections en festival et 4 prix (voir le site de Marion Jhöaner)

Quels sont vos projets en cours ?

Cette année (2022, ndlr), je viens de terminer mon troisième film de fiction, Ce qui vient la nuit, soutenu par la région Grand Est et le département des Vosges et produit par bathysphere. Le film commence à être sélectionné dans les festivals, notamment au festival du Film Court de Villeurbanne ce mois-ci.

J’écris également mon premier long-métrage de fiction, Sans sommeil, ainsi qu’un autre court-métrage de fiction sélectionné l’année passée à la résidence du Tilleul dans le Morvan. Je recherche une production pour ces deux projets.

Je développe également un projet de long-métrage documentaire, Nuna, qui s’intéresse à la communauté inughuit du Nord du Groenland. J’ai obtenu une bourse de la région de l’île-de-France qui m’a permise de me rendre sur place durant six semaines cet été, pour de premiers repérages. J’aborde donc l’écriture documentaire pour la première fois de façon plus traditionnelle, et je poursuis ce travail avec Azadi Productions.

Enfin, je travaille à la commande d’un scénario de long-métrage de science-fiction pour une importante société de production. Ce sont des projets très enthousiasmants, très différents, qui demandent tous énormément d’exigence, mais qui n’évoluent pas à la même vitesse.

Il faut s’adapter en fonction du projet à chaque fois, la méthode de travail est toujours différente. Comme je suis particulièrement attachée au collectif, je suis profondément touchée par cette symbiose avec l’équipe que l’on peut ressentir au moment de la préparation et du tournage. Mais j’aime tout autant la recherche et l’intériorité des périodes d’écriture, qui sont plus solitaires et plus longues.

Vous réalisez par ailleurs des missions de consultante et lectrice pour des institutions ?

Depuis cinq ans, je suis en effet lectrice de scénarios pour différentes sociétés et institutions. L’enjeu est un peu différent à chaque fois selon les activités de la société, mais il s’agit globalement de lire les scénarios dans un temps relativement court, d’en rédiger les synopsis et de développer une analyse en mettant en lumière les points forts et les fragilités des projets, soit pour aider les commissions à se positionner dans leurs sélections ou acquisitions, soit pour aider un·e producteur·rice à prendre du recul quant à la réception du projet par des personnes extérieures et rediriger l’écriture avec ses auteur·rices avant de débuter le financement. En tant que consultante, je suis parfois amenée à suggérer des pistes de réécriture en fonction des intentions des auteur·rices.

La fiction est un domaine extrêmement exigeant où la réception des spectateur·rices est fondamentale, même dans le cinéma d’auteur où les propositions se jouent parfois des codes narratifs. C’est ce lien fort avec le public et cette quête de l’émotion, qui circule de l’écran à la salle, qui me plaît tant dans le cinéma.

Teaser pour Les vivants, les morts et les marins : https://vimeo.com/320340537

Teaser pour Synti, synti : https://vimeo.com/307028286

Portrait ancien étudiant / Yann Lacroix

Diplômé du DNSEP à l’ÉSACM en 2010, Yann Lacroix a développé une pratique presque exclusive de la peinture depuis les premières années de sa formation. Il convoque des paysages sans figurant·es, dont l’échelle enveloppe le·la visiteur·se. Yann Lacroix a participé à de nombreuses résidences, en France et à l’étranger, comme à la Tars Gallery de Bangkok, ou à la Casa de Velasquez à Madrid.
Blue Lagoon, huile sur toile, 37 x 46 cm, 2017

Qu’attendiez-vous d’une école d’art ?

Je dessine depuis toujours, mais jusqu’au milieu de l’année de ma terminale je n’avais pas envisagé faire une école d’art. Un ami m’en a parlé un mois avant le concours, et c’est comme ça que je suis entré à l’ÉSACM. Mon expérience dans l’école a été très riche humainement et intellectuellement. Ça a été pour moi un lieu très stimulant, où j’ai trouvé les outils pour mettre en forme ce qui m’anime, me questionne et constitue même ma manière d’être. Comme tou·tes les autres étudiant·es, j’ai essayé le plus grand nombre de médiums possibles au cours des 1ère et 2e années. Mais la peinture a pris assez vite une place importante. Mon diplôme de 3e année était déjà presque exclusivement constitué de peintures.

On retrouve beaucoup de motifs végétaux et architecturaux dans vos toiles, et de grands formats. Quelle est votre méthodologie de travail ?

Je peins exclusivement en atelier. Je m’inspire et m’appuie sur des photos que je prends dans mon quotidien, que je sois ici ou là. Je photographie des espaces et des motifs pour leur potentiel pictural. Mais je pioche et collecte également des images et documents dans des livres, des documentaires, des films ou sur internet.

Je travaille sur plusieurs types de formats : petits, moyens, et grands. Les petits parce qu’il y a une dimension intimiste. J’ai commencé à travailler sur ces formats il y a plus de dix ans après avoir observé les petits formats de Camille Corot, peints lors de ses voyages en Italie, dans les années 1820-1830.  Il y a beaucoup de peinture, de perspective et de force sur une si petite surface. Les grands formats disposent d’une échelle physique, on les appréhende avec son corps entier. Ils sont proche du champ de vision humain. Au cours des années, j’ai également commencé à travailler sur des moyens formats, sur lesquels je peux développer des problématiques intéressantes.

India Song, huile sur toile, 185 x 160 cm, 2018

Où travaillez-vous et comment s’organise votre temps de travail ?

Mon atelier se trouve à Saint-Ouen. Je travaille tous les jours et ne prends que très peu de temps pendant lequel je ne suis pas en train de penser à mon travail, à la peinture, aux projets et aux expos.

Je pars souvent en résidence en France, mais aussi à l’étranger, comme à Bangkok, à la Casa de Velasquez à Madrid ou à Tunis. Le travail en résidence nourrit beaucoup ma pratique. Ces situations me permettent de réfléchir différemment, de prendre de la distance avec le quotidien, et de prendre soin de l’avenir en convoquant des questions vers lesquelles je ne serai pas allé en restant dans mes habitudes.

Nice place for good value and the swimming pool was clean, huile sur toile, 230×200 cm, 2016

Travaillez-vous avec des musées, des galeries ?

Je travaille avec la galeriste Anne-Sarah Bénichou depuis 2019. Anne-Sarah m’avait repéré au Salon de Montrouge en 2018 alors qu’elle faisait partie du jury. Nous étions en contact depuis quelques mois quand elle m’a contacté en juin 2019, à la fin de ma résidence à Madrid, pour me proposer une exposition personnelle dans sa galerie au mois de septembre suivant. J’ai poursuivi mon travail avec elle depuis.

Je travaille également avec la galerie Selma Feriani à Tunis et Londres. Je prépare en ce moment une exposition personnelle à la galerie Selma Feriani à Londres et une à la Fondation Fernet-Branca à Saint-Louis, pour 2023.

 

https://www.yannlacroix.com/

https://www.instagram.com/_yann_lacroix_/

https://www.facebook.com/yann.lacroix.92

https://www.arte.tv/fr/videos/081647-009-A/yann-lacroix/

Tennis Club, huile sur toile, 195 x 240 cm, 2018

Portrait ancien·ne étudiant·e / Leslie Pranal

Diplômée du DNSEP en 2014, Leslie Pranal poursuit son parcours au Laboratoire de Formation au Théâtre Physique à Montreuil, puis entre à la FAI-AR À Marseille, une formation supérieure d’art en espace public. Elle est interprête dans plusieurs compagnies de théâtre de rue, et travaille actuellement sur une performance cinématographique immersive pour l’espace public intitulée Grosse production.

Leslie Pranal par Philippe Lebruman

Tu as un parcours très marqué par la performance, la danse, le spectacle vivant. Est-ce que cette orientation était déjà visible ton cursus à l’école ?

Avant d’entrer à l’ÉSACM, j’ai fait un lycée d’arts appliqués à Saint-Géraud, à Aurillac. On étudiait le design d’espace, le design d’objet, le design de mode, le design de communication visuel, l’histoire de l’art, l’expression plastique, etc. Après mon bac, j’ai passé l’examen d’entrée pour intégrer l’école d’art. À l’époque, il y avait un dossier de productions à fournir pour être admissible, autour d’un thème donné. Le thème était le rythme. J’avais réalisé un happening hommage au futurisme : j’avais réuni des ami·es dans mon garage, vétu·es d’une combinaison jetable blanche. Ils et elles avaient un protocole, écrire des onomatopées et les dire face caméra.  J’ai filmé l’ensemble pour intégrer la vidéo au dossier de candidature.

Au lycée, en visitant différents espaces d’exposition, je me suis questionnée sur le rapport entre le·la regardeur·euse avec les œuvres. Comment dynamiser un espace d’exposition ?  Comment « faire de l’art en se bougeant » ? L’idée nous est venue de proposer aux visiteur·euses d’inventer un mouvement avec le corps qui résonne avec l’œuvre, et d’en faire une image photographiée. On a appelé ça l’« l’art sport ».

Avant même d’entrer à l’école, j’avais commencé à penser des actions, pour sortir du réel, par la vidéo ou la performance, sans nécessairement les nommer comme des actes artistiques.

Une fois dans l’école, comment as-tu employé ces intuitions-là ?

À l’école je me suis rapidement aperçue que les murs me faisaient peur. Le réflexe du « white cube » [espace exposition épuré dont le concept est apparu dans les années 1970, ndlr] me paraissait anxiogène. J’avais besoin de mouvement, de gestes qui ont une existence en eux-même. J ’ai développé ma pratique autour de la danse, de la performance, de la vidéo, etc. J’avais envie de rencontrer les personnes, investir des espaces plus vastes, et qui ont d’autres fonctions.

Ce rapport à l’espace public je ne le nommais pas encore. Mais je saisissais aussi souvent que possible l’occasion de montrer mon travail. Par exemple, j’ai proposé pendant mon parcours une chorégraphie en scooter dans l’allée de l’école. C’était ça qui m’intéressait, trouver par quel moyen on peut proposer une action festive et originale dans une école d’enseignement supérieur, et passer du réel vers l’irréel.

J’avais aussi été invitée à participer à une exposition dans un appartement du centre-ville de Clermont-Ferrand. Je ne savais pas quoi faire de cet espace-là, mais j’avais repéré un passage souterrain dans l’immeuble, qui m’avait fait penser à une grotte. J’avais une amie qui travaillait comme guide dans une véritable grotte, et je lui ai demandé de refaire la même visite, mot pour mot, avec les mêmes gestes et les mêmes contenus, mais dans le passage souterrain, en faisant imaginer aux spectateur·rices qu’ils et elles se trouvaient dans la grotte. Pendant qu’elle parlait, je déplaçais ma lampe torche au plafond pour simuler la présence d’éléments de cette grotte fictionnelle.

Voilà quelques exemples des sujets qui travaillaient mon imaginaire à l’école. J’y ai aussi acquis une méthode de travail, autour de l’expérimentation. Accepter les ratés, et en tirer des ressources nouvelles. Je pense, par exemple, à mon travail d’essai [mémoire de master 2, ndlr], pour lequel je me suis intéressée au personnage de Robinson. J’ai créée une embarcation pour quitter la terre, et j’ai filmé le processus de fabrication. On me voit découper des troncs à la tronçonneuse pour faire un radeau, puis couler avec. Mais l’important c’était ce qui se passait dans l’instant, l’intention, et la trace que j’en ai gardée.

Comment s’est passée ta sortie de l’école ?

À ma sortie de l’école en 2014, j’ai intégré les ateliers de la Cabine, lieu associatif situé au 16 rue du Port qui disposait d’ateliers partagés. J’allais voir beaucoup de spectacles et je me rendais compte que je préférais suivre des stages et des cours de danse et de théâtre, ou participer à des performances avec la Compagnie des Guêpes rouges, plutôt que travailler à l’atelier.
J’ai rejoint la Compagnie des Guêpes rouges pour une performance qui consistait en une lecture pour les droits des femmes. C’était la première fois que je jouais. Après ça, je les ai suivi pour deux ans de tournée.
Je participais aussi à un projet de danse qui s’appelait « Dancing museum », qui réunissait des danseur·euses amateur·rices pour danser dans les musées, au Mac Val, à la Briqueterie, au Grand palais.
Toutes ces expériences m’ont mené à intégrer le Laboratoire de Formation au Théâtre Physique à Montreuil, en 2017.

Au LFTP, on aborde la position de l’acteur·rice comme créateur·rice, l’interprétation en théorie et pratique, mais aussi la mise en scène, la régie lumière et son. Il est question d’apprendre à connaître son corps, pour être en mesure de prendre la parole. Un·e danseur·euse qui parle avec le corps est toujours juste.

Tu as enchainé avec une autre formation, la FAI-AR ?

La FAI-AR permet d’être auteur·rice de projets en espace public. C’est une formation professionnelle qui dure deux ans et qui permet de se pencher sur les enjeux de l’espace public et de développer un projet personnel de A à Z en termes de production, de création, d’interventions, de workshops, mais aussi sur les aspects administratifs, financiers et juridiques. On aborde tous les rôles liés au spectacle vivant et aux arts plastiques, pour être en mesure de porter des projets en autonomie. Le fait de suivre la formation permet d’avoir accès au statut d’intermittent·e.
À la fin de la formation, les apprenti·es présentent des « maquettes », de petites pièces de 20 minutes qui sont comme des « crash test » publics de notre projet personnel de création. Pendant ces deux années, il faut trouver des résidences, monter une équipe, faire des stages administratifs et des stages artistiques. C’est une formation publique, pendant laquelle les cours théoriques sont dispensés à l’université d’Aix-Marseille, ce qui m’a permis de valider un master Art et scène d’aujourd’hui. Comme dans la plupart des master, il m’a fallu rédiger un mémoire lié à mon projet personnel de création. Il prenait la forme d’un cahier d’avancée du projet, organisation, étapes, échecs, intentions, aspects philosophiques et théoriques de la création.
La FAI-AR était d’une certaine façon la synthèse de l’ÉSACM et du LFTP. J’avais jusqu’ici rencontré l’espace public malgré moi, et j’ai rejoint la FAI-AR pour comprendre cet espace particulier, comprendre le public, le grand public, réfléchir à l’accueil, sortir de l’entre-soi, et aller vers l’instantané, l’instant présent, l’impromptu.

Quel était ton projet de création à la fin de ces deux années à la FAI-AR ?

Mon projet personnel de création s’intitulait « Grosse production présente Tournage en cours ». Lors de mes performances, j’ai pour habitude de partir de la grande histoire pour aller vers la petite, du réel vers la fiction. Partir de l’espace public comme terrain de jeu c’était vertigineux. J’avais besoin d’un espace restreint pour m’appuyer contre. Je me suis imposée un espace : nous avons bloqué la rue. Mon équipe artistique a privatisé cette petite portion d’espace urbain, pour en faire un espace poétique, une performance cinématographique immersive et sans caméra. La consigne était partagée avec les passant·es : tout ce qu’on va faire ensemble va faire partie du film. Cette fiction, cet antidote au réel, se met à exister grâce à de la rubalise, avec une voix diffusée dans toutes les langues par un haut-parleur.

Ce projet-là a été déclenché par une expérience précédente, lorsque je travaillais comme assistante d’un réalisateur qui m’avait chargé d’absolument tous les aspects techniques en amont et pendant le tournage d’un film : régisseuse, chargée de casting, conceptrice de décors, de costumes, habilleuse, coiffeuse, cadreuse pour les temps de répétition. J’ai inventé la casquette d’assistante artistique, et ça m’a permis de voir l’envers du décor. J’avais envie de montrer ces coulisses-là au public, d’entrer dans le « méta-cinéma », la mise en abyme, en me demandant ce que donnerait un « méta-espace public ». Ça donne une vraie matière plastique, visuelle, poétique, avec des gestes techniques très chorégraphiques, comme, par exemple, la posture du perchiste. Mon mémoire s’est alors intitulé « LE MÉTA-ESPACE PUBLIC (ou comment fabriquer du réel à vue). » Ce projet a donné lieu à des ateliers, avec des habitant·es, des personnes de tous les âges.

Que fais-tu en ce moment ?

J’ai plusieurs projets en cours avec la compagnie AlixM. Nous avons joué début juin un spectacle de théâtre de rue intitulé Brèches ou faute de révolution nous appuierons sur la ville.
Nous travaillons parallèlement à une carte blanche de trois années sur les aires d’autoroute de l’A63. Il s’agit d’une carte blanche d’écriture, d’actions artistiques pour lier les routier·es et les patrouilleur·euses, avec des enjeux sociaux et de prévention, par l’art.

Je travaille aussi avec une compagnie suisse qui s’appelle Les Trois Points de suspension. Ce sont des scientifiques de l’absurde, qui détournent le réel à travers des théories scientifiques. Parmi différentes actions, on a déjà proposé une dégustation d’huîtres de Clermont-Ferrand, par exemple, pendant laquelle un plongeur va chercher des huîtres dans les égouts pour les déguster avec les passant·es.
Mais en ce moment on travaille sur Bains publics : une pièce autour de l’eau, des thermes mobiles, bains chauds, hamams, etc. Les passant·es se changent, on leur prête des maillots, des claquettes, des peignoirs, on leur demande de pleurer, de rire, pour récolter des larmes, que l’on appelle de l’huile essentielle de festivalier·es.

Cet été, j’ai aussi été sélectionnée pour participer à la table ronde des porteur·euses de projets de la journée professionnelle du Festival du Théâtre de rue d’Aurillac.

Je travaille avec une compagnie qui s’appelle KompleX KapharnaüM, pour une carte blanche pour la Ville d’Angers. Nous jouerons les 9 et 10 septembre à 22h dans les rues d’Angers dans le cadre du festival Les accroches-cœurs.

Je joue également le 6 octobre une performance subaquatique intitulée Fantastic drama et crée pour le FRAC Provence-Alpes-Côte d’Azur.

http://www.lesliepranal.com/

instagram : leslie_pranal

Compagnie AlixM « Aire d’un possible départ »

 

Portrait ancienne étudiante / Jade Sauvage

Jade Sauvage est plasticienne et intervenante en médiation culturelle et artistique. Diplômée du DNSEP en 2012, elle obtient ensuite un Master 2 Création et études des Arts contemporains, spécialité Arts et Existence à l’Université Lille 3, auquel elle accède par équivalence. En fondant l’association Écarts d’Arts en 2013, elle crée son activité professionnelle, spécialisée dans la mise en place d’ateliers artistiques pour tous les publics et dans l’accompagnement de lieux artistiques et culturels dans leur démarche d’accessibilité aux publics en situation de handicap.

Médiation au FRAC Franche-Comté

Pouvez-vous nous parler de votre activité ?

Je conçois et anime des ateliers artistiques pour permettre à tous les publics d’expérimenter la création et de découvrir des techniques. J’interviens dans des écoles, universités, établissements médico-sociaux et sociaux, lieux culturels, EHPAD et hôpitaux, crèches, maisons de quartier, etc. J’adapte ma proposition, ainsi que les outils, en fonction des participant·es aux ateliers et au projet, pour que chacun·e puisse s’exprimer, créer et montrer sa sensibilité. Je propose des ateliers de peinture, photo, cyanotype, gravure, tampon, dessin, vidéo, sculpture et modelage. L’idée est de permettre à tout le monde, quel que soit l’âge, les capacités ou difficultés rencontrées, de s’exprimer le temps d’un atelier à travers un médium artistique. J’interviens beaucoup auprès des publics en situation de handicap.

En parallèle, j’accompagne les lieux artistiques et culturels (musées, centres d’art, théâtres, salles de concert, cinéma, etc.) en leur proposant des outils et des actions de médiation. Je conçois des ateliers culturels et des visites guidées, des supports de visites et des outils de médiation, des guides d’exposition et de la signalétique. J’épaule les équipes dans leurs démarches pour faciliter l’accessibilité de leurs équipements et propositions.

Par exemple, j’ai travaillé en 2017 pour la fondation Louis Vuitton en formant les médiateur·ices à l’accueil et la médiation pour les publics en situation de handicap intellectuel et psychique. Lors cette formation, ils et elles ont pu acquérir des connaissances sur les besoins spécifiques de ces publics, découvrir des outils de médiation et concevoir une visite adaptée de l’exposition.

J’ai aussi travaillé pour le FRAC Franche-Comté de 2013 à 2014 sur leur accessibilité au public en situation de handicap de manière globale : accès au bâtiment, aux équipements et expositions, formation des médiateurs, amélioration de la signalétique, mise en place de maquettes d’œuvres et de livrets d’exposition, etc. Puis de 2014 à 2019, j’ai continué à travailler avec le FRAC sur la réalisation des guides d’exposition destinés aux personnes en situation de handicap intellectuel.

En 2021, j’ai accompagné le festival Chalon dans la rue autour de la sélection de spectacles adaptés aux personnes en situation de handicap, ainsi que la réalisation d’un programme en « Facile à lire et à comprendre » pour le handicap intellectuel, et la présence d’un point d’accueil et de renseignement pour les spectateur·ices en situation de handicap.

Lors des projets d’accessibilité qui nécessitent d’entrer dans des considérations très techniques, je travaille en collaboration avec d’autres prestataires, comme lors de la réalisation de guides d’exposition en braille, la fabrication de panneaux pédagogiques avec des illustrations tactiles ou bien la mise en place de visites en langue des signes française.

Signalétique au Marais Étournel

Comment votre parcours s’est-il spécialisé dans les projets de médiation ?

J’avais ce projet-là avant même d’entrer en école d’art. Au moment de choisir un cursus d’étude, j’ai envisagé l’art-thérapie, par exemple. J’avais envie de rencontrer le public avant tout. Il se trouve que j’avais vécu quelques expériences d’accompagnement de ce type, lors de jobs saisonniers ou en tant que bénévole. Je suis entrée à l’école d’art avec cette idée, et une fois mon diplôme obtenu, j’ai souhaité m’outiller davantage, en demandant une équivalence pour entrer en Master 2 Création et études des Arts contemporains, spécialité Arts et Existence à l’Université Lille 3.

En parallèle de cette année de master, j’ai fondé l’association Écart d’Arts avec une amie musicienne. Nous l’avons pensée comme une structure qui permet aux artistes de partager leurs pratiques et techniques auprès de publics variés.

J’ai poursuivi sur le terrain, avec un service civique auprès du FRAC Franche-Comté, qui m’a donné envie de poursuivre dans cette direction, et d’intégrer cette thématique au panel d’actions de l’association.

Quels sont les médiums que vous explorez et proposez en atelier ?

J’adapte mes propositions à l’infini en fonction du public, mais j’ai pu aborder autant la peinture, que le dessin, les collages, les impressions comme la gravure, le cyanotype, ou encore la vidéo. J’ai découvert la plupart de ces pratiques au sein des ateliers de l’école, et ce parcours-là m’amène à aborder ma relation au public différemment d’un·e autre intervenante.

Quels sont les outils que l’école d’art vous a apportés dans votre approche de cette activité ?

Durant les 5 années d’école j’ai pu me nourrir des cours d’histoire de l’art, des différentes conférences d’artistes, galeristes, critiques d’art, des expositions telles que les biennales à Venise, des workshops divers et variés. Cette ouverture à l’art, tant par les apports théoriques qu’à travers la pratique, me permet aujourd’hui de faire de la médiation culturelle et d’animer des ateliers afin de sensibiliser le plus grand nombre à la création contemporaine.

Vos activités prennent une nouvelle direction, pouvez-vous en dire plus ?

D’ici le mois de juillet, j’intégrerai la Direction du patrimoine de la ville de Besançon en tant que chargée de médiation culturelle. Je proposerai toujours des ateliers de pratique et des supports de médiation, de la formation et des visites guidées auprès du public scolaire, familiale et du champ social. Je vais être ainsi amenée à travailler par exemple pour le Centre d’Interprétation de l’Architecture et du Patrimoine, pour la Maison Victor Hugo, les musées des Beaux-Arts et du Temps de Besançon.

Portrait ancien étudiant / Hugo Livet

Hugo Livet a été diplômé d’un DNSEP en 2012 à l’ÉSACM. Artiste plasticien, il vit et travaille à Paris.

Dessin, objets, installations, ses propositions explorent le langage universel de la nature. Il est aussi à l’origine du projet numérique DMT vision qui croise les univers de la science-fiction et de la bande dessinée. Il a participé à de nombreuses expositions personnelles et collectives, en France comme à l’étranger.

-Qu’est-ce qui a motivé votre projet d’intégrer une école d’art ? Quelles étaient vos attentes ?

Si je remonte suffisamment loin, ce sont probablement les Lego et les bandes dessinées qui m’ont permis d’envisager une école d’art. Je ne connaissais rien à l’art, mais je dessinais depuis longtemps, et j’ai choisi les seules études qui pouvaient me permettre d’exercer ma pratique. J’ai participé au concours d’entrée une première fois, sans succès. J’ai passé plusieurs mois enfermé dans une chambre de Cité U à remplir les murs de dessins et j’ai réessayé l’année suivante. Il se trouve que j’ai été reçu par le même jury que l’année précédente. Ils et elles se sont souvenu·es de moi et je pense que ça a joué en ma faveur, parce que mes connaissances en art étaient très limitées. J’avais peu d’attentes précises. Je voulais simplement pouvoir dessiner et échapper au cursus classique.

-Finalement qu’y avez-vous trouvé ?

Des ami·es. Je pense que c’est le plus important car c’est avec elles et eux que j’ai appris et que j’apprends encore. Mais l’environnement de l’école était idéal et très stimulant. J’y ai construit une pensée artistique et les bases d’une éthique personnelle, acquis des connaissances en histoire de l’art et expérimenté de nombreuses techniques.

Mon parcours à l’école correspond à une période de découverte fantastique, pleine de candeur. J’étais très stimulé par l’ambiance générale, par le travail de mes camarades et par les conseils des enseignant·es, par les espaces et équipements. On avait une salle de musique avec un accès à beaucoup d’instruments, par exemple. On jouait ensemble quotidiennement, et on pouvait participer ou organiser de nombreux évènements. Ça nous a aidé à tisser des liens forts, et a commencer à former un réseau. En ce moment, par exemple, je prépare une œuvre en duo avec l’artiste Plume Ribout Martini, pour une exposition collective à Anvers sur une invitation de Luc Avargues (DNSEP 2010). 

-Comment s’est passée votre sortie de l’école ?

J’ai été assez privilégié sur ce point. J’ai reçu les félicitations et j’ai été sélectionné pour plusieurs expositions dès ma sortie. Ça m’a permis de vivre de ma pratique les premières années. Mais la réalité du monde de l’art est bien loin de ce que j’imaginais à l’école. On a découvert par nous même que Clermont-Ferrand était un microcosme protecteur et que la vie d’artiste, dans la plupart des cas, c’est aussi jongler entre le RSA et un travail alimentaire. J’ai eu de la chance au début, puis j’ai dû m’adapter. Mais à postériori je pense que c’était une bonne chose. On a été préservés et ça nous a permis de développer une démarche sans penser à la finalité, de façon sincère et désintéressée.

Peu après ma sortie de l’école, j’ai été invité à participer à quelques expositions importantes pour moi, comme la biennale de Saint Flour ou «Echo(s)))», inscrite dans le programme Résonance de la Biennale d’art contemporain de Lyon. Le salon de Montrouge m’a aussi apporté de la visibilité dans les années qui ont suivi, et j’y ai rencontré quelques ami·es.

Mais les expositions qui ont le plus fait évoluer ma pratique sont sans doute celles qui m’ont contraint à m’adapter totalement à un espace. C’était le cas par exemple de ma première exposition personnelle au centre culturel de Mulhouse. Je devais produire une pièce in situ pour un espace composé de plusieurs couloirs aux murs recouverts de lino orange. J’ai utilisé cette particularité, et j’ai fabriqué des centaines de feuilles mortes en argile rouge que j’ai disséminées dans les coins des couloirs. 

D’où viennent les porosités de votre travail avec l’univers scientifique ?

Les artistes sont des chercheur·euses, au même titre que les scientifiques. Et les processus de recherche que nous menons sont souvent très semblables. Je pense que créer, c’est une manière de participer à la complexification de l’univers. La science permet de comprendre le processus, et l’art permet de le détourner.

Quel rapport votre travail entretient avec la nature ?

Je vois ma pratique comme une exploration du langage universel de la nature à travers différents outils et matériaux. J’essaye de découvrir de nouvelles formes, comme de nouveaux mots. Je considère la création artistique comme un processus darwinien auquel nous participons collectivement, une idée ou une forme pouvant en engendrer une autre. La « nature », c’est un concept occidental qui sert à décrire le monde de façon logique. C’est un mot ambigu. Pour moi la nature traverse tout. Un algorithme ou une intelligence artificielle peuvent être naturelles au même titre qu’un organisme. Je vois la culture comme une continuation de la nature et j’essaye d’appliquer ces idées dans mon travail. Je suis aussi très attaché à ce qu’on appelle « l’environnement naturel ». J’ai grandi dans une campagne isolée et foisonnante qui nourrit encore mon imaginaire.

-Qu’est-ce que DMT Vision ?

DMT vision est un projet d’illustration et d’art numérique assez complexe que j’ai lancé il y a deux ans de façon anonyme et qui présente aujourd’hui des formes multiples. Les thèmes principaux sont les substances psychédéliques et les états modifiés de conscience. J’ai toujours aimé le dessin et l’illustration mais j’avais laissé de côté toute forme d’art représentatif car il me semblait que ça n’avait pas sa place dans mon parcours à l’école. Mes recherches dans le domaine des plantes psychotropes m’ont amené à m’intéresser à la DMT, ou Diméthyltryptamine, une molécule naturellement présente dans l’organisme et dans d’innombrables plantes. Son contact provoque des visions courtes et intenses et un état qu’on apparente souvent à celui de mort imminente. C’est en m’intéressant à ces visions que j’ai repris le dessin sous la forme d’illustrations, et plus tard sous la forme d’animations 2D et 3D. Aujourd’hui, DMT Vision réunit plusieurs projets, dont une sorte de bande dessinée animée, The Adventures of Ego, qui raconte de façon muette et en noir et blanc le voyage d’un « ego » virtuel dans un monde numérique. DMT Vision m’a permis de toucher un public plus large et d’en dégager un revenu. Ce projet me permet d’explorer des formes d’art qui trouvent difficilement leur place dans le milieu de l’art contemporain.

Site internet d’Hugo Livet

Instagram

Projet DMT Vision

«Aimant, aimant», une exposition de diplômé·es 2020 et 2021

Du 18 mai au 17 juin, dans le cadre du festival des Arts en Balade.

Dans le cadre du partenariat entre la Fondation d’entreprise Michelin et l’École supérieure d’art de Clermont Métropole, l’espace d’exposition situé dans La Canopée, le nouveau hall du siège social du Groupe Michelin, à Clermont-Ferrand, accueille une exposition de 23 artistes diplômé·es du DNSEP (master 2) de l’ÉSACM en 2020 et 2021.

Intitulée «Aimant, aimant», cette exposition propose aux artistes de révéler, littéralement, le pouvoir magnétique de leurs œuvres en jouant avec les parois métalliques qui caractérisent le lieu.

Avec : Niloofar Basiri, Antoine Beaucourt, Alexandre Boiron, Léa Bisson, Jeanne Chopy, Hortense Combret, Stefan Fereira, Lola Fontanié, Chloé Grard, Pauline Lespielle, Johanna Medyk, Clémentine Palluy, Manon Pretto, Ophélie Raffier, Gaël Salfranques, To’a Serin-Tuikalepa, Nino Spanu, Frédéric Storup, Florent Terzaghi, Robin Tornambe, Hippolyte Varin, Malak Yahfoufi.

 

VERNISSAGE LE JEUDI 19 MAI À 18H 

  • Ouverture samedi 21 et dimanche 22 mai 2022, de 10h à 17h, dans le cadre du Festival des arts en balade
  • Exposition du mercredi 18 mai au vendredi 17 juin 2022, du lundi au vendredi, de 10h à 18h
  • Une permanence assurée par les artistes les jeudis 2, 9 et 16 juin, de 12h à 14h

Espace d’exposition – La Canopée, 23 place des Carmes, Siège social du Groupe Michelin, 63000 Clermont-Ferrand

Design graphique : Ana Crews